13 octobre 2016

Fiducie du logement communautaire. Pour garantir la pérennité des OSBL-H au-delà de la fin des conventions

La fin des conventions des OSBL du parc fédéral met en évidence le fait que le cadre juridique qui régit la gestion des actifs des OSBL-H a une faiblesse grave : il ne protège pas la pérennité juridique des actifs développés avec l’aide de la SCHL.

Concrètement, une fois que les OSBL-H cessent de recevoir de l’argent du gouvernement, les OSBL-H sont libres de gérer à leur guise les actifs qu’ils ont accumulés au fil des ans.

Cette liberté s’étend jusqu’au point où un OSBL-H peut choisir de vendre les immeubles dont il a la propriété sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit à l’extérieur de la structure interne de l’OSBL-H.

Si, à première vue, seuls les OSBL-H du parc fédéral semblent s’exposer à ce risque, il s’agit ici d’une erreur d’analyse. En effet, bien que plus loin dans le temps, les OSBL-H du parc provincial seront bientôt confrontés au même genre de défi puisque les projets provinciaux seront aussi « en fin de convention » à partir de 2025[1].

Les 40 dernières années ont démontré que les gestionnaires et des administrateurs qui assument la direction des 1 200 OSBL-H du Québec sont des gens de bonne foi. Néanmoins, il faut prémunir le mouvement des OSBL-H contre des individus qui pourraient être tentés de détourner les biens collectifs dont ils ont la garde, soit pour leur intérêt personnel, soit au bénéfice d’autres causes. Il est aussi possible que des groupes se retrouvent « à bout de souffle » ou qui n’ont pas l’expertise requise pour assumer leurs responsabilités choisissent de liquider les actifs plutôt que d’investir les efforts nécessaires pour relancer l’organisme.

Le RQOH croit qu’il est nécessaire de corriger cette situation.

Cinq milliards de dollars et 50 000 logements en jeu

Collectivement, nos OSBL-H ont accumulé des actifs de l’ordre de 5 milliards $. Ce joli pactole peut en faire saliver plus d’un et on peut facilement imaginer que des individus peu scrupuleux s’activent pour prendre le contrôle et, éventuellement, s’accaparer une partie de ces sommes.

Les OSBL-H ne sont pas les seuls à faire face à ce défi. Le mouvement des coopératives d’habitation a choisi de passer par la voie législative afin d’éviter ce genre de situation. Concrètement, les coopératives d’habitation ayant obtenu du financement gouvernemental désirant liquider leurs actifs doivent dorénavant obtenir l’assentiment du ministre responsable de l’économie pour avoir l’autorisation de procéder[2]. Cette façon de faire a ses avantages et ses défauts.

Parmi les avantages, on peut évidemment considérer que le recours à une loi donne un fort caractère d’indépendance et de pérennité à ce mécanisme.

Mais les défauts de cette solution méritent d’être pris en compte de manière sérieuse. D’abord, elle témoigne d’une faiblesse du mouvement, en ce sens qu’il s’en remet à un intervenant externe pour arbitrer de la pertinence ou non de procéder à la vente des actifs d’une coopérative d’habitation. De plus, l’importance du maintenir tel ou tel immeuble ou projet dans le giron du logement social peut varier au gré des ministres, des cycles politiques et des modes idéologiques. C’est sans compter que le gouvernement reste maître d’œuvre de la procédure et qu’il peut choisir de modifier celle-ci de lui-même, sans obligation d’en référer aux principaux intéressés.

Ensuite, en dépit de ce que pense spontanément la majorité des gens, cette loi ne couvre pas toutes les coopératives, mais bien uniquement celles créées en vertu de cette même loi. Les coopératives créées en vertu de la loi fédérale ont toujours une vaste marge de manœuvre pour procéder comme elles l’entendent.

Finalement, d’un point de vue pratique, obtenir une loi québécoise spécifique sur les OSBL-H représente un défi qui, a priori, semble hors de portée pour notre mouvement. C’était d’ailleurs aussi le cas pour les coopératives d’habitation, les changements obtenus l’ont été dans le cadre d’une réforme en profondeur de la Loi sur les coopératives qui a été entreprise à l’initiative du mouvement coopératif québécois dans son ensemble — incluant Desjardins, les coopératives agricoles, etc. — une situation bien différente de la nôtre.

Une solution adaptée aux OSBL d’habitation

L’enjeu étant incontestable, et en vertu des objectifs poursuivis par le RQOH et ses partenaires, soit la pérennité du plus grand nombre possible de logements communautaires, l’autonomie du mouvement et la valorisation des procédures de contrôle démocratique, le RQOH propose la mise sur pied d’un mécanisme de protection des actifs des OSBL-H articulé autour d’une fiducie.

