Le gouvernement conservateur semble ignorer le « modèle québécois » en terme de lutte à l’itinérance, un modèle multidisciplinaire qui a fait ses preuves. Plutôt, il propose une approche unidimensionnelle qui comporte des risques. En effet, la Stratégie Résidentielle avec Accompagnement (SRA) présentée par Ottawa, aussi connue sous l’appellation «Logement d’abord» et testée avec «Projet Chez Soi», soulève bien des interrogations. Petit tour d’horizon d’un enjeu complexe, mais incontournable pour notre société et pour les OSBL d’habitation.

Depuis quelques années, et avec de plus en plus d’insistance, le gouvernement fédéral conservateur essaie d’imposer une approche unique et mur à mur dans la lutte à l’itinérance, généralement présentée en opposition à ce qu’on qualifie parfois de « modèle québécois » et qui valorise une approche multifacette. En effet, la Stratégie Résidentielle avec Accompagnement (SRA) présentée par Ottawa, aussi connue sous l’appellation «Logement d’abord» et testée avec «Projet Chez Soi», soulève bien des interrogations. Petit tour d’horizon d’un en jeu complexe, mais incontournable pour notre société et pour les OSBL d’habitation.

Éric Latimer, chercheur principal du Projet Chez Soi, affirmait récemment : « Quand on a les moyens d’aider ces gens-là, que les conditions sont favorables, ils peuvent retrouver leur dignité . » Paradoxalement, il s’agit exactement du résultat auquel parviennent les organismes sans but lucratif (OSBL) depuis longtemps avec leur modèle. La transformation anticipée est donc plutôt surprenante puisque les conclusions du Projet Chez Soi ne proposent pas de solutions différentes au modèle québécois de lutte contre l’itinérance, mais ne se borne qu’à un seul volet. Qui plus est, les orientations fédérales en matière de réponse à l’itinérance, au-delà des résultats du Projet Chez Soi, nous paraissent incohérentes.

Un changement d’approche? Pas exactement.

L’itinérance n’est pas qu’un problème de logement, mais implique toujours un problème de logement. Dans le milieu des OSBL d’habitation, les différents intervenants n’hésiteront pas à dire que les conclusions du Projet Chez Soi sont justes : les probabilités de sortir un itinérant de la rue augmentent significativement si on lui fournit 1) un logement; 2) un accès rapide aux ressources; 3) un accompagnement à la hauteur de ses besoins.

Ce projet pancanadien ne fait donc que confirmer que les groupes communautaires québécois qui interviennent en itinérance vont dans le bon sens, c’est-à-dire offrir des logements et dispenser le soutien nécessaire pour assurer la stabilité résidentielle des locataires. C’est ainsi qu’on arrive à avoir un système fluide, rapide et efficient de lutte à l’itinérance. Aucun de ces constats n’est contesté par les textes disponibles sur la recherche du Projet Chez Soi.

Chez Soi identifie les faiblesses du « modèle québécois » : offre de logement trop modeste; moyens insuffisants pour le soutien des populations; lourdeur et lenteur des institutions (principalement en santé, services sociaux, éducation et justice) qui contraignent les personnes à s’adapter à elles plutôt que l’inverse. Franchement, il n’y a rien de nouveau sous le soleil dans ces « découvertes »!

Voir l’arbre, mais ignorer la forêt

Là où le danger pointe avec le Projet Chez Soi, c’est de procéder à la simplification des enjeux et des approches et d’inviter les bailleurs de fonds à mettre tous leurs œufs dans un seul panier. En se positionnant comme le seul modèle valable d’intervention, Chez Soi porte en lui le gène de la monoculture et des solutions mur à mur qui finissent toujours par générer d’importants effets néfastes. L’itinérance est, par définition, complexe, et l’action dans ce domaine requiert une combinaison d’interventions adaptées aux différents volets et aux différentes expressions du phénomène. Le travail de rue, l’aide alimentaire, les programmes d’insertion sociale et professionnelle, la rénovation ou la construction de refuges ou de centres de jour, le logement social avec soutien communautaire, sont autant de réponses nécessaires aux besoins variés ressentis par les personnes itinérantes.

Bref, si Chez Soi fait la preuve qu’une intervention intensive peut être pertinente avec une partie des itinérants chroniques, il ne démontre absolument pas l’inefficacité de l’intervention communautaire de prévention, au contraire! Le plus surprenant est qu’une bonne part des participants au projet ont continué à utiliser les centres d’accueil, soupes populaires et autres ressources communautaires destinées aux itinérants, en plus du soutien offert par Chez Soi. On aurait donc pu croire que l’étude soulignerait l’apport de ces mesures déjà en place, mais il n’en est rien…

L’enjeu ne doit pas être de détourner les ressources vers une nouvelle approche miracle, mais plutôt de renforcer tous les aspects de la lutte à l’itinérance, comme le propose d’ailleurs le récent plan d’action interministériel provincial de lutte à l’itinérance adopté par le Québec.

