7 janvier 2019

1000 % plus riches

Avec son intervention massive, surtout en matière d’accès à la propriété, l’État canadien est le principal acteur financier du monde de l’habitation. Les politiques fiscales, l’influence sur les taux d’intérêt, l’assurance prêt hypothécaire, le programme d’obligations hypothécaires ou les (relativement) modestes programmes de soutien au logement communautaire totalisent 1 000 milliards $ et s’avèrent indispensables au « bon fonctionnement » du marché immobilier.

Creusement des inégalités

Mais le « bon fonctionnement » du marché crée chaque jour plus d’iniquité dans notre société. En effet, l’immobilier est à la fois le principal facteur d’enrichissement et d’appauvrissement. Alors que les propriétaires ont vu la valeur de leurs actifs augmenter de 1000 % depuis trente ans (une maison valant 50 000 $ en 1990 vaut 500 000 $ aujourd’hui), les locataires ont vu leur loyer (leur principal poste de dépenses) grimper deux fois plus vite que l’inflation tandis que les revenus stagnent.

Cette différenciation entre riches et pauvres entraîne à son tour toutes sortes de douleurs, de maladies, de malheurs, toujours aux dépens des gagne-petit, des personnes malprises ou malchanceuses. Un malheur ne venant jamais seul, comme dit l’adage.

Cela explique pourquoi le RQOH et ses partenaires partout au Canada ont tant travaillé pour convaincre Ottawa de s’attaquer de manière décisive au fléau social et humain que le marché immobilier est en train de devenir. Le gouvernement a répondu avec sa Stratégie sur le logement. Bien que nous ayons salué la prise de conscience dont elle témoignait, nous maintenons depuis le début que cette Stratégie se voit attribuer trop peu de moyens pour provoquer un retournement de situation. Elle pourrait tout au plus occasionner un ralentissement du processus de creusement des inégalités.

Mais est-il trop tôt pour perdre espoir quant à la volonté d’Ottawa de peser de manière significative sur le déroulement des événements ?

Objectif 2030

L’optimisme est encore permis. En effet, fin 2018, la SCHL dévoilait sans tambour ni trompette un nouvel objectif organisationnel : d’ici 2030, toutes les personnes vivant au Canada doivent habiter un logement adéquat sans avoir à y consacrer plus de 30 % de leurs revenus.

La société de la Couronne s’empresse cependant de souligner qu’il s’agit d’un objectif interne et non pas d’une politique gouvernementale. La distinction est importante, car elle fait comprendre que, pour les experts de la SCHL, l’atteinte de cette cible est possible et ne dépend que des moyens qu’on y consacre. La question est de savoir si, comme société, nous désirons régler ce problème ou pas.

Objectif juin 2019

De leur côté, les objectifs officiels de la Stratégie gouvernementale se limitent à la réduction de moitié de l’itinérance chronique et la diminution d’un quart du nombre de ménages locataires payant trop cher ou vivant dans un logement insalubre ou inadéquat. Si ces objectifs étaient atteints, ce serait certes une avancée notable, mais est-ce vraiment satisfaisant? Comment pouvons-nous sérieusement nous donner comme objectif de laisser la moitié des personnes itinérantes dans la rue et les trois quarts de celles qui sont mal logées dans leur misère?

Le premier chapitre de la Stratégie canadienne dévoilé en novembre 2017 annonçait une loi sur le droit au logement. La session parlementaire se terminera en juin 2019 et nous attendons toujours le dépôt du projet de loi. Il reste moins de six mois pour procéder et chaque jour qui passe rend son adoption plus improbable et diminue la possibilité d’un réel débat sur la qualité du texte qui sera soumis.

Objectif octobre 2019

Le gouvernement fédéral a encore une marge de manoeuvre, mais il lui reste peu de temps pour bâtir son legs avant l’échéance électorale.

Stéphan Corriveau