On peut schématiser les éléments principaux de cette proposition autour de cinq axes :

  1. L’autonomie locale des OSBL-H
  2. L’entraide et le soutien mutuel entre les OSBL-H
  3. La simplicité administrative
  4. L’efficacité juridique
  5. Le faible coût

La mécanique de base de la fiducie serait la suivante : celle-ci serait propriétaire d’une partie symbolique de chaque projet d’habitation OSBL (l’équivalent de 1$ ou d’une brique). Mais cette copropriété serait encadrée par une entente exigeant que les deux copropriétaires donnent leur accord avant de procéder à la vente de l’immeuble.

La fiducie n’aurait pas de droit d’intervention sur la gestion ou le fonctionnement de l’OSBL-H, mais son caractère de copropriétaire de l’immeuble ferait en sorte que les données financières touchant celui-ci seraient disponibles et qu’elle serait informée de toute transaction majeure (hypothèque, mise en garantie, vente, etc.) du fiduciant.

Les membres du CA de la fiducie seraient des personnalités réputées et respectées du mouvement communautaire ayant des compétences reconnues en gestion. Il faudrait aussi y compter un représentant de la SHQ et un de la SCHL.

Les membres du CA de la fiducie seraient désignés par le CA du RQOH, mais ils ne seraient pas eux-mêmes membres de ce dernier. L’idée étant d’éviter de possibles conflits d’intérêts ou apparence de conflits d’intérêts pour les membres du CA de la fiducie.

Les défis à relever

La mise sur pied d’une telle fiducie exige des travaux préparatoires importants en termes légaux, y compris pour que cette organisation, que nous souhaitons souple et efficace, ne soit embourbée dans un magma sans fin de bureaucratie et de dépenses juridiques (frais de notaire, droit de publication des titres, taxes municipale et scolaire, etc.)

L’autre défi pour la mise sur pied d’une telle fiducie, c’est de mobiliser suffisamment d’OSBL-H pour qu’ils adhèrent à celle-ci. En effet, ultimement, c’est l’ampleur de cette adhésion qui déterminera l’efficacité et la légitimité de ce projet.

À  cet égard, il existe plusieurs enjeux à envisager :

  • Pouvons-nous concevoir et réaliser une campagne de promotion et de présentation du rôle et du fonctionnement, suffisamment forte pour convaincre une partie significative des OSBL de faire le pas et d’adhérer à la fiducie?
  • Même si nous réussissons à réduire à la plus simple expression l’ensemble des frais légaux, ceux-ci existeront toujours. Comment parvenir à les financer ?
  • Comment convaincre la SHQ et la SCHL de faire en sorte que les nouveaux projets participent systématiquement à la fiducie?
  • Quel est le cadre légal le plus adéquat pour la fiducie?

Toutes ces questions exigent un solide travail de réflexion et de recherche pour permettre de trouver les meilleures réponses possible.

La mise en œuvre

Le RQOH mène actuellement un travail de recherche juridique, fiscale et organisationnelle dans le but de mettre sur pied cette fiducie. Voici un bref survol des questions actuellement à l’étude.

 

Au plan juridique

Il importe de définir le cadre législatif et réglementaire le plus approprié, tant pour la fiducie elle-même que pour les liens qui l’uniront aux OSBL qui accepteront le statut de fiduciant. Parmi les principales questions auxquelles il faut répondre, on peut compter celles-ci :

  • La voie la plus efficace est-elle celle de la vente simple en copropriété, la vente sous écrou ou une autre formule ?
  • Comment concilier le caractère de fiduciant d’un OSBL avec la fiducie alors que le projet est encore sous convention avec la SCHL ou la SHQ ?
  • Comment garantir que la fiducie elle-même soit à l’abri d’esprits malfaisants ?
  • Quel type de protection la fiducie doit-elle détenir pour se protéger contre d’éventuels problèmes juridiques ou financiers affectant l’un de ses fiduciants mécontents ?
  • Quel statut juridique devrait définir la fiducie ? Est-ce que celle-ci devrait être constituée en vertu d’une loi privée, en tant que corporation à but non lucratif, sous la forme d’une société en commandite, ou encore d’une autre formule ?
  • Comment limiter les conséquences sur la gestion d’un OSBL devenu fiduciant lorsqu’il désire faire des transactions légitimes avec une entreprise bancaire (ouverture de marge de crédit, hypothèque pour rénovations, etc.)?

 

Au plan fiscal

Le projet ne peut être viable que si nous réussissons à garantir aux fiduciants que les transactions faites au nom de la fiducie n’auront pas de conséquences fiscales. En effet, les biens immobiliers sont généralement taxés par les autorités municipales et, selon les circonstances, les transactions immobilières des OSBL peuvent aussi attirer l’attention des agences du revenu fédérale et provinciale. Les premières questions qui apparaissent témoignent bien de l’ampleur du travail à faire pour viabiliser le projet. La recherche devra permettre de répondre à des questions telles que :

  • Comment éviter que la fiducie ait à payer des taxes municipales, des droits de mutation, des droits de publicité, etc.
  • Comment garantir aux fiduciants que leurs taxes municipales n’augmenteront pas suite à la transaction avec la fiducie?
  • Quelles mesures faut-il mettre en place pour que des transactions éventuellement autorisées par la fiducie ne se traduisent pas en un fardeau fiscal pour celle-ci ou pour l’OSBL?

