11 août 2016

Logement communautaire et santé mentale : Une variété d’approches pour choisir son milieu de vie

Les personnes éprouvant un problème de santé mentale vivent très souvent en situation de pauvreté et sont, par conséquent, mal logées. Fréquemment discriminées, elles peinent à trouver un propriétaire qui accepte de leur louer un appartement et ont de la difficulté à s’insérer en logement social, faute de places. De plus, elles peuvent avoir besoin de services psychosociaux qui sont nettement insuffisants dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS). Les réorganisations successives des services publics en santé mentale ont mis fin aux soins de longue durée en hôpital psychiatrique pour favoriser le soutien des personnes dans la communauté, notamment par la collaboration entre les secteurs de la santé et de l’habitation. Mais ces réformes n’ont pas été suivies par le financement nécessaire et, par conséquent, elles ont entraîné une raréfaction des services psychosociaux. Ainsi, les OSBL d’habitation dédiés à ces personnes offrent, en grande majorité, du soutien communautaire, mais doivent souvent se financer pour le faire.

Les services en santé mentale au Québec et l’habitation communautaire : une non-institutionnalisation

Au cours des 50 dernières années, la façon de considérer la santé mentale au Québec est passée par différentes étapes, et les politiques mises en place ont suivi cette évolution qui se caractérise par un processus de « désinstitutionnalisation », ayant mené au développement des services dans la communauté, et à leur diminution dans les institutions publiques.

La désinstitutionnalisation se compose de trois processus, soit la dés-hospitalisation (faire sortir le plus grand nombre de personnes des hôpitaux psychiatriques et diminuer les lits en soins de longue durée), la non-hospitalisation (éviter autant que possible de recourir à l’hospitalisation pour traiter les personnes), et la réorganisation du système de soins (les conditions de réussite de la sortie des patients, soit le déploiement de services de soins dans la communauté et de soutien à la réintégration sociale).

Avec l’adoption successive de politiques et orientations favorisant le soutien des personnes dans la communauté (voir encadré, plus bas), une plus grande collaboration entre le secteur de l’habitation et le réseau de la santé et des services sociaux s’est peu à peu établie. À l’origine sous la pression des groupes de défense en itinérance ou en santé mentale, le soutien communautaire en logement social s’est développé, malgré la récurrence d’un financement nettement au-dessous des besoins. Pourtant, en offrant un milieu de vie et un accompagnement, cette pratique favorise la stabilité résidentielle des personnes vivant de multiples problématiques, dont des problèmes de santé mentale. De plus, elle offre une alternative de logement permanent pour les personnes qui refusent la prise en charge en hôpital psychiatrique. Pourtant, à l’heure actuelle, seulement 24 % du budget réclamé par le RQOH a été finalement attribué aux OSBL d’habitation pour le soutien communautaire. Les personnes ne sont donc prises en charge ni par le RSSS, de moins en moins en moins outillé pour la prise en charge des soins de longue durée en santé mentale, ni par le milieu communautaire qui manque de moyens.

Ainsi, la désinstitutionnalisation est en réalité devenue une non-institutionnalisation, laissant les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale avec peu ou pas d’accompagnement.

Une variété de services pour choisir son milieu de vie

Au Québec, les OSBL d’habitation pour les personnes ayant ou ayant eu des problèmes de santé mentale offrent des services variés, permettant ainsi à la personne de réellement choisir son milieu de vie. Certains proposent un encadrement plus serré avec suivi individuel, d’autres offrent un service de référencement aux services offerts par le réseau et organismes du milieu, et se contentent d’un rôle de locateur avec soutien communautaire. Un faible nombre entretient des liens organisationnels avec le réseau, c’est-à-dire que des membres des institutions siègent au conseil d’administration, ou l’organisme favorise les références des établissements avec qui ils ont une entente. Tous offrent du soutien communautaire.

En centre de jour, en hébergement transitoire ou en logement permanent, certains OSBL d’habitation accueillent aussi des personnes sortant de la rue ou à très grand risque d’itinérance, parmi lesquelles des locataires ayant à la fois des problèmes de santé mentale et de dépendance. À Montréal, cela représente environ 1 200 unités développées en grande partie par le programme AccèsLogis volet 3, tandis que les organismes hébergeant spécifiquement des personnes avec des problèmes de santé mentale représentent plus de 520 unités permanentes, développées avec le même programme.

L’approche alternative en santé mentale chez les OSBL d’habitation

La plupart des OSBL d’habitation hébergeant des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale adoptent une approche alternative. Cet axe d’intervention favorise la réduction des méfaits, c’est-à-dire qu’il repose sur la réduction des conséquences négatives liées à un comportement plutôt que l’élimination du comportement lui-même. Il privilégie également l’abandon de la médication obligatoire et encourage la médiation sociale et l’entraide entre pairs. Cette approche repose davantage sur la personne, perçue et reconnue comme telle, que sur l’évaluation médicale, l’objectif étant de considérer cette dernière dans sa globalité, pour éviter qu’elle ne s’identifie à son diagnostic. Cela passe par exemple par un changement de langage : on ne dira pas « ce schizophrène » ou « nos malades », mais plutôt « cette personne qui a reçu un diagnostic de schizophrénie » ou « ces personnes en difficulté ».

Ainsi, les relations entretenues entre l’OSBL et la personne sont d’abord et avant tout, pour la très grande majorité, celles d’un propriétaire avec son locataire. La personne est ainsi abordée par le prisme de son statut résidentiel, et non de sa maladie, en l’accompagnant avec du soutien communautaire et non en la prenant en charge. Composé de services aussi divers que du référencement, des ateliers de gestion de vie ou du support au comité de locataires, le soutien communautaire permet de responsabiliser les résidents, favorisant ainsi l’appropriation de son milieu de vie. Les interventions relèvent davantage du collectif que de l’individuel, même si bien sûr un locataire en situation de vulnérabilité recevra le soutien nécessaire jusqu’à la prise en charge par ses intervenant-e-s.

