1 septembre 2013
Par Martin Bécotte, directeur général
Fédération régionale des OSBL d’habitation de la Montérégie (FROHM)
Le besoin de logements sociaux supplémentaires fait une certaine unanimité au Québec, à l’exception du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Bien que celui-ci ait déclaré, l’année dernière, dans une étude, qu’il y avait trop de logements sociaux, cette affirmation n’a pas reçu l’aval du milieu et, encore moins, celui des locataires sur les listes d’attentes. Cela dit, qui doit financer ces nouveaux logements sociaux et de quelle manière?
La pression est de plus en plus forte pour qu’une plus grande part du financement du développement soit assumée par les locataires de logements sociaux. Le financement du Fonds québécois d’habitation communautaire (FQHC) et l’instauration du projet de capital patient du Chantier de l’économie sociale détournent la mission première de nos membres qui est d’offrir des logements de qualité au moindre coût possible et non, de financer le développement.
Le Chantier de l’économie sociale, sans consultation du Réseau québécois des OSBL d’habitation, a convaincu l’ancien ministre des Finances M. Raymond Bachand d’annoncer dans son dernier budget un projet pilote introduisant un intermédiaire de plus dans la formule actuelle d’AccèsLogis, soit le Chantier d’économie sociale. Ce dernier jouera le rôle d’un prêteur supplémentaire qui financera une partie du projet d’habitation avec du capital patient. Les défenseurs de la formule prétendent pouvoir faire plus grand, ou plus d’unités, que dans la formule traditionnelle d’AccèsLogis.
Bien que 700 unités de logements doivent être produites dans ce projet pilote, le seul document public expliquant la mécanique du projet est un document PowerPoint produit par la SHQ. Le Chantier de l’économie sociale n’a produit, quant à lui, aucun document officiel pour expliquer aux OSBL d’habitation, les principaux concernés, la formule proposée au gouvernement Charest, et ce, sans les consulter.
La mécanique du projet pilote
Rappelons pour débuter que dans la formule actuelle d’AccèsLogis, 50 % des coûts de construction sont assumés par la SHQ et 15 % par une contribution du milieu. Les 35 % restant sont financés par une hypothèque remboursée à même les revenus de loyer durant 35 ans.
Selon le document de la SHQ, les organismes participants au projet pilote auraient près de la moitié de leur hypothèque financée en capital patient et l’autre partie financée par une hypothèque traditionnelle d’un terme de 15 ans. Le capital et les intérêts de la partie en financement patient ne seraient remboursés, au prêteur, qu’à la 15e année par une nouvelle hypothèque, d’un terme de 20 ans, soit jusqu’à la fin de la convention.
Les défenseurs de la formule prétendent, que de ne pas avoir à rembourser l’hypothèque et les intérêts durant les 15 premières années, permettra aux projets de dégager des liquidités dans les premières années. Or dans l’exemple fictif de la SHQ, en plus d’augmenter les frais d’intérêts payés à même les revenus de loyer des locataires de plus d’un demi-million versus un projet AccèsLogis traditionnel, l’ensemble des liquidités dégagées par la formule est récupéré en frais de gestion aux profits de la Fiducie du Chantier de l’économie sociale et du prêteur patient. Cette augmentation de coût assumée par les locataires pour les projets en capital patient est due à trois éléments:
Pour être bénéfique, l’économie sociale doit permettre d’acquérir un bien ou un service de qualité à moindre coût, ou d’avoir une valeur ajoutée telle qu’un impact environnemental ou social positif, comme de meilleures conditions de travail. Ce projet pilote développé en catimini ne répond à aucun de ces objectifs.
C’est pour les mêmes raisons que la FROHM a pris position pour demander l’abolition des contributions obligatoires au FQHC et demandons à la SHQ de libérer nos membres de cette obligation.
La contribution obligatoire prévue à la convention d’exploitation des projets AccèsLogis au FQHC demandera aux locataires, sans supplément au loyer, majoritaires dans les projets de contribuer au développement d’unités en payant une taxe régressive de 27 $ à 70 $ par mois, durant 25 ans, sur leur loyer pour permettre à leur organisme de rembourser sa contribution. Nos analyses nous permettent de déterminer que 100 % des projets auront besoin de chaque dollar disponible pour assurer la pérennité de leurs immeubles et maintenir des logements de qualités à coût accessible avant la fin de leur convention. De plus, même en ne contribuant pas au Fonds, presque la totalité des projets sera en manque de liquidité avant la fin des conventions.
Alors que le gouvernement du Québec a mis sur pied pour Bombardier un fonds d’un milliard, à même les taxes et impôts de tous les Québécois, à des conditions tenues secrètes, pour les avions Cseries, comment justifier la demande faite aux locataires de logements sociaux, de payer « leur juste part » et de « donner au suivant », en participant aux financements du développement?
Le FQHC et sa capitalisation mettra en péril les projets actuels et contrairement aux défendeurs du Fonds, nous croyons que la capacité de payer des locataires de logements sociaux, tout comme celle des actionnaires de Bombardier semble-t-il, n’est pas illimitée. Le financement des projets et l’augmentation du développement doivent être financés, tout comme le fonds Bombardier, par des impôts progressifs et dans une perspective de partage de la richesse et de justice sociale.