 

Au plan organisationnel

La fiducie doit être considérée comme « une roue de secours » pour les OSBL en mauvaise posture. Comme la roue de secours d’une voiture, celle-ci doit se faire discrète et peu encombrante tant qu’elle n’est pas utilisée. Il faut donc trouver la manière la plus efficace et la moins coûteuse qui permettra à celle-ci de jouer son rôle de manière efficace. A priori, cet aspect du projet devra permettre d’élaborer une proposition qui réponde à au moins quatre grandes préoccupations.

  • La mise en place de la fiducie

Comme toute nouvelle organisation, la fiducie exigera un travail plus intensif lors de l’établissement de celle-ci. Bien que guidé par les travaux préliminaires au plan juridique et fiscal, il faudra réaliser concrètement ce travail.

Il y a d’abord les tâches pratiques à caractère bureaucratique, telles que rédiger les demandes de permis que toute organisation requiert, remplir les formulaires d’ouverture de compte de banque, etc.

Il faudra également s’attaquer aux tâches plus délicates, telles que le recrutement des membres du conseil de l’organisation. Ceux-ci devront être approchés, sensibilisés au mandat de la fiducie, rassurés sur leur niveau de responsabilités éventuelles et mis au fait des attentes à leur égard s’ils acceptent de siéger au conseil de la fiducie.

Pour bien réaliser toutes ces tâches, un plan d’action clair doit être rédigé.

  • Le recrutement des fiduciants

Une fois la coquille de la fiducie en place, il faudra entamer le travail du recrutement des fiduciants. Bien que l’idée d’une fiducie soit endossée par le RQOH et ses fédérations, il n’est pas acquis que tous les OSBL vont spontanément choisir de renoncer à une part de leur souveraineté. Les OSBL sont des lieux d’engagement citoyen et survivent en grande partie grâce au sentiment d’appartenance développé par les gestionnaires, les administrateurs et les membres. Il faudra donc prendre les moyens de rencontrer chacun des OSBL afin de s’assurer qu’il comprend bien son rôle, le fonctionnement et les conséquences de se transformer en fiduciant. Si on peut anticiper qu’une partie significative des OSBL adhérera spontanément à une proposition de qualité, il n’en demeure pas moins qu’ils devront être convaincus du bien-fondé de la proposition en question. Ensuite, il faudra rejoindre et convaincre les groupes plus réticents, identifier la source de ces hésitations et voir comment les surmonter.

  • Le fonctionnement régulier

Le fonctionnement régulier de la fiducie sera de trois ordres. En premier lieu, il faudra convaincre systématiquement chaque OSBL du Québec d’y adhérer. Ensuite, il sera question de la réalisation des actes légaux, comptables et fiscaux nécessaires pour concrétiser chaque adhésion. Enfin, il s’agira de faire le suivi de chaque OSBL touché par une transaction et, éventuellement, interrompre les opérations susceptibles de mettre à mal les biens protégés par la fiducie.

Chacune de ces trois tâches exige un bon niveau de préparation, des moyens techniques appropriés et une allocation de ressources suffisante pour ne pas alourdir indûment le fonctionnement des OSBL d’habitation qui choisiront d’adhérer à la fiducie.

  • Le financement des opérations

Bien que le projet vise à mettre en place une structure souple et peu coûteuse, il n’en demeure pas moins qu’il faut prévoir des frais d’administration pour permettre à cet appareil de fonctionner. Le recrutement des fiduciants ainsi que le travail administratif, juridique et fiscal entourant chaque transaction exigeront un minimum de financement. Quelle est la meilleure formule ? Est-ce possible d’envisager la création d’un fonds suffisamment capitalisé lors de son lancement pour garantir la pérennité de la fiducie ? Est-ce que les groupes fiduciants pourraient assumer une cotisation annuelle, en considérant la fiducie comme une « assurance pérennité » de leur organisation et de leur mission ? Les autorités politiques sont-elles disposées à offrir un financement à la fiducie comme un moyen de garantir à très long terme l’offre de services qu’elles ont financée avec les programmes de développement? Quelle économie d’échelle est-il possible de réaliser pour la fiducie si elle partage des ressources avec le RQOH ? Bref, il faut trouver des sous pour que l’organisation ait les moyens de ses ambitions.

 

[1]     C’est sans compter les risques d’abandon de mission qu’autorise la convention du programme ACL, comme le démontre la situation avec la Société d’Alzheimer de l’Outaouais qui a obtenu l’autorisation de la SHQ de vendre l’immeuble financé par ACL plutôt que de le transférer vers un autre OSBL avec une mission similaire.

[2]     Loi sur les coopératives, RLRQ c C-67.2, art 221.2.4 à 221.2.10.

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