François Roy, coordonnateur Logemen’occupe, a écrit aux ministres Andrée Laforest (Affaires municipales et Habitation) et Danielle McCann (Santé et des Services sociaux) pour les interpeller sur la situation particulière des groupes en logement impliqués auprès des personnes et familles vulnérables.
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Mesdames les ministres,
En seulement deux mois, le coronavirus est passé d’une menace lointaine à une pandémie mondiale qui affecte toutes les facettes de notre société et de nos vies. Si cette crise inédite oblige l’ensemble de la population à faire des sacrifices, elle nous révèle, par ailleurs, que certains groupes socio-démographiques sont nettement plus affectés et exposés que, notamment les ménages avec une condition socio-économique plus précaires, spécialement les ménages mal-logés et sans logis.
Il est reconnu que les conditions associées à la pauvreté affectent directement la santé des personnes touchées et les rendent beaucoup plus vulnérables à la contamination.
Selon les dernières estimations, 10% de la population québécoise ne parvient pas à couvrir ses besoins de base et près de la moitié de la population canadienne considère être à un chèque de paie de la faillite personnelle en cas d’imprévu. Dans son rapport sur l’état de santé au pays, l’administrateur en chef de la santé publique du Canada rappelle, malgré les améliorations dans l’état de santé global de la population, d’importantes inégalités sociales de santé persistent, notamment en matière de logement.
Le logement a des impacts déterminants sur la santé des individus, comme le rappelait récemment l’Organisation mondiale de la Santé. Les liens multiples qui se posent entre le logement et la santé sont bien connus et sont reliés à diverses dimensions à la fois sociale, environnementale, politique, financière, sécuritaire et physique. Un rapport de 2015, du directeur de santé publique de Montréal, expose en détail comment l’accès à un logement salubre et abordable est préalable à la santé des individus.
Si la COVID-19 s’avère plus dangereuse lorsque la santé des individus infectés est fragile, une attention particulière devrait alors être portée sur les personnes en situation de pauvreté et mal logées. En effet, les conditions associées à la pauvreté telles que l’insécurité économique, le stress, les mauvaises conditions de logement et la malnutrition affectent directement la santé des personnes, ce qui pourrait les rendre plