DOSSIER

LE LOGEMENT COMMUNAUTAIRE AU CŒUR DE LA LUTTE À L’ITINÉRANCE

L’itinérance, c’est quoi ? Selon la Politique nationale de lutte à l’itinérance, elle désigne « un processus de désaffiliation sociale et une situation de rupture sociale qui se manifestent par la difficulté pour une personne d’avoir un domicile stable, sécuritaire, adéquat et salubre en raison de la faible disponibilité des logements ou de son incapacité à s’y maintenir et, à la fois, par la difficulté de maintenir des rapports fonctionnels, stables et sécuritaires dans la communauté. L’itinérance s’explique par la combinaison de facteurs sociaux et individuels qui s’inscrivent dans le parcours de vie des hommes et des femmes. »

L’itinérance est le fruit d’un processus d’exclusion, de marginalisation et de vulnérabilisation qui contribue à nier la place de ces personnes dans la société. Ce processus est souvent lié à des questions de pauvreté, de maladie ou encore d’isolement social. Les difficultés rencontrées s’entremêlent et il est difficile d’en sortir.

Depuis une trentaine d’années, on constate une transformation et une diversification du profil des personnes itinérantes. Nombreuses sont les ressources d’hébergement qui font état de débordement de leurs services, et ce, été comme hiver. Si les hommes restent majoritaires, les femmes sont de plus en plus nombreuses et de nouvelles catégories apparaissent, comme les personnes aînées, les autochtones, les familles ou les personnes issues de l’immigration. Même avec un revenu de travail, nombreuses sont les familles qui peinent à trouver un logement adapté à leurs besoins, à cause d’une pénurie de logements adaptés ou des loyers trop dispendieux.

Les données les plus récentes indiquent que près d’un demi-million de ménages locataires québécois dépensent plus de 30 % de leurs revenus pour se loger, ce qui les place dans une situation financière difficile. De ce nombre, près de 200 000 dépensent plus de la moitié de leurs revenus en logement, une situation financière intenable. De tous les locataires québécois, les aînés et les nouveaux arrivants sont ceux qui allouent une plus grande partie de leurs revenus pour se loger.

Chaque jour, 35 000 personnes sont sans abri.
Au moins 235 000 personnes connaîtront de l’itinérance en 2019.

27 % sont des femmes, 19 % sont des jeunes, 24 % ont + de 50 ans.

28 % à 34 % des personnes fréquentant un abri sont autochtones.
(4,3 % des Canadiens sont autochtones )

Les familles demeurent dans les abris 2 fois + longtemps que les personnes seules.

La lutte à l’itinérance

À la fin des années 1990, après qu’un comité de l’ONU ait demandé au gouvernement canadien de considérer les problèmes des sans-abri et des mal-logés comme une urgence nationale, le gouvernement fédéral s’est doté d’outils d’intervention pour tenter de remédier à la crise.

C’est dans ce contexte que naît en 1999 ce qu’on appelle maintenant Vers un chez soi : Stratégie de lutte contre l’itinérance. Ce programme, sous ses différentes appellations, a contribué de 2002 à 2014 à réaliser 1200 logements sociaux avec soutien communautaire.

Les OSBL d’habitation se sont donné comme mission de garantir une offre de logements salubres, sécuritaires, accessibles et sans condition aux personnes à faible revenu. Les OSBL-H dont les projets s’adressent à des personnes itinérantes ou à risque d’itinérance ont développé un modèle de soutien communautaire dont l’efficacité est avérée, et qui a notamment été reconnu dans le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social. Depuis 1997, les projets sont réalisés avec l’appui du programme AccèsLogis, dont le volet III vise la construction de logements pour des clientèles ayant des besoins particuliers.

L’itinérance est un processus complexe, souvent lié à des causes structurelles et systémiques sur lesquelles l’individu a très peu de pouvoir. C’est pourquoi les OSBL d’habitation au Québec défendent une approche multifacette en matière d’intervention. Cette approche valorise l’autonomisation et la participation des locataires à leur milieu de vie ; elle se propose de les aider à développer leurs relations sociales. Les locataires sont invités à donner leur avis sur le fonctionnement du projet et l’offre d’activités et de services et à participer aux processus décisionnels (conseil d’administration, assemblée générale).

