Les habitations communautaires pour aînés constituent à n’en pas douter l’une des expériences les plus populaires parmi celles ayant été réalisées au fil des ans par le secteur du logement sans but lucratif. Partout au Québec, des dizaines de milliers de personnes âgées ont pu bénéficier et continuent encore à ce jour à bénéficier d’un logement abordable, sécuritaire et adapté à leurs besoins, où l’on respecte leur droit à l’autonomie. Présents dans toutes les régions et dans plus de 300 municipalités dont plusieurs en milieu rural, les OSBL d’habitation pour aînés rendent possible l’objectif de vieillir chez soi, dans sa communauté, privilégié dans les politiques publiques.
Les premiers ensembles de logements sans but lucratif destinés à des personnes retraitées ou préretraitées (55 ans ou plus) ont vu le jour dans les années 1970, à l’époque des anciens programmes fédéraux. Des groupes de citoyennes et citoyens, dont des aînés d’origine immigrante en milieu urbain, se sont alors mobilisés pour créer des OSBL d’habitation répondant à leurs besoins. Quarante ans plus tard, de grands immeubles comme le Manoir des Îles à Laval ou Les Appartements Aylmer Arms à Gatineau continuent d’offrir des milieux de vie fort appréciés par les personnes qui y habitent.
C’est au milieu des années 1980, après que le gouvernement fédéral eut cessé de financer la construction de HLM publics, qu’un premier programme a vu l’introduction d’un volet visant spécifiquement la réalisation de logements pour des personnes âgées autonomes ou « en légère perte d’autonomie ». Le Programme sans but lucratif privé (PSBL-P) verra l’émergence d’un modèle innovant, où les projets réalisés combinent logements, services collectifs (repas), loisirs et activités communautaires, le tout dans un milieu où la participation des locataires est fortement encouragée. Entre 1986 et 1993, ce volet aura permis la réalisation de près de 70 ensembles et 1 500 logements par des OSBL d’habitation.
C’est donc en toute logique qu’au moment où le programme AccèsLogis a été créé en 1997, un volet – le « volet II » – y a été inclus, voué à des personnes âgées de 75 ans ou plus, ou plus jeunes si elles éprouvent « certains problèmes chroniques d’autonomie fonctionnelle ». Comme tous les projets réalisés dans le cadre de ce programme, au moins un tiers des sièges au conseil d’administration de l’organisme sont réservés à des représentantes et représentants des locataires.
Depuis que ce programme a été créé, près de 300 projets de ce genre ont été réalisés par des OSBL d’habitation, totalisant plus de 10 000 logements. Cela s’ajoute à près d’un millier d’autres logements, qui ont été construits dans le cadre du programme Logement abordable Québec, mis en œuvre entre 2002 et 2008 et qui contenait lui aussi un volet « personnes âgées ». Tous programmes confondus, ce sont donc maintenant près de 25 000 logements qui sont offerts exclusivement à des personnes aînées en OSBL d’habitation, ce qui constitue toute une réalisation !
Des pressions de plus en plus fortes sur le secteur
Le vieillissement de la population, le manque de services de soutien à domicile, la persistance de poches de pauvreté encore bien présentes parmi les personnes âgées et l’introduction de nouvelles exigences réglementaires ont fini par imposer une pression certaine sur le secteur des habitations communautaires pour aînés.
Malgré un modèle ayant largement fait ses preuves, le rythme de développement des projets de type « volet II » a d’ailleurs considérablement ralenti au cours des dernières années, en dépit des besoins grandissants. Selon Jacques Beaudoin, responsable du soutien aux OSBL d’habitation pour aînés au sein de l’équipe du RQOH, « ce recul est dû à la fois au sous-financement du programme AccèsLogis et au rehaussement continuel des normes et critères d’exploitation applicables aux résidences pour aînés, qui ont fait sérieusement augmenter les coûts de réalisation et d’exploitation des projets ». Pendant ce temps, le secteur des résidences privées à but lucratif a connu un développement accéléré, marqué par la disparition de centaines de petites résidences en milieu rural et l’ouverture d’immenses résidences dans les grands centres urbains, dont les loyers sont inabordables pour les ménages à faible revenu.
