10 juin 2021
Afin de discuter de solutions à long terme à la crise du logement et pour signaler leur inquiétude face à des réponses s’appuyant sur des logiques de recours au secteur privé à but lucratif, les princiaux acteurs du développement du logement social et communautaire au Québec demandent une rencontre avec la ministre responsable de l’Habitation, Andrée Laforest. Nous reproduisons ici la lettre qu’ils lui ont transmis cette semaine.
—
Madame la ministre,
Votre gouvernement reconnaît l’importance de la pénurie actuelle en logements abordables. Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses interventions de votre part ces dernières semaines, notamment pour annoncer la concrétisation de projets visant à augmenter l’offre de logements dans la grande région de Montréal, mais aussi dans le reste du Québec. Nous saluons votre travail. Dans le contexte où vous avez annoncé des modifications imminentes au programme AccèsLogis et que votre gouvernement réfléchit aux meilleurs moyens de favoriser l’abordabilité des logements, dont les aides directes à la personne, nous vous adressons aujourd’hui cette lettre. L’économie sociale joue un rôle névralgique dans le développement et la gestion d’immeubles à logements abordables et nous souhaitons contribuer à votre réflexion en vous suggérant quelques pistes de solutions. Ensemble, les partenaires de l’immobilier collectif, nous sommes en mesure de relever le défi de la pénurie de logements sociaux et abordables.
En 1996, dans un contexte de crise, à la veille du Sommet sur l’économie et de l’emploi, les réseaux de logements communautaires ont proposé un vaste chantier de construction pour répondre aux besoins des mal-logées et créer de l’emploi. En réponse à cette initiative, qui a été reprise par le groupe de travail sur l’économie sociale dans son rapport « Osons la solidarité » le programme Accèslogis a vu le jour. Depuis sa mise en place, les résultats démontrent qu’il existe une autre option que celles d’imposer un gel de prix ou de subventionner l’acheteur ou le locataire d’un immeuble, des approches au demeurant qui ne garantissent pas le caractère abordable d’un logement sur le long terme. D’autres façons de faire peuvent nous permettre d’arriver à notre objectif. Des modèles d’affaires collectifs parviennent à pérenniser le logement abordable, et dont la qualité est assurée par le biais de la gestion par les usagers et la communauté. On le constate d’ailleurs au regard du portrait général du logement abordable québécois : le logement de propriété privée collective représente plus de la moitié (85 000) des quelque 160 000 unités de logements sociaux et communautaires sur le territoire (75 000 unités pour les Offices d’habitation). Ces modèles sont d’ailleurs une composante importante du modèle québécois en matière de logement qui permet l’occupation dynamique du territoire. C’est entre autres grâce à ces solutions que le Québec a été plus résilient face à des crises externes qui ont mis à mal l’accès au logement ailleurs en Amérique du Nord. Prioriser le collectif, c’est donc fournir non seulement une réponse à nos besoins actuels, mais c’est aussi prévenir de futures pénuries de logements et en mitiger les effets.
Il manquerait toujours 50 000 logements sociaux ou abordables à la grandeur du territoire. Ceux-ci sont à développer dans des contextes bien différents (urbains et ruraux, réhabilitation immobilière et nouvelles constructions) et pour différents publics (aînés, étudiants, familles, personnes vulnérables). Bien que l’aide aux loyers puisse sembler à première vue une avenue intéressante pour contribuer à résorber la pénurie de logements abordables en augmentant le pouvoir d’achat des Québécoises et des Québécois, et elle l’est dans un cas particulier d’urgence, il faudrait cependant augmenter en moyenne de 85% les revenus des populations visées pour rendre leur loyer « abordable » en comparaison avec leurs revenus[1]. Une dépense faramineuse pour les contribuables alors que rien ne garantit que ces logements soient revendus à des prix abordables et que le gouvernement aura en tout temps les moyens de ces subventions. Bref, l’aide à la personne a son utilité alors que le Québec connaît une pénurie de logements abordables, mais elle ne constitue pas une réponse pérenne aux enjeux locatifs.
Pour atteindre les objectifs du gouvernement en matière de logement, il faut plutôt soutenir les réponses qui dépassent l’aide à l’individu et qui se basent à l’opposé sur le développement et la gestion par les communautés d’habitations dans un souci de cohésion sociale et d’abordabilité à long terme. Ces réponses existent et sont éprouvées. Par exemple, les organismes sans but lucratif d’habitation gèrent des actifs de 5 milliards $ et un parc immobilier de 3000 immeubles qui offrent 55 000 logements. Les coopératives d’habitations, fortes de leurs 30 000 unités de logements qui représentent des actifs de 3,2 milliards $ témoignent de la volonté d’acteurs à travers le Québec de prendre en charge la réponse à leurs besoins dans la durée. Dans les grandes villes comme les municipalités moins populeuses, des solutions innovantes répondent à des besoins ciblés, que ce soit l’UTILE qui développe le logement étudiant dans les villes étudiantes, les modèles de résidences pour personnes âgées collectives – solution prédominante pour l’offre de logement dans les petites communautés – ou la mise sur pied de nouvelles formules innovantes telles les fiducies d’utilité sociale et les coopératives de propriétaires. L’Association des groupes de ressources techniques ainsi que la maturité de certains réseaux assurent une capacité de développement de nouvelles unités en fonction des besoins et des ressources existantes sur le territoire, dans le respect des échéanciers et des coûts.
Fort de cette expertise et de notre ambition d’assurer un Québec où l’accès au logement est à la portée de tous, nous unissons notre voix pour 1) réitérer notre volonté d’être mis à profit pour répondre aux besoins de logements abordables à court terme tout en assurant le maintien de cette abordabilité dans le temps 2) signaler notre inquiétude face à des réponses s’appuyant des logiques de recours au secteur privé à but lucratif combinés à des subventions aux locataires, risquant d’être beaucoup moins structurantes et pérennes voire plus coûteuses, à long terme. 3) proposer l’adoption d’une politique nationale sur l’inclusion de logements abordables à perpétuité et témoigner de notre volonté à y contribuer, tant dans l’idéation que dans la mise en œuvre.
L’économie sociale a contribué de façon significative au développement du Québec. Ces façons de faire collectives nous distinguent à l’international et sont garantes d’un développement plus inclusif et plus résilient sur l’ensemble du territoire, développement dont l’accès au logement est un aspect critique. Elles témoignent également de la capacité des acteurs terrain de développer des façons de faire innovantes qui répondent dans la durée à des besoins nouveaux.
Ce court tour d’horizon ne peut résumer en lui seul l’utilité de l’économie sociale dans l’atteinte des objectifs de votre gouvernement en logements sociaux et abordables. Nous sommes persuadés qu’une rencontre prochaine pourrait sans aucun doute permettre de pousser plus loin la réflexion. En ce sens, nous sollicitons une rencontre avec votre équipe à ce sujet.
Dans l’attente d’une réponse positive à cette demande, recevez madame la ministre, l’expression de nos meilleurs sentiments.
Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale
André Castonguay, président du Réseau québécois des OSBL d’habitation (RQOH)
Jacques Côté, président de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH)
Alain Marcoux, président de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ)
Laurent Levesque, directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE)
[1] Analyse du Réseau québécois des OSBL d’habitation (RQOH), Observatoire de la retraite, 8 mai 2019, Montréal