19 septembre 2024

Crise du logement et injustice climatique

L’Observatoire québécois des inégalités a récemment publié un rapport qui étudie les interrelations entre l’itinérance et les changements climatiques.

L’Observatoire cite d’emblée le GIEC, qui estime que le réchauffement planétaire surpassera le seuil critique de 1,5 °C durant le 21e siècle. Les populations qui concourent le moins aux changements climatiques sont les plus vulnérables face à ceux-ci. Or, nous savons que le portrait de la pauvreté change et que les ménages québécois sont plus sujets à vivre un épisode d’itinérance.

> Objectifs et méthodologie

 

Le rapport étudie les conséquences différenciées et les stratégies d’adaptation des personnes itinérantes face au phénomène. Il met aussi de l’avant certaines pistes de réflexion et des axes à approfondir.

- Extrait du rapport de l’Observatoire

Dans ce contexte de l’aggravation du phénomène de l’itinérance et de la diversification de ses visages, les impacts du climat changeant conjugués à la crise du logement risquent d’exacerber les inégalités sociales et climatiques vécues par ces personnes déjà en situation de grande précarité.

Pour étayer la réflexion, l’étude s’appuie sur la littérature, notamment une trentaine de documents, de même que des entretiens semi-dirigés. Ces derniers ont fait ressortir des données qualitatives des témoignages recueillis. La démarche inclut le concours d’un comité aviseur qui a permis approfondir le préprojet de recherche et de dégager des angles morts.

 

La recherche adopte l’approche intersectionnelle ADS +. Celle-ci fournit un cadre analytique concernant les facettes identitaires et les systèmes d’oppression influençant le parcours des individus.

> Justice environnementale

 

La justice environnementale est inhérente à la justice sociale. Aussi, la littérature sur le sujet commence à aborder les enjeux vécus par les personnes en situation d’itinérance.

 

En effet, les groupes les moins fortunés et les plus marginalisés, qui sont les moins responsables des changements climatiques, en paient injustement les frais. Ce sont eux dont la santé est la plus menacée. Il importe de le reconnaître afin d’éviter de creuser ces inégalités. Nous nous efforçons ici de résumer les grandes lignes du rapport quant aux injustices socioclimatiques vécues par les groupes d’individus les plus vulnérables. Cet article décrit ainsi les impacts de la crise climatique en lien avec ces populations et les mesures d’adaptation à déployer.

> Vulnérabilité

 

La vulnérabilité des personnes aux bouleversements climatiques est vue sous le spectre de l’exposition physique dans un contexte géographique. Sous l’angle des changements climatiques, le concept « désigne donc la prédisposition d’individus ou de groupes sociaux à être impactés négativement par leurs répercussions ».

 

Le territoire lavallois a été particulièrement étudié, en raison de son leadership climatique et de son analyse des risques et vulnérabilités. Aussi, on constatait peu d’itinérance à Laval, jusqu’au début des années 2000. Or, elle est de plus en plus présente et les ressources se sont multipliées afin de faire face à cette réalité difficile à cerner.

- Extrait du rapport de l’Observatoire

Étant donné les perturbations du système climatique et la plus grande variabilité climatique, une augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité de ces extrêmes climatiques sur le territoire québécois est à prévoir pour les décennies à venir.

> Climat changeant

 

Les vagues de chaleur augmenteront et seront plus soutenues, surtout en raison des îlots de chaleur urbains. Les précipitations devraient également s’accroître au fil du temps, ce qui pourrait engendrer des inondations et des débordements des systèmes pluviaux et d’égouts.

En raison des chaleurs accablantes, les feux de forêts seront plus fréquents et la qualité de l’air se détériorera. La hausse des températures intensifiera également la présence des maladies à transmission vectorielle (ex. maladie de Lyme ou virus du Nil occidental).

> Mesures d’adaptation

- Marie-Jo Ouimet, chargée d'enseignement de clinique de l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Les changements climatiques vont plus vite que la mise en œuvre des mesures d’adaptation. Nous serons donc toujours en déficit, à moins d’accélérer les choses.

Il sera difficile d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et des mesures d’adaptation doivent être déployées.

Notons que le Québec a un mis sur pied un Plan pour une économie verte 2030. Son objectif est de réduire les GES et d’atténuer les effets délétères des modulations climatiques. La Ville de Laval, largement analysée dans le rapport, s’est pour sa part dotée d’un premier Plan d’adaptation aux changements climatiques en 2016. En 2023, elle a publié un nouveau plan pour l’horizon 2035.

 

Hélas, les personnes en situation d’itinérance ne sont pas désignées comme faisant partie des groupes les plus vulnérables face aux bouleversements climatiques.

Puisque les définitions de l’itinérance varient et contribuent à l’invisibilisation de certaines situations, il importe d’adopter des définitions larges et inclusives. Elles comprennent plusieurs facteurs de fragilisation du parcours de vie des individus. Les évictions ont également fait basculer plusieurs individus dans cette situation, notamment les femmes âgées, comme en témoignait l’organisme Le Chaînon.

L’itinérance cachée semble être répandue, mais elle demeure peu documentée, car plus complexe et difficilement mesurable.

- Extrait du rapport de l’Observatoire

L’adaptation englobe donc les différentes initiatives et mesures qui visent à limiter les effets négatifs, à diminuer la vulnérabilité et à bénéficier des effets positifs engendrés par les changements climatiques.

> Portraits et parcours variés

 

La diversification des parcours donne lieu à l’apparition de besoins variés auxquelles la société doit répondre.

Le rapport soulève par exemple que les femmes sont exposées à des types de discriminations différents. Aussi, les ressources sont souvent mésadaptées pour elles.

L’étude note que les personnes autochtones sont surreprésentées dans la documentation. Les jeunes sont nombreux à vivre de l’itinérance cachée. Les personnes de 50 ans et plus, qui sont considérées comme âgées lorsqu’elles sont itinérantes, seraient également plus sujettes à vivre de l’itinérance.

- Extrait du rapport de l’Observatoire

On mentionne en effet le « vieillissement accéléré » des personnes vivant en situation d’itinérance, qui se traduit notamment par un taux de mortalité qui est de trois à quatre fois plus élevé que celui de la population générale au Québec ainsi qu’un âge moyen de décès à 39 ans au Canada, ce qui illustre l’ampleur des inégalités sociales de santé et de qualité de vie vécues par les personnes en situation d’itinérance.

Chose certaine, le phénomène de l’itinérance demeure en croissance marquée. Cela s’inscrit en corrélation avec la hausse du coût de la vie et l’aggravation des problèmes de santé mentale.

 

Conscient du phénomène, le MSSS vient d’ailleurs d’injecter des fonds afin de favoriser la transition des personnes itinérantes vers le logement permanent dans la région de Montréal.

> Cercle vicieux

 

Les inégalités multidimensionnelles et intersectorielles alimentent l’exposition aux effets des changements climatiques. Aussi, les extrêmes climatiques prennent de l’ampleur et l’été n’offre plus de répit aux personnes itinérantes. Cela diminue la capacité d’adaptation des individus et creuse les inégalités sociales. Les chaleurs accablantes sont particulièrement difficiles pour les aînés sans abri.

- Janie Houle, titulaire de la Chaire de recherche de l’UQAM sur la réduction des inégalités sociales de santé

Notre filet de protection sociale est insuffisant pour protéger les plus vulnérables des épisodes de chaleur.

Le phénomène des personnes itinérantes en contexte de changements climatiques est peu documenté. Or, puisque les changements climatiques prennent de l’ampleur, il importe de se pencher sur la question afin de mieux cerner les enjeux qui l’entourent.

 

Finalement, les personnes itinérantes ne sont pas considérées dans les prises de décision les concernant. Pour cause, elle sont souvent moins bien informées et mal reconnues socialement. Le rapport porte ainsi un message en faveur de la réduction des inégalités socioclimatiques et de la documentation du phénomène, afin de mieux pouvoir le contrer.

- Le Devoir

La crise climatique qui s’aggrave risque d’ailleurs de provoquer davantage de décès dans les années à venir, à défaut de mesures d’adaptation plus ambitieuses.