André Fortin prend une retraite bien méritée. Ce « banquier » qui ne ressemble à aucun banquier a été, à titre de conseiller stratégique en habitation et directeur de comptes, le visage de la Caisse d’économie solidaire Desjardins pour des centaines d’OSBL et de coopératives en habitation. Et surtout leur allié depuis des lustres. À l’occasion de son colloque qui s’est tenu dans la capitale nationale en novembre dernier, le RQOH a invité André Fortin à prononcer un discours devant l’ensemble des délégués.
Quand le RQOH m’a demandé de faire une intervention, comme ils savent que je suis sur le point de prendre ma retraite, on m’a dit : « Oh, tu pourrais parler de ta carrière ? ». J’ai dit « Non, non, il n’en est pas question. Ça dure huit minutes, je n’ai pas besoin de huit minutes pour faire ça. Donc je vais vous parler une couple de minutes de ma carrière, puis six minutes de la Caisse d’économie solidaire.
Je suis heureux d’être ici. Je fais, depuis quelques semaines, plein de choses que je fais pour la dernière fois. Participer à ce colloque-ci, participer à la remise des prix Régis-Laurin1, tout récemment… Cela me donne l’occasion de rencontrer des gens que j’admire, qui sont des amis, donc je suis heureux d’être là, je suis heureux d’être avec vous.
Contrairement à bien des gens, je sais très exactement l’heure et le jour où j’ai décidé de prendre ma retraite. C’était l’an dernier, c’était un mercredi, il était 6h20 le soir. (Rires dans la salle.) Oui, c’est quelque chose hein ? Je terminais un cours. Je donne des cours à l’Université Laval. J’ai terminé un cours, alors il y a une jeune étudiante qui est venue me voir. Elle constate que je pars, que j’ai mon casque de vélo dans les mains. Elle dit : « Ah, Monsieur Fortin, vous êtes venu à vélo ? C’est bien. » « Oui, j’aime beaucoup ça le vélo » lui ai-je répondu. Elle dit : « Vous partez d’où, au juste ? » « Ah, je pars de Limoilou » j’ai dit; et elle a répondu : « Hein, vous êtes encore capable ? » C’est à ce moment que je me suis dit ça y est, il faut je pense à la retraite, ça n’a pas de sens…
Cela dit, je prends ma retraite de la Caisse, certainement, je pense bien continuer d’enseigner. Je suis aussi membre de trois conseils d’administration, dont un formidable OBNL qui a deux représentantes ici aujourd’hui, qui est le SQUAT Basse-Ville2, que j’aime beaucoup. André Castonguay m’envie d’ailleurs d’être encore sur le CA de l’OBNL, puisqu’on a été sur le CA de SQUAT tous deux pendant quelques années, ce qu’on a beaucoup aimé.
C’est probablement le truc le moins colon que j’ai fait à l’insu mes parents, parce qu’il y a beaucoup de trucs vraiment idiots que j’ai fait à l’insu de mes parents. Mais de celui-là, je suis plutôt fier. J’ai travaillé dans un groupe de ressources techniques de Québec, Action-Habitation. J’ai travaillé à la Société d’habitation du Québec, j’ai travaillé à la Confédération québécoise des coopératives d’habitation et, depuis une vingtaine d’années, je suis à la Caisse. La Caisse, c’est ce qui m’a le plus formé, ce qui ce qui a été l’aboutissement de mon parcours.
J’ai appris beaucoup de choses à la Caisse, puis à la fois j’ai appris avec des collègues, je vous en présenterai quelques-uns tout à l’heure, mais j’ai surtout appris avec vous. J’ai surtout appris avec les organismes qui nous rencontrent et surtout appris avec les réseaux. Et puis ça, je ne saurais vous dire à quel point je vous en suis reconnaissant. Je dirais que le seul mérite que j’ai, c’est d’avoir sensibilisé cette Caisse-là à la réalité du logement communautaire, une réalité qu’elle connaissait un peu moins.
