9 février 2016
Mariette vit en logement depuis sept ans après avoir fait 28 séjours à l’Auberge Madeleine entre 1998 et 2008. L’ajout de la pension de vieillesse à son revenu lorsqu’elle a atteint l’âge de 65 ans a mis fin à ses séjours répétés à l’Auberge.
Mariette a trouvé un propriétaire qui a accepté de lui louer un logement. Surtout, elle a été capable de payer son loyer car son nouveau revenu lui a permis de devenir autonome. Elle demeure sous le seuil de la pauvreté mais son revenu lui permet d’acquérir une stabilité résidentielle impossible jusque-là.
Rita était une jeune mère de famille avec deux enfants qui a été hébergée pendant plusieurs mois à l’Auberge Madeleine. Elle a été prise dans la tourmente de la violence conjugale, de la séparation, la dépression, l’hospitalisation et le placement temporaire de ses deux enfants. À sa sortie de l’hôpital, il lui était impossible de répondre aux exigences de la DPJ pour la garde ses enfants. C’était le cul-de-sac. Impossible de subvenir aux besoins de ses enfants avec un chèque amputé de moitié. Retour à l’hôpital et prolongement du placement des enfants. L’Auberge Madeleine a permis à Rita de recevoir ses enfants les fins de semaine et de reprendre pied dans la vie.
Rita est un exemple-type de l’année 1987 rapporté par Micheline Cyr qui dirige l’Auberge Madeleine depuis 25 ans à Montréal. La prestation des 30 ans et plus était de 466 $ alors qu’elle était de 170 $ pour les moins de 30 ans. Micheline Cyr rappelle que 66% des femmes hébergées à cette époque à l’Auberge avait moins de 30 ans. Pour plusieurs de ces femmes, cela s’est traduit par de l’insécurité au quotidien, du désespoir, des maladies, la faim, le froid, l’insalubrité, le retour à la violence conjugale. Pour les intervenantes de l’Auberge Madeleine, « ça n’avait aucun sens ».
Un revenu qui change tout.
C’est dans le cadre du Forum organisé par le RAPSIM le 26 janvier dernier que Micheline Cyr est venue exposer les conséquences appréhendées des coupures des prestations de l’aide sociale sur la vie de femmes qui fréquentent les ressources d’hébergement en itinérance. L’Auberge Madeleine est une maison d’hébergement qui accueille des femmes de 18 ans et plus, vivant de multiples problématiques sociales : sans abri, seules, en difficulté, violence conjugale. Micheline Cyr en a vu de toutes les couleurs et elle est donc bien placée pour parler du projet de loi 70 annoncé par le gouvernement Couillard concernant l’aide sociale. Son expérience sur l’impact du revenu dans la vie d’une personne itinérante ou à risque de le devenir est probante.
Elle a rappelé d’entrée de jeu qu’il existe encore une différence entre le revenu moyen des hommes et celui des femmes : le revenu des femmes correspond à 75 % du revenu des hommes (en termes de salaire minimum et temps partiel) et que le fossé se creuse davantage en période de crise économique ou de restrictions budgétaires. Les coupures dans les services affectent davantage les femmes que les hommes et l’adoption de la politique de l’Analyse différenciée selon les sexes (ADS) votée en 2006 par Québec ne pèse pas lourd en période d’austérité budgétaire.
Micheline Cyr connait bien l’histoire de ces femmes qui se sont retrouvées à la rue faute d’un revenu suffisant pour se payer un logement. Avoir un logement ne guérit pas tous les problèmes mais ça donne une chance de se sortir du cycle de la porte tournante. Le projet de loi 70 rappelle un projet semblable durant les années 1984-1989 : le gouvernement avait décidé de réduire les prestations des bénéficiaires de l’aide sociale de moins de 30 ans. Pour atteindre la parité avec les plus de 30 ans, les moins de 30 ans devaient participer à diverses mesures : stages en emploi, formation, travail communautaire. Dans les faits, il y avait 85 000 prestataires visés par la mesure pour 30 000 places prévues dans les mesures.
Pour Micheline Cyr, l’actuel projet de réforme de l’aide sociale risque fort de faire « revivre des situations aussi dramatiques » que celles relatées en ouverture. Les mesures d’austérités annoncées par le gouvernement actuel visent tous les prestataires de l’aide sociale mais les femmes risquent encore d’être les plus touchées.
Pour aller plus loin, consultez le Rapport de recherche intitulé « Les mesures d’austérité et les femmes : analyse des documents budgétaires depuis novembre 2008 » IRIS, Eve-Lyne Couturier et Simon Tremblay-Pepin.