Projet Chez Soi : les incohérences du fédéral

Le Projet Chez Soi aura reçu 110 millions de dollars sur 5 ans de Santé Canada (par le biais de la Commission de la santé mentale du Canada) de 2008 à 2013, pour démontrer qu’un logement, accompagné d’excellents services de soutien, favorise efficacement la réinsertion et la stabilité résidentielle chez les personnes itinérantes. Pour le secteur des OSBL d’habitation, cette conclusion n’a rien de surprenant puisque c’est la prémisse sur laquelle repose l’ensemble de ses interventions et revendications de soutien depuis des dizaines d’années.

Éric Latimer a raison: il est possible de sortir les itinérants de la rue. Aucun intervenant en logement social n’affirmerait le contraire. Mais pour le faire rapidement, encore faut-il pouvoir offrir des logements sociaux et des milieux de vie avec du soutien communautaire dans lesquels les locataires pourront s’enraciner. Assister au retour à la rue de personnes démunies faute de logements accessibles et de soutien est un scénario qui se reproduit sans cesse. C’est chaque fois d’une tristesse sans nom.

Le soutien communautaire pour contrer l’itinérance

Au-delà du logement, les OSBL d’habitation offrent en majorité un accompagnement appelé « soutien communautaire », qui réfère à un ensemble d’actions visant l’appui social des individus et/ou des groupes. Celles-ci peuvent aller de l’accueil et la référence à l’accompagnement auprès des services publics, en passant par la gestion des conflits entre locataires, l’intervention en situation de crise, l’intervention psychosociale, l’organisation communautaire ou le support aux comités de locataires. En 2007, suite à l’adoption d’un cadre de référence conjoint avec la SHQ, le MSSS a commencé à financer les interventions de soutien communautaire en logement social. Cette approche permet entre autres de favoriser la stabilité résidentielle chez les personnes âgées à faible revenu et en perte d’autonomie.

En 2009, le budget investi en soutien communautaire par le MSSS se chiffrait à 5 millions de dollars, récurrents annuellement, pour les OSBL d’habitation, offices municipaux d’habitation (responsables des HLM ) et autres organisations communautaires, et donc partagés pour venir en aide aux 130 000 ménages habitant en logement social dans tout le Québec. Les différents intervenants du milieu s’entendent pour dire que ces montants sont nettement insuffisants pour assurer un soutien auprès des locataires à risque d’instabilité résidentielle.

Pas étonnant, dans ce contexte, que l’étude Chez Soi soit dénoncée de manière aussi virulente. Pour parler clairement, voici un exemple : en 2009, le nombre de personnes desservies par le financement en soutien communautaire du MSSS était de 24 234 $, soit un montant moyen de 206 $ par an, par personne. Ce montant équivaut à moins que la somme mensuelle pour les personnes participantes au projet Chez Soi. Dans ces circonstances, conclure que Chez soi est plus efficace que les autres méthodes relève du sophisme.

« Follow the money »

En 1994, le gouvernement fédéral a annoncé son désengagement en matière de financement de nouveaux logements sociaux, ce qui a privé le Québec d’environ 65 000 nouvelles unités. Depuis 1994, à l’exception d’un hiatus sous le très bref règne de Paul Martin (contraint par le NPD de faire un investissement ponctuel), le gouvernement fédéral n’a pas changé d’avis et maintient année après année son désengagement à l’égard du logement social. Puis, voilà que le projet Chez Soi est initié et mené par le gouvernement fédéral. Celui-ci aurait pu et dû inviter les provinces, qui ont juridiction en la matière, à développer une proposition à partir des sommes qu’il entendait rendre disponibles dans la lutte à l’itinérance. Il a choisi d’agir autrement et prétend aujourd’hui faire la leçon, non seulement aux gouvernements provinciaux, mais aussi au mouvement communautaire qui travaille sur le terrain depuis plus de cent ans. En parallèle, ce même gouvernement choisit de se désengager du financement du logement social, réduit sa contribution aux budgets de la santé, des services sociaux, des retraites, de l’éducation et de l’assurance-emploi, autant d’éléments qui ont des impacts directs sur la croissance de l’itinérance.

Où donc le gouvernement fédéral s’en va-t-il avec le projet Chez Soi?

La question est posée.

 

Les OSBL d’habitation

Un des moyens les plus efficaces et économiques pour lutter contre l’itinérance est certainement de poursuivre et d’accélérer le développement de logements sans but lucratif. Les OSBL d’habitation offrent des logements sécuritaires et abordables à des personnes majoritairement à faible revenu. Selon la mission de chacun, ils logent des familles, des femmes, des jeunes, des personnes âgées, des personnes ayant des troubles de santé mentale, des  déficiences physiques ou intellectuelles, etc. Il y a au Québec plus de 1200 OSBL d’habitation qui offrent plus de 50 000 logements sociaux de type communautaire. Le bilan financier, social et humain de ces OSBL est largement reconnu et documenté dans de nombreuses études universitaires. La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et la Ville de Montréal, particulièrement touchées par l’itinérance, s’entendent d’ailleurs pour dire que les OSBL d’habitation jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre l’itinérance et que, pour y arriver efficacement, ils doivent bénéficier de plus de financement.

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Article paru dans le bulletin Le Réseau no 46