Les OSBL d’habitation proposent des milieux de vie où l’on peut s’occuper de soi et retrouver son rôle citoyen, ils fournissent un cadre propice, un support, des leviers et des ressources aux personnes qui le souhaitent.

Une étude réalisée en 2016 par la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal démontre l’efficacité du soutien communautaire en logement social pour favoriser la stabilité résidentielle des locataires. Sur les 1 777 locataires concernés par cette enquête, 70  % sont stabilisés en logement depuis plus de trois ans et 31  % le sont depuis plus de 10 ans.

Les efforts des groupes sur le terrain se voient contrecarrés par les mesures d’austérité introduites depuis 2014 (et jamais renversées depuis), lesquelles touchent au premier chef les personnes que l’on devait soutenir et les organismes qui les épaulent. L’austérité pousse littéralement de nouvelles personnes à la rue. Les dernières réformes de l’aide sociale, dont l’instauration du Programme Objectif Emploi, tendent à rendre toujours plus conditionnelles et insuffisantes des prestations qui permettent à peine de couvrir la moitié des besoins de base.

Le gouvernement doit mettre en place de véritables politiques de lutte à la pauvreté, en particulier la garantie d’un revenu décent pour tous et toutes : bonification de l’aide sociale, un salaire minimum à 15 $, etc. Il doit également procéder à un réinvestissement public dans le domaine de la santé et des services sociaux, notamment dans les services en santé mentale.

Le logement communautaire, une solution privilégiée

Au lieu de miser sur l’aide à la personne et recourir au marché privé pour loger les personnes en situation d’itinérance chronique, l’approche québécoise favorise la construction de logements sociaux et communautaires. Bien sûr, l’aide à la personne, comme le programme québécois de Supplément au loyer, présente l’avantage de produire un résultat immédiat, contrairement à l’aide à la pierre qui nécessite plus de temps pour être effective. Toutefois, l’aide à la personne engendre aussi des effets indésirables, entre autres une hausse des loyers (et par là même une subvention indirecte aux propriétaires), un poids supplémentaire sur les finances publiques en plus de provoquer d’autres situations d’itinérance. Certains propriétaires favorisent en effet des personnes bénéficiant d’un supplément au loyer, au détriment d’autres locataires économiquement défavorisés qui se retrouvent à la rue.

Dans les projets de logement communautaire, le coût du loyer est inférieur à celui du marché. Une étude publiée en 2015 par le RQOH montre que les loyers des OSBL d’habitation sont de 14 % inférieurs à ceux du marché, toutes typologies confondues. La part versée par l’État comme supplément au loyer y est d’autant réduite, à court terme et plus encore à long terme, car les loyers y augmentent moins fortement que dans le marché privé.

L’aide à la pierre demeure essentielle, notamment parce que le marché locatif privé ne suffit pas à répondre aux besoins des ménages à faible revenu. Proposer davantage de logements décents, pérennes et abordables, c’est un investissement payant. Les logements créés demeurent un bien collectif et serviront aussi aux générations futures ; c’est là une différence majeure avec le recours au marché privé.

Financement de la lutte à l’itinérance et entente Québec-Ottawa

Après les années de vache maigre du règne conservateur (2006-2015), le rehaussement important des budgets de lutte à l’itinérance, qui doubleront pour atteindre 175 millions $ entre 2019-2024, est évidemment bien accueilli par les groupes intervenant sur le terrain. Les modalités de l’implantation du programme fédéral Vers un chez-soi au Québec restent à définir, mais il demeure que l’entente globale entre les deux paliers de gouvernement, survenue en septembre 2019, laisse la porte ouverte à la diversité des approches de prévention et de réduction de l’itinérance prônée par le RQOH en ce domaine.

