Chantier résidentiel surmonté d'une grue avec un point d'interrogation à la dérive

La crise du logement n’est pas un phénomène récent et contrairement à ce qui est véhiculé publiquement, l’industrie du développement résidentiel privé s’est bien portée ces vingt dernières années, indique une note publiée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) le 17 juin dernier. 

Le gouvernement du Québec plaide en faveur d’assouplissements des mécanismes publics afin d’assurer la vigueur de la construction résidentielle privée et d’augmenter rapidement l’offre de logements. Ce discours public laisse présager que la crise du logement est un phénomène survenu durant la pandémie de Covid-19, durant laquelle un ralentissement de l’activité immobilière a été observé.

Or, en 2012, l’IRIS soulignait déjà la saturation du marché de l’habitation, alors que se déroulait une forte croissance immobilière.

Une situation qui perdure

Déjà préoccupée par la construction massive de condos en 2013, la Banque du Canada a même haussé ses taux d’intérêt en 2022, face à un risque de bulle immobilière.

L’industrie immobilière cite, parmi les problèmes rencontrés, l’augmentation des taux d’intérêt, le manque de main-d’œuvre, de même la difficulté d’accès aux matériaux de construction.

L’IRIS souligne, pour sa part, que ces phénomènes ponctuels ne peuvent à eux seuls expliquer la crise.

Loin d’avoir été marquées par un déficit de construction et d’investissement privés, les deux dernières décennies au cours desquelles la crise du logement a pris de l’ampleur ont été caractérisées par une forte croissance de l’industrie immobilière et, selon les secteurs d’activité, par des niveaux de revenus historiques ou fort appréciables.

Des contraintes dommageables

Le document rappelle que l’expérience du Règlement sur une métropole mixte (communément appelé 20-20-20) de la Ville de Montréal s’est avérée peu concluante. En effet, les coûts engendrés par l’obligation d’inclure un pourcentage de logements sociaux, abordables et familiaux ont eu des répercussions sur le prix des loyers. Ajoutons que la vaste majorité des promoteurs immobiliers ont préféré payer des pénalités, fort possiblement épongées par leurs locataires, plutôt que de devoir s’y conformer.

Face à la pression populaire et afin de relancer la construction, la métropole a d’ailleurs dû annoncer une réduction de ses exigences jusqu’en 2026.

Aussi, les chercheurs font valoir que des mesures incitatives seraient sans doute plus bénéfiques que les contraintes imposées aux promoteurs.

Principe du filtrage questionné

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) croit quant à elle à l’effet de cascade, aussi appelé filtrage ou effet de percolation ou de ruissellement, que produit le départ d’un ménage plus fortuné vers un logement nouvellement construit. La SCHL encourage donc la construction de logements neufs, même dispendieux, car elle fait l’hypothèse que ces logements attireront des ménages qui laisseront vacants des logements dépréciés, désormais accessibles pour des ménages à revenu faible ou moyen.

Ce postulat est contesté par les chercheurs, dans un contexte où la volonté de rentabilité des promoteurs immobiliers est notoire.

Notons également que des augmentations faramineuses des prix des loyers sont observées partout au Québec, tout particulièrement lors du roulement de locataires.

Comme l’indiquent les chercheurs de l’IRIS, cette hausse généralisée « s’impose comme une nouvelle norme et comme une dépense supplémentaire pour les prochains constructeurs et investisseurs qui […] chercheront alors à compenser ces coûts additionnels en augmentant à leur tour le prix des nouvelles unités mises en marché ou le loyer de leurs locataires ».

S’il est vrai qu’une pénurie de logements peut exercer une pression à la hausse sur les prix, la situation inverse, soit une augmentation de l’offre, n’a pas nécessairement d’effet à la baisse sur ceux-ci.

L’offre et la demande

Les auteurs de la note expliquent que bien que nécessaire, l’augmentation de l’offre n’est aucunement garante d’abordabilité.

Afin d’étayer leurs propos, ils expliquent que l’augmentation des prix d’achat et de location étaient en croissance, presque sans interruption, au fil des 20 dernières années. Ils citent l’exemple de Montréal, qui, en dépit du taux d’inoccupation qui a dépassé le seuil d’équilibre de 3 % en 2020- 2021, a connu de fortes hausses des loyers.

En comparant le taux d’inoccupation, la valeur des immeubles résidentiels et le loyer moyen par ville, l’IRIS arrive à la conclusion « qu’il n’existe pas de lien clair entre l’évolution de l’offre de logement et celle des prix et, en définitive, peu de preuve qu’une augmentation de l’offre a nécessairement un effet bénéfique sur l’abordabilité du logement ».

Investissements florissants

Parmi les éléments analysés, les différentes formes d’investissement résidentiels, notamment ceux des banques et des coopératives de crédit, qui ont explosé au fil des deux dernières décennies.

En effet, selon les calculs de l’IRIS, la valeur des prêts hypothécaires aurait augmenté de 305 % entre 2002 et 2023. Cet accroissement des investissements des banques, qui ont une incidence directe sur les prix, est d’ailleurs perçu comme l’une des principales causes de la financiarisation du logement.

Travailleurs de la construction sur une plateforme

Croissance démographique

Selon les auteurs de la note, l’hypothèse d’un déficit de construction résidentielle en regard de la croissance démographique est difficilement démontrable.

Dans les faits, si la construction peut paraître lente face à la croissance démographique, il importe de compter le nombre de ménages, et non de suivre la croissance générale de la population. En effet, les ménages sont souvent composés de plus d’un individu.

Les chercheurs démontrent qu’au Québec, entre 2001 et 2021, le nombre de nouveaux logements achevés dans cinq grandes villes a été soit supérieur ou équivalent au nombre de ménages. Sherbrooke, où le déficit était considérable, constituait l’exception à la règle.

Les chercheurs questionnent l’idée selon laquelle les dépenses et les exigences règlementaires freinent l’élan des promoteurs, puisqu’entre 2002 et 2022, les investissements sont restés plutôt stables.

Contrairement à ce qu’on entend partout, l’industrie de la construction n’a pas été secouée par des contraintes et des difficultés financières. Les choix des promoteurs, qui allaient vers la rentabilité, seraient davantage en cause, comme l’indique l’étude :

Le déficit de logement locatif véritablement abordable est encore plus spectaculaire lorsqu’on considère le développement du logement social, qui est une forme de logement hors marché, spécialement conçue pour être accessible financièrement et qui, jusqu’en 2022, était entièrement financée par les pouvoirs publics.

Ainsi, au fil des 20 dernières années, le déficit d’investissement s’est opéré dans une sphère de l’habitation qui aurait favorisé la situation actuelle. Les faibles taux d’inoccupation peuvent également s’expliquer par la sous-construction de logis sociaux, communautaires et réellement abordables.

Industrie en santé

En analysant la santé financière des entreprises dans trois domaines d’activité significatifs, soit le financement hypothécaire, la location résidentielle, de même que la construction et la promotion de la construction de logements, les chercheurs ont remarqué une hausse constante des intérêts versés par les ménages sur les prêts hypothécaires, qui ont augmenté de façon significative et constante pour la période étudiée.

Quant aux bénéfices des entreprises de promotion et de construction individuelle ou résidentielle, les données analysées indiquent qu’ils seraient demeurés stables entre 2016 et 2019.

Même si elles sont souvent partielles, les informations accessibles au grand public suggèrent que les bénéfices ou les revenus des principales entreprises (ou particuliers) œuvrant dans l’immobilier résidentiel ont soit connu une très forte croissance, soit affiché des niveaux relativement stables et enviables au cours des dernières années.

Vers l’accessibilité financière

En résumé, à la tendance observée ces 20 dernières années indique que la libéralisation et les assouplissements réclamés par l’industrie et le plus souvent consentis par les gouvernements n’amélioreront pas l’offre de logements adaptés aux besoins impérieux des ménages. Pour ce faire, il serait plus urgent de miser sur le logement hors marché.

L’IRIS appelle ainsi à « repenser les modèles d’investissement et de développement résidentiels qui ont prévalu jusqu’ici » afin que l’accessibilité financière soit le moteur de toutes les politiques visant à atténuer la crise du logement.

 

Source :

https://iris-recherche.qc.ca/publications/logement-2024/

La persistance d’une pénurie de logements en dépit des niveaux quasi historiques d’investissement dans la construction résidentielle pourrait s’expliquer de manière plus satisfaisante par le fait que les capitaux y ont été inégalement répartis entre les sous-secteurs du marché de l’habitation et n’ont pas priorisé les types de logements pour lesquels les besoins étaient les plus importants.