Partie de la couverture du 8e Dossier noir sur le logement et la pauvreté

Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) a récemment publié la 8e édition de son Dossier noir sur le logement et la pauvreté au Québec, qui s’appuie sur les plus récentes données recueillies dans le cadre du recensement de la population de 2021 de Statistique Canada. Mettant en contexte la rareté et l’inabordabilité des logements locatifs, l’organisme réclame des investissements massifs en habitation sociale et communautaire. 

D’entrée de jeu, l’organisme souligne que les mesures d’aide mises en place dans la première phase de la pandémie de COVID-19 ont conduit à une diminution significative du nombre de ménages en situation de pauvreté. 

En effet, les revenus de 2020 ont été gonflés par des mesures de soutien pour bon nombre de ménages, notamment ceux dont le temps de travail avait diminué.  

La hausse de 8,2 % du revenu médian, le plus élevé depuis 1984, aura été de courte durée et n’a aucun lien avec la situation actuelle, puisque contrairement à l’aide gouvernementale, la hausse des loyers n’est pas que ponctuelle. 

Aussi, la diminution du taux de faible revenu a connu une forte tendance à la baisse entre 2019 et 2020 (de 9,4 % à 5,3 %). 

 

Situation des ménages  

En dépit de l’aide gouvernementale, plus de 25 % des ménages ont continué de consacrer une part trop élevée de leur revenu à se loger en 2021. Aussi, le loyer médian a augmenté significativement dans toutes les régions métropolitaines de recensement.  

L’état du parc locatif se serait également détérioré entre les deux recensements. 10,2 % ménages ont indiqué que leur logement nécessitait des réparations majeures, 7,1 % ont affirmé vivre dans des logements trop petits et 7,9 % vivaient les deux réalités.  

Aussi, le FRAPRU soutient que la généralisation et l’aggravation de la pénurie de logements locatifs, la hausse des loyers, qui a atteint une moyenne de 13 % en deux ans, et la multiplication des évictions de locataires ont profondément modifié le portrait depuis le recensement de 2021. 

Catégories de ménages  

Personnes seules

Les personnes seules, qui constituent plus d’un ménage sur deux, étaient les plus susceptibles d’être impactées par le prix de leur loyer.  

En 2021, les personnes seules représentaient un peu plus des trois quarts des locataires qui devaient consacrer plus de 30% ou plus de leur revenu au loyer, et de ceux dont le taux d’effort représentait 80% et plus de leur revenu.

Familles monoparentales

La situation des familles monoparentales, dont 80 % avaient à leur tête une femme, est parmi les plus précaires. Durant la période entre les deux recensements, leur revenu médian n’a pas autant augmenté que celui des familles biparentales. 

Ainsi, en 2021, 16,5% des ménages monoparentaux avaient un taux d’effort supérieur à 30%, contre seulement 7,7% des biparentaux.

Femmes 

Alors que plus d’un ménage locataire sur deux a une femme comme pilier financier, la différence de revenu avec les hommes persiste. Les femmes sont donc plus nombreuses à consacrer un taux d’effort alarmant au logement.  

L’écart entre les genres s’amoindrit seulement dans la catégorie de locataires consacrant plus de 80 % de leurs revenus au loyer. 

Jeunes et aînés 

Les jeunes de 15-24 ans et les personnes de 65 ans et plus sont les plus susceptibles d’être mal logées, avec un salaire inférieur de 7 600 $ à celui des autres locataires. 

Les ménages soutenus financièrement par les jeunes et les personnes âgées sont ainsi proportionnellement plus nombreuses à faire un taux d’effort au logement supérieur à 30 %. 

Premières Nations et Inuits 

Les populations autochtones connaissent, quant à elles, un problème de surpeuplement. Cet enjeu occasionne des impacts sur la santé des individus.  

La situation entraîne un exode vers les milieux urbains. Les locataires sont alors soumis à des problèmes de discrimination et de racisme et risquent davantage de se retrouver en situation d’itinérance.  

Immigrants 

Les locataires immigrants sont parmi les plus à risque de vivre dans un logement de taille insuffisante. Selon le recensement de 2021, 58 % des logements surpeuplés étaient habités par des immigrants.  

Selon une étude menée par Ex Aequo, en 2019, 70 000 ménages au Québec étaient en attente d’une résidence adaptée à leurs besoins.

Personnes en situation de handicap 

Près de 50 % des personnes ayant des enjeux de motricité, dont les conditions économiques sont souvent inférieures au seuil de faible revenu, étaient locataires. Le manque de logements accessibles pousse ces individus à vivre en CHSLD ou en RPA privée.  

Regard vers le futur    

Depuis la fin des transferts gouvernementaux, et en dépit de la hausse du salaire minimum, la situation des ménages locataires s’est détériorée.  

Comme l’indique le rapport du FRAPRU, « tous les indicateurs démontrent une augmentation du taux de pauvreté au Québec depuis 2021, notamment en raison d’une forte poussée inflationniste et de l’insuffisance des prestations sociales de derniers recours ». 

En effet, le coût de la vie a bondi entre 2021 et 2022, comme en témoigne l’Indice du prix à la consommation, qui a connu sa plus forte hausse depuis 1991. 

Hausse de la pauvreté 

Ainsi, 439 000 personnes, soit 5,2 % de la population du Québec, vivaient sous le seuil de la pauvreté en 2021.  