Des points d’ombre demeurent cependant. En effet, l’accent mis sur la réduction de l’itinérance chronique de 50 % d’ici 2027-2028 pourrait être vu comme un rabaissement de l’approche généralement mise de l’avant par les intervenants du Québec, comme la prise en compte et de l’itinérance cachée et des problématiques liées telles la toxicomanie et la santé mentale, une approche « globale et communautaire ». Il est dont primordial de respecter les plans communautaires des différentes régions (1).

Une autre inquiétude demeure : comment les personnes visées par les mesures d’aide réagiront-elles à l’implantation du « système d’accès coordonné » prévu par l’entente ? Derrière l’objectif louable de documenter les actions sur le terrain, cette base de données nominative apparaît comme intrusive et démesurément bureaucratique. Pourra-t-elle être perçue comme une tentative de contrôle inacceptable dans le milieu de l’itinérance, où l’auto-exclusion est une pratique coutumière ? Comment arrimer cette exigence avec le travail de rue, forcément ponctuel et informel et qui fait la force de l’approche québécoise ?

1 – À Montréal à partir de 2014, c’est en effet à l’encontre de la volonté de la grande majorité des organismes communautaires que 65 % des subventions ont servi au financement de l’approche « Logement d’abord ». Cette approche cible les personnes seules en situation d’itinérance chronique ayant des problèmes de dépendance ou de santé mentale. Le modèle d’intervention est relativement simple : on permet aux personnes visées de bénéficier d’un supplément au loyer pour se loger sur le marché privé, jumelé à un suivi hebdomadaire et à une voie d’accès privilégiée aux services sociaux et de santé. Cette approche, privilégiée par le gouvernement Harper, a rencontré beaucoup de résistance au Québec.

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L’ENJEU

> Le phénomène de l’itinérance persiste et adopte de nouveaux visages, touchant des secteurs de la population dont on croyait qu’ils en étaient à l’abri. Les coûts sociaux et économiques de l’itinérance exigent des efforts renouvelés pour s’y attaquer.

> Si l’itinérance implique toujours un problème de logement, on ne peut la réduire à cela. C’est le résultat d’un processus d’exclusion; il faut donc agir sur les causes structurelles pouvant mener à l’itinérance et non uniquement sur les conséquences.

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LES PROBLÈMES

> Dans un contexte de rareté du logement locatif abordable (aggravé par le phénomène Airbnb), et alors que quelque 40 000 ménages locataires sont en attente d’un HLM, souvent depuis plusieurs années, trop peu de logements sociaux sont construits chaque année. À l’heure actuelle, aucun nouvel engagement n’a été pris pour relancer la construction.

> Entre 2014 et 2018, les programmes de lutte à l’itinérance ont surtout subventionné l’approche « Logement d’abord », ce qui a contribué au retard de développement de nouvelles unités de logements sociaux.

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CE QUE NOUS PROPOSONS

> Que le gouvernement du Québec maintienne et augmente son appui à la réalisation de nouveaux logements sociaux et communautaires en AccèsLogis, dont le volet III s’adresse aux personnes ayant des besoins particuliers incluant celles en situation d’itinérance. Le maintien d’un programme comme celui-là, ajusté pour faciliter la réalisation et l’exploitation des projets, est essentiel, tout comme un financement adéquat du soutien communautaire qui doit l’accompagner.

> La Politique nationale de lutte à l’itinérance reconnaît le soutien communautaire en logement social comme un « outil indispensable ». Les sommes investies dans ce programme doivent répondre d’une manière équitable aux besoins du milieu et contribuent à l’atteinte des objectifs prévus au Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social. Il doit également faire en sorte qu’à tout nouveau projet de logement communautaire pour personnes itinérantes soit attaché un financement pour que ce service y soit dé ployé.

> Les sommes dévolues au Québec dans le cadre de sa nouvelle entente avec Ottawa doivent répondre aux besoins diversifiés des personnes de même que prévenir et réduire l’itinérance, notamment par un soutien au développement d’installations comme des refuges, des ressources d’hébergement, des logements communautaires et des centres de jour qui pourront accueillir, loger et soutenir les personnes vulnérables. Ces sommes doivent s’ajouter aux engagements déjà prévus par le gouvernement du Québec en matière de lutte à l’itinérance et servir à bonifier son plan d’action.