En cas d’urgence, les OSBL d’habitation peuvent diriger les personnes vers les centres de crise, qui représentent une autre alternative, temporaire cette fois, aux hôpitaux psychiatriques. Créés en 1986 par la ministre de la Santé Thérèse Lavoie-Roux, les centres de crise avaient pour but de réduire l’affluence dans les urgences psychiatriques. Au fil du temps, d’autres centres ont vu le jour, développés de façon inégale et ne couvrant malheureusement qu’une partie du territoire québécois. Il en existe actuellement vingt-quatre au Québec dont sept à Montréal. Ils offrent des services gratuits spécialisés en intervention de crise psychosociale et psychiatrique (ligne téléphonique, hébergement temporaire, suivi de crise court terme, services aux proches et aux partenaires), et ce, 24 heures par jour, 7 jours sur 7.

L’approche psychothérapeutique en OSBL : secteur de l’habitation ou de la santé ?

Certains OSBL d’habitation sont au confluent d’une approche médicale et hospitalière, et d’une approche sociale et communautaire, c’est-à-dire qu’ils contractent une entente de suivi psychothérapeutique avec les locataires, tout en offrant du soutien communautaire en dehors de l’hôpital. Déterminer si cet organisme relève du domaine de la santé ou de l’habitation devient alors un enjeu d’ordre administratif et juridique. En effet, la Régie du logement a déjà refusé de reconnaître ce type d’entente, prétextant qu’il ne s’agissait pas d’un bail puisqu’il implique une condition de suivi, ce qui ne relève pas d’un règlement d’immeuble.

Si la Régie refuse de reconnaître sa propre autorité ou compétence dans les relations entre locataires et OSBL d’habitation faisant de l’intervention thérapeutique, on peut se demander quelle autorité devrait la suppléer. Peut-être serait-il plus judicieux de renforcer la distinction entre le soutien communautaire en logement social et l’intervention psychothérapeutique en habitation. Car si les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ne trouvent plus de réelles alternatives à l’approche du suivi psychiatrique adoptée à l’hôpital, où iront-elles?

L’échec d’une approche pour un problème donné est souvent dû à la réponse unique qu’on a voulu lui apporter. Or la variété des formules (institutionnelles, alternatives, communautaires et autres) permet de répondre efficacement aux besoins des personnes. Il est donc important de continuer de développer le logement social avec soutien communautaire, qui offre des services complémentaires aux interventions des CLSC et des CHSLD.

Mise en contexte : la désinstitutionnalisation des services en santé mentale au Québec

À l’origine marquée par l’objectif d’humaniser les soins en santé mentale et de faire reconnaître les droits et libertés des individus, la « désinstitutionnalisation » des services en santé mentale commence dans les années 1960. Alors qu’un vent de réforme souffle sur le Québec, les conditions pénibles des patients des hôpitaux psychiatriques sont mises en lumière avec la parution en 1961 du livre Les fous crient au secours, écrit par Jean-Charles Pagé, un ex-patient de l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Après la mobilisation publique qui suivit la parution de l’ouvrage, la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques, présidée par le docteur Dominique Bédard, est mise en place[1]. Son rapport préconise la création des cliniques externes, des centres de jour et de nuit, des services de soins à domicile, ainsi que des foyers de transition pour les patients requérant une réadaptation aux exigences de la vie quotidienne. Aujourd’hui, ces services, quand ils existent, ne permettent toujours pas de répondre aux besoins.

En 1971, les réformes du ministre de la Santé de l’époque, Claude Castonguay, transforment l’administration et l’organisation des services sociosanitaires. L’État québécois veut alors créer un système de santé rationnel tout en limitant les coûts. De nouvelles structures sont créées, telles que les centres locaux de services communautaires (CLSC), les départements de santé communautaire (DSC) et les conseils régionaux de santé et des services sociaux (CRSSS). En 1979, ces derniers se voient confier, par décret, la responsabilité de planifier et budgétiser les programmes en matière de services de santé mentale. Les budgets sont alors gérés régionalement, ce qui mène à la fermeture des cliniques de psychologie communautaire. C’est dans ce contexte que le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale est fondé en 1983, pour défendre et regrouper les organismes communautaires allant à l’encontre de l’approche psychiatrique et biomédicale (c’est-à-dire incluant la prise de médicaments).

Au cours des années 1980, la plupart des nouveaux patients psychiatriques sont admis dans les hôpitaux généraux assurant des soins de courte durée. Le but affiché était de favoriser la non-institutionnalisation des personnes, et de diminuer le nombre de lits occupés dans les hôpitaux psychiatriques. Dans la même optique, le « virage ambulatoire » des années 1990 et la Politique de santé mentale (1989) obligent chaque établissement psychiatrique à élaborer un plan de désinstitutionnalisation. Celui-ci doit prévoir le transfert des personnes en dehors des hôpitaux et la réallocation des ressources à l’extérieur de l’hôpital dans le but de suivre les patients dans la communauté.

Depuis ces réformes, et malgré l’action des organismes communautaires, les services psychosociaux, y compris résidentiels, offerts par le réseau de la santé et des services sociaux et le milieu communautaire sont nettement insuffisants. Les usagers doivent alors se tourner vers les services privés, lesquels demeurent inaccessibles pour une large part de la population…

[1] « In Memoriam Dr Dominique Bédard, ex-président de la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques (1961-1962) », dans Santé mentale au Québec, vol. 31, n° 1, 2006, p. 9-14. http://id.erudit.org/iderudit/013681ar

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 49