Le revenu annuel d’une personne prestataire de l’aide sociale se situe bien en deçà du revenu viable d’une personne seule, qui s’établit entre 27 047 $ et 37 822 $, selon l’emplacement en province.  

Par ailleurs, les banques alimentaires ont connu une hausse de 9 % de la demande. 

Après avoir diminué entre mars 2020 et mars 2022, le nombre de prestataires d’aide sociale a également bondi en mars 2023. 

 

Amplification de la crise 

Le contexte de rareté fait grimper le prix des logements locatifs. Les villes connaissent des taux d’inoccupation records.  

De façon globale, le taux de vacance est passé de 2,2 % à 1,7 % en un an seulement, se situant bien en dessous du seuil d’équilibre de 3 %. Le loyer moyen aurait pour sa part connu une hausse de 8,9 %.  

Qui plus est, le nombre de loyers abordables s’est grandement amenuisé entre 2016 et 2021. Les locataires ont fait face à ses reprises, des évictions et des augmentations abusives. 

Le nombre de demandes au TAL pour reprise a d’ailleurs connu une hausse fulgurante de 28,9 % en un an seulement. 

 

Conséquences pour les ménages 

Les ménages doivent souvent faire des choix déchirants pour être en mesure de se loger et de payer leurs autres dépenses courantes.  

La rareté des logements a entraîné plusieurs ménages en situation d’itinérance et en a poussé d’autres à accepter des conditions défavorables (prix trop élevé, étroitesse, insalubrité). 

 

Effets néfastes sur les enfants 

Selon un sondage mené par l’Observatoire des tout-petits, pas moins de trois familles locataires sur cinq devaient faire des choix déchirants afin d’acquitter leur loyer. 

La Commission des droits de la personne estime également que le prix des logements et leur surpeuplement sont susceptibles d’entraîner des conséquences néfastes, tels les tensions familiales et même l’abus.  

L’instabilité résidentielle a également des conséquences sur le développement des enfants, sépare parfois les familles, faute de toit, et pousse certaines mères monoparentales à vivre dans des logements inadaptés à leur réalité. 

 

Femmes victimes de violence 

Les Maisons d’hébergement pour femmes sont au maximum de leur capacité et doivent souvent refuser l’hospitalité aux femmes. Les séjours tendent également à se prolonger, tant trouver un logement s’avère difficile.  

Les femmes se retrouvent ainsi parfois dans des logements inadéquats ou excentrés ou même en situation d’itinérance. Pire, elles retournent parfois vivre avec le conjoint violent, au péril de leur sécurité et de celle de leurs enfants. 

 

Itinérance  

Le phénomène de l’itinérance est en croissance marquée, comme en témoignent les données du dernier dénombrement. Les refuges ont d’ailleurs enregistré une augmentation du taux d’occupation de 7 % entre 2014 et 2022.  

Cinq lieux montréalais d’hébergement pour femmes ont recensé 16 540 refus en 2021-2022, faute d’espace.  

 

Recours légaux 

Le FRAPRU estime que la charte des droits et la Loi protègent mal les locataires et que ceux-ci ne sont pas suffisamment informés quant aux recours qui s’offrent à eux. 

La documentation gouvernementale se retrouve en ligne, et les personnes n’ont pas toujours moyen d’y accéder.  

En outre, le processus de plainte au TAL est complexe et dissuade parfois les personnes moins scolarisées. En outre, si le TAL rend une décision qui leur est favorable, ils doivent eux-mêmes assurer l’application du verdict. 

Discrimination 

Les recours en matière de discrimination sont également ardus et ne règlent pas la pénurie de logements. 

Les ménages à l’aide sociale, les Autochtones, les personnes racisées, les jeunes, les familles monoparentales, les membres de communautés LGBTQIA+, etc., font face à de la discrimination lors de la recherche de logement.

Détérioration de la situation 

En dépit de la hausse des mises en chantier entre 2016 et 2021, la situation a continué de s’effriter et les loyers ont poursuivi leur ascension.  

Le FRAPRU estime que le manque de logements sociaux, dont la proportion a reculé entre les deux recensements, et le manque d’encadrement du marché locatif privé expliquent la situation.  

Ainsi, 173 000 ménages ont des besoins impérieux en matière de logement et les listes d’attente pour un HLM, une coopérative ou un OSBL d’habitation sont exhaustives. 

Les ménages dont les revenus, pourtant modestes, sont trop élevés pour accéder à un loyer modique, ne sont souvent pas davantage en moyen de loger dans le marché privé ni d’avoir accès à la propriété. Ils se retrouvent donc sans alternative.  

Le pari du gouvernement sur le marché privé pour accroître l’offre est ainsi voué à l’échec. Les logements libérés par les personnes plus fortunées ne resteront pas réellement abordables lors de la remise en location.  

 

Les solutions 

Les gouvernements ont démontré une volonté d’améliorer les conditions des ménages durant la pandémie. Ils doivent également le faire pour résoudre la crise du logement. 

Afin de répondre aux besoins pressants des ménages, le gouvernement du Québec aurait tout intérêt à financer adéquatement et de façon pérenne le logement social.  

Il devrait également se doter d’une politique globale en habitation articulée autour de la reconnaissance du droit au logement et de la protection des locataires. 

Finalement, le gouvernement fédéral devrait réaffecter au logement social les sommes dédiées au logement dit abordable dans la Stratégie nationale sur le logement.   

 

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