Afin d’encadrer un secteur qui connaissait un développement tous azimuts, le gouvernement du Québec a introduit en 2007 un processus de certification des résidences pour personnes âgées assortie de normes et de critères d’exploitation, auquel la majorité des OSBL d’habitation concernés ont adhéré. Le premier règlement faisait alors une nette distinction entre les obligations des résidences offrant des services d’assistance personnelle comme les soins d’hygiène et l’aide à l’alimentation, et celles imposées aux autres résidences, incluant la plupart des résidences sans but lucratif réalisées grâce aux programmes PSBL-P et AccèsLogis, évoqués plus haut.
À la suite d’incidents survenus dans un tout petit nombre de résidences, un nouveau règlement, beaucoup plus contraignant, a été mis en vigueur en 2013. En vertu de ce dernier, les OSBL d’habitation pour aînés autonomes, qui n’offrent en général que cinq repas par semaine et des activités de loisirs, auraient été contraints d’embaucher des préposés – ce qui était d’autant plus incompréhensible qu’aucun service d’assistance personnelle n’y est offert ! – et d’assurer leur présence 24 heures par jour et sept jours par semaine… Cela aurait entraîné une hausse des dépenses d’exploitation annuelles de plus de 150 000 $ pour ces organismes, qui aurait dû être reportée sur les loyers des locataires. Cette mesure mal conçue et inapplicable en pratique a contraint plusieurs douzaines d’OSBL d’habitation à adapter leur offre de service pour ne plus être assujettis à la certification. Dans la foulée, leurs locataires ont perdu certains avantages du crédit d’impôt pour maintien à domicile…
Jacques Beaudoin raconte l’état d’esprit qui régnait dans le secteur : « Dès mon arrivée au RQOH en janvier 2015, je suis allé visiter quelques-uns de ces OSBL d’habitation “dé-certifiés”. Là, ce sont les locataires qui m’ont expliqué pourquoi ils ne voulaient rien savoir de la certification. L’embauche de préposés 24/7 leur aurait coûté des centaines de dollars à tous les mois mais surtout, ils avaient l’impression qu’on voulait les infantiliser en leur imposant la présence de “chaperons” chargés de les surveiller en tout temps. Ces locataires, dont certains faisaient partie du comité des “carrés gris” de la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal, étaient des personnes autonomes, qui souhaitaient qu’on les respecte ainsi. »
Éventuellement, et à la suite des représentations et des nombreuses pressions exercées par les organismes et leurs locataires, un nouveau règlement a été adopté en 2018, qui est venu assouplir certaines exigences pour les résidences de catégorie autonome. « Il reste encore toutefois certains irritants, explique le responsable, et des travaux sont en cours pour y apporter des ajustements. La ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, qui connaît bien la réalité des OSBL d’habitation, vise à ce que le règlement favorise la pérennité des résidences communautaires et des petites résidences privées en milieu rural. »
La pandémie de la COVID-19, qui a bouleversé tant de choses, a mis en lumière les faiblesses du modèle que la société québécoise a favorisé dans les dernières décennies pour héberger les personnes aînées en plus lourde perte d’autonomie. « Tout le monde, ou presque, convient qu’il faut revoir l’approche adoptée jusqu’ici pour loger, héberger et soigner les personnes âgées en fonction de leurs besoins et de leur évolution, tout en respectant leurs choix et leur capacité de décider. » Au vu des réalisations et des succès remportés depuis 40 ans par les habitations communautaires, il est permis d’espérer que ce modèle occupera une place de choix dans le nouveau paradigme qui ressortira de cette réflexion collective.