5 mars 2012

Briser les préjugés. L’histoire de Raisin

Johanne Dumont, coordonnatrice. Fédération des OSBL d’habitation du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles

L’itinérance, ça n’existe pas au-delà des grands centres, me direz-vous ? Eh bien, détrompez-vous ! Dans les régions du Bas-St-Laurent, de la Gaspésie et des Îles, ce phénomène est certes marginal, mais il n’en demeure pas moins préoccupant et nécessite la mobilisation de la communauté et des ressources d’hébergement appropriées. Comme partout ailleurs, on préfère souvent ignorer cette misère et croire que les gens qui la vivent le font par choix. L’histoire de Raisin, un itinérant de Rivière-du-Loup, en est un exemple frappant.

Pendant plus de vingt ans, cet homme a erré seul sur la rue Lafontaine vêtu de vêtements sales et déchirés et arborant de longs cheveux et une barbe hirsute. Bien qu’il ait été connu des habitants — on l’avait même surnommé Raisin —, les passants, mal à l’aise et méfiants, détournaient le regard à sa vue, l’évitaient ou le fuyaient. Ce spectacle choquant faisait peur et l’on préférait le passer sous silence et fermer les yeux.

Puis, un jour, le mur de l’indifférence a enfin été brisé : en se rendant au travail, une dame lui adressa la parole et le salua. Pendant plusieurs semaines, celle-ci choisira d’emprunter la rue Lafontaine et se fera un devoir de lui dire « un petit bonjour ». Au fil du temps, de ce rituel matinal quotidien naîtront une belle complicité et une amitié. Mais, bien que leurs échanges soient d’un grand réconfort pour Raisin, la dame n’est pas dupe : pour venir réellement en aide à son nouvel ami, il faudra aller plus loin… Avec l’hiver qui approche et sa santé qui se détériore, elle est inquiète.

Ses craintes résonneront auprès du maire de la ville qui acceptera d’off ir un toit temporaire à Raisin. Pendant près de quatre mois, le bloc sanitaire à proximité du poste hydro-électrique des chutes de Rivière-du-Loup deviendra son refuge. Il s’y sentira rapidement chez lui et, redoutant d’avoir à le quitter, racontera à son amie à quel point le froid l’avait torturé certaines nuits à l’extérieur. « Je hurlais pour faire fuir le froid », dira-t-il, à ce sujet.

Pour le maire, il s’agit là d’un choc :

« On a toujours entendu dire que c’était son choix d’être dans la rue, que c’était ce qu’il voulait. Mais quand on lui a tendu la clé, il ne l’a pas refusée, il l’a prise. S’il avait la chance d’être au chaud, il choisissait d’être au chaud ».

Ébranlé par ce constat, le maire se joindra à la dame et quelques citoyens afin de sortir définitivement Raisin de la rue et l’aider à retrouver sa dignité. Grâce aux efforts concertés du groupe, l’homme est maintenant hébergé de manière permanente dans un centre de la région et a accès aux soins et services dont il a besoin.

Aujourd’hui, Raisin n’est plus ; Armand Pelletier a émergé et, comme le mentionne son amie :

« Armand va bien. Ses cheveux sont coupés, sa barbe est rasée, il est sorti de sa misère. Il ne retournera jamais plus dans la rue et (…) il sera toujours encadré ».

Source : « Au revoir Raisin, bonjour Armand Pelletier » par François Drouin (infodimanche.com, 13/08/08)

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 39