11 août 2016
Pour mieux comprendre les multiples visages de l’itinérance des femmes, Anne-Gaëlle Leloup et Jacqueline Recinos, intervenantes au YWCA de Montréal, et Anne Bonnefont, organisatrice communautaire au RAPSIM, apportent la richesse de leurs connaissances et expériences de terrain. Elles rappellent les spécificités de l’itinérance au féminin et l’importance de la diversité des pratiques pour outiller ces femmes dans leur démarche pour regagner autonomie et stabilité. Leurs analyses s’inscrivent dans une critique des politiques successives mises en place au Québec. Leurs présentations et les échanges avec la salle sont animés par Sylvie Boivin, directrice de l’Anonyme.
En avril 2016 à Montréal, le colloque du RQOH « Parce que l’avenir nous habite » et le congrès de l’ACHRU ont rassemblé ensemble plus de 1000 intervenants du secteur de l’habitation venant des quatre coins du Québec et du Canada. Des conférences inspirantes, des visites instructives et des échanges fructueux ont fait de ce rendez-vous un véritable succès ! Rappel d’un moment fort.
Une itinérance méconnue et sous-estimée
C’est en 2014 que le gouvernement québécois reconnaît pour la première fois sa responsabilité officielle en matière de lutte à l’itinérance par l’adoption de la politique nationale. Saluée par les organisations du secteur, celle-ci met en lumière l’importance d’agir collectivement pour le respect des droits fondamentaux des personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être. Elle souhaite encadrer des actions qui se déploieront tant en intervention qu’en prévention. De plus, la politique reconnaît la multiplicité des visages de l’itinérance et l’importance d’offrir une variété de réponses en agissant sur cinq axes, dont le logement.
Pour Anne Bonnefont du RAPSIM, la politique est un début de reconnaissance qu’il faut nuancer. En effet, le premier plan d’action qui suit la politique a démontré certaines limites quant à l’intervention auprès des femmes en situation d’itinérance. « L’itinérance au féminin est un phénomène méconnu et sous-estimé, explique-t-elle. Il est moins visible que chez les hommes. Dans le plan d’action, la seule mesure s’adressant spécifiquement aux femmes est la documentation du phénomène de l’itinérance portée par le Secrétariat à la Condition féminine. » Bien que cette mesure soit pertinente, il aurait été primordial que le gouvernement se mette aussi rapidement en action afin de mettre en place des mesures structurantes pour intervenir auprès des femmes. Elle ajoute que « pour être fidèle à la politique, le gouvernement aurait dû utiliser l’analyse différenciée selon les sexes afin de connaître les impacts des différentes mesures adoptées par les différents ministères sur les femmes. »
« Le logement social avec soutien communautaire est important dans la trajectoire de rétablissement des femmes »
La réduction de 50 % du nombre d’unités de logement social dans le programme Accès Logis est un exemple concret qui aura certainement un impact important chez les femmes. Le logement social permet une stabilisation à la sortie de la rue et de prévenir la rue. Selon Anne-Gaëlle Leloup et Jacqueline Recinos du Y des femmes de Montréal, le logement social avec soutien communautaire est important dans la trajectoire de rétablissement des femmes, qu’il soit transitoire ou permanent. « Comme souligné plus tôt, les femmes adoptent des stratégies de survie différentes des hommes, exposent-elles. Les femmes tendent davantage à errer dans les lieux passants et à ne pas dormir dans la rue. Elles cherchent un lieu sécuritaire et sécurisant. » Ainsi, la vie communautaire qu’offrent ces milieux de vie permet aux femmes de regagner du pouvoir sur leur vie.
Les conférencières poursuivent avec l’inscription de l’approche stabilité résidentielle avec accompagnement (Housing First) dans le plan d’action, qui illustre aussi les contradictions dans les actions du gouvernement. D’une part, estiment-elles, en adhérant au changement de critères du financement fédéral, principal financement en matière d’itinérance, et en orientant un important pourcentage de l’enveloppe au déploiement de cette approche, le gouvernement a sacrifié une diversité des pratiques dont plusieurs répondaient aux besoins des femmes. D’autre part, les femmes sont moins rejointes par cette approche du fait que le programme s’adresse aux personnes en situation d’itinérance chronique et épisodique.
L’atelier se termine par des échanges qui soulignent que dans l’application de ses politiques et le déploiement de ses actions, le gouvernement du Québec se doit d’être vigilant afin de s’assurer d’une cohérence pour intervenir efficacement en itinérance. Il est essentiel qu’il mesure les impacts sur la vie des femmes dans la réforme de ses programmes.