Les impacts de la pandémie de COVID-19 ont été durement ressentis dans le secteur des résidences pour personnes aînées. Régulièrement confondues avec les milieux d’hébergement, les RPA (pour résidences privées pour aînés) ont eu mauvaise presse et ont été exagérément décrites comme des endroits non sécuritaires. Aussi, les périodes de confinement auxquelles les résidentes et résidents ont été astreints ont lourdement contribué à ce que les RPA soient vues comme des « prisons », alors qu’elles étaient rarement perçues de la sorte auparavant.
Ces dommages collatéraux de la pandémie ne sont pas sans impacter les RPA communautaires, exploitées par des organismes sans but lucratif. Un récent sondage mené par le RQOH nous apprend ainsi que près de la moitié des RPA OSBL (46 %) sont en difficulté et évaluent que leur viabilité est compromise à court ou moyen terme, à défaut d’un soutien conséquent qui pourrait leur être offert.
Alors que le secteur avait été relativement épargné par les vagues de fermetures de résidences avant la pandémie, l’année 2021 a vu la fermeture de cinq RPA OSBL, tandis qu’une sixième a dû réduire son offre de services pour ne plus être assujettie à la certification. Et à ce jour, ce sont au moins trois autres résidences qui ont fermé leurs portes ou transmis leur avis de fermeture. Va-t-on laisser l’hécatombe se poursuivre ainsi ?
Les près de 200 RPA OSBL actuellement en exploitation totalisent environ 8 400 logements. On les retrouve dans 300 municipalités et toutes les régions. Bien qu’elles ne représentent qu’une fraction des 1 600 RPA, les RPA OSBL occupent une place irremplaçable et distincte des grandes résidences à but lucratif.
À commencer, bien sûr, du fait qu’elles s’adressent principalement à des personnes à faible revenu, pour qui la majorité des RPA ne sont pas ou peu accessibles. Aussi, plusieurs sont situées en milieu rural, où elles sont souvent la seule offre de résidence disponible.
Globalement, les RPA OSBL sont des organisations beaucoup plus modestes que les grandes résidences, comme en témoigne leur nombre moyen d’unités locatives qui est de 42, comparativement à 85 toutes RPA confondues. Autre caractéristique distinctive : la moitié d’entre elles sont de catégorie autonome, c’est-à-dire qu’elles n’offrent pas de soins à la personne, alors que seulement 7 % des RPA à but lucratif sont de cette même catégorie.
Ajoutées au fait qu’elles sont administrées par des bénévoles, ces caractéristiques des RPA OSBL laissent voir qu’elles ne disposent pas de capacités ou de systèmes de gestion de même ampleur que les grandes résidences à but lucratif – et à plus forte raison que les établissements du réseau de la santé. En termes de personnel, cela se traduit par un total d’environ 2 900 personnes salariées, pour une moyenne de 14,5 par résidence ; dans les RPA à but lucratif, on parle plutôt de 26 employés.
Enfin, mentionnons que la plupart offrent des possibilités d’implication et de prise en charge de leur milieu aux locataires, à qui une place est souvent offerte dans l’administration de la résidence. C’est notamment le cas dans les 150 RPA OSBL réalisées avec l’appui des programmes de la Société d’habitation du Québec, dont principalement le programme AccèsLogis. Tout cela fait qu’on peut vraiment parler d’une différence communautaire, qui les distingue et les caractérise.
Le coup de sonde réalisé par le RQOH en mars dernier jette une lumière crue sur les impacts de la pandémie sur le fonctionnement et la viabilité des RPA OSBL. On note entre autres une importante augmentation des tâches administratives, dont l’impact financier est évalué à plus de 20 000 $ par résidence. Et tout porte à croire que cette pression administrative ne diminuera pas, malgré la levée des mesures sanitaires. En dépit des aides financières consenties par le gouvernement – qui étaient temporaires et ont d’ailleurs pris fin le 14 mai – les organismes arrivent de plus en plus difficilement à éviter les déficits.
Les enjeux liés à la pénurie de personnel, notamment, les affectent durement. Les deux tiers des résidences rapportent ainsi être à court de personnel. Ce phénomène s’étend à tous les types d’emploi, des préposés·es aux services d’assistance personnelle jusqu’au personnel de cuisine. Compte tenu de l’attraction exercée par le réseau de la santé, où les conditions salariales ont été rehaussées depuis deux ans, bon nombre de RPA OSBL ont accordé des augmentations de salaires à leur personnel en 2021, en sus des primes salariales COVID. Le pourcentage moyen de ces hausses s’est établi à 6,5 %.
Cette importante augmentation des dépenses d’exploitation n’a pas empêché près du tiers des résidences de perdre du personnel au profit d’un établissement du réseau… Une gestionnaire nous a résumé la situation en ces termes : « Nous avons deux postes à combler, mais personne n’applique et avec la coupure des primes, cela va être encore plus difficile. Ça pourrait rendre la survie de la résidence problématique. »
Autre phénomène qui était pourtant marginal avant la pandémie, plusieurs RPA OSBL connaissent des taux d’inoccupation effarants. Il n’est plus rare qu’une personne inscrite sur une liste d’attente décline l’offre qu’on lui fait quand un logement devient disponible ; la perspective d’aller habiter en RPA s’est assombrie durant la pandémie. Globalement, les RPA OSBL affichent actuellement un taux d’inoccupation de 9,5 %, ce qui n’est tout simplement pas viable pour des organismes sans but lucratif, dont l’équilibre financier ne tient qu’à un fil.
Le fait que de plus en plus de gens repoussent le moment où ils iront loger en RPA a aussi pour conséquence que plusieurs y arrivent alors qu’ils sont déjà en perte d’autonomie, leurs besoins en services s’avérant de plus en plus lourds. Cela crée une pression sur les résidences OSBL pour qu’elles offrent plus de services – alors que par ailleurs, elles n’ont ni l’intention (ce serait contraire à leur mission) ni de toutes manières la capacité d’augmenter les loyers exigés.
Entre les milieux d’hébergement et de soins de longue durée, qui ne suffisent pas à répondre à la demande (en dépit de la construction des nouvelles maisons des aînés), et le modèle dominant des RPA à but lucratif – qui dispensent les services dont les personnes aînées ont besoin à celles qui ont les moyens de se les payer – quelle place allons-nous réserver aux personnes aînées à faible revenu ou à celles qui souhaitent rester dans leur communauté, et qui ont besoin d’un milieu de vie collectif où habiter et recevoir les services appropriés ?
Depuis plusieurs années, le RQOH plaide pour qu’on reconnaisse la spécificité des RPA communautaires, qui se traduirait par un soutien financier conséquent, un encadrement réglementaire plus souple et une collaboration plus adaptée à leur situation avec le réseau de la santé.
Dans le nouveau projet de règlement sur la certification des RPA publiée le 20 avril, le gouvernement du Québec propose de créer une catégorie distincte pour une partie des RPA OSBL, soit celles qui n’offrent pas de soins à la personne. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais il faudrait que toutes les RPA communautaires soient reconnues pour ce qu’elles sont : à savoir des acteurs irremplaçables pour que l’ensemble des personnes aînées puissent vieillir dignement, dans leur communauté, et qu’aucune ne soit laissée de côté.
Un bel enjeu de société, alors qu’on s’apprête à vivre une nouvelle campagne électorale !
Jacques Beaudoin
Directeur des affaires publiques et juridiques – RQOH