À une certaine époque, je l’ai fait tout d’abord comme membre du conseil d’administration. Au milieu des années 1980, avec la coopération de quelqu’un que vous connaissez bien je crois de nom, je crois, qui est Régis Laurin. On était tous deux sur le CA de la Caisse de 1985 à 1990. Ensuite j’ai obtenu le titre de conseiller stratégique, ce que je fais depuis une vingtaine d’années. Je pense sincèrement que j’ai donné le goût de l’habitation à la Caisse. Donc, à rigueur, si je faisais un bilan très bref, le plus bel accomplissement de ma carrière, ç’a aura été de donner le goût de l’habitation à cette grande organisation qu’est la Caisse d’économie solidaire. (Applaudissements.)
Son principal secteur d’activité, c’est l’habitation. Soixante-cinq pour cent des financements qu’on accorde sont faits dans le secteur de l’habitation. On est une caisse provinciale donc, qui couvre le Québec en entier, puis on a un certain nombre de choses en commun avec vous. Tout comme vous, la crise du logement nous indigne. On trouve ça incroyable que cette crise-là perdure et s’amplifie.
Tout comme vous, nous avons le sentiment que cette crise-là est essentiellement un produit du capitalisme, ce qu’on trouve d’autant plus désolant. Tout comme vous, on regrette cette emphase mise depuis quelques temps sur le concept d’abordabilité. Parce que le concept d’abordabilité a le défaut, d’une part, de pas être clair pantoute, et d’autre part, d’occulter deux réalités qui sont les vôtres, qui sont le social et le communautaire.
Donc, tout comme vous, on trouve que cette réduction-là n’a pas de sens. Tout comme vous, on aimerait ça faire plus pour le logement social et le communautaire. Tout comme vous, on aimerait beaucoup – puis ça fait plusieurs fois que je le dis, sur plein de tribunes – on aimerait beaucoup se relancer dans la co-construction d’un programme de logement communautaire au Québec, comme nous l’avons fait il y a une trentaine d’années. Je crois que Denis Lemyre est ici quelque part. Denis, es-tu là ? (Denis est là.)
Denis était du petit groupe avec moi qui a co-construit AccèsLogis. Il faut quand même se rappeler qu’AccèsLogis a été le programme qui a eu la durée de vie utile la plus longue de l’histoire des programmes sociaux au Québec. Tout comme vous, nous sommes convaincus que le secteur privé n’est pas un bon porteur ni de social, ni d’abordabilité, ni de communautaire. Puis tout comme vous, nous remercions l’action soutenue, récurrente, difficile du FRAPRU pour soutenir, pour protéger les investissements publics en logement communautaire. Puis, tout comme vous, nous avons pleuré au moment du décès de notre ami François Giguère ; donc nous sommes près de vous, beaucoup.
On va lancer, en décembre prochain, avant Noël en fait, un fonds pour l’innovation, le Fonds d’innovation pour la gouvernance et la gestion des entreprises collectives (INNOGEC), qui permettra aux organisations d’augmenter leurs capacités organisationnelles. Donc, évidemment, vous serez certainement parmi les récipiendaires de ce fonds-là. On est tourné vers vous, on essaie de faire en sorte qu’avec vous on puisse régler cette crise du logement.
La Caisse va demeurer à votre service même si je m’en vais. C’est une coopérative, elle est au service de ses membres. On a des personnes formidables, il y en a quelques-unes ici. Je vois Béatrice Techer, je vois Cynthia Casey et hier Violaine Ouellette était avec nous. Gary Lavoie, notre président, Sandra Turgeon, qui est membre de notre conseil d’administration. Nous avons donc beaucoup de monde qui vont, tout comme je l’ai fait avec engagement, avec témérité, avec courage, s’attaquer à la question de la crise du logement avec vous.
On souhaite que ce colloque-là vous permette de continuer de vous doter d’objectifs très élevés parce qu’on a le sentiment que ces objectifs-là doivent être atteints. On a également le sentiment que ces objectifs très élevés ne seront atteints que si les tous les mouvements sociaux qui travaillent au niveau du logement communautaire, du logement sans but lucratif, logement coop, les offices municipaux d’habitation… que si tout le monde travaille ensemble pour arriver à atteindre ces objectifs-là.
Je vous souhaite un beau colloque.
André Fortin
Caisse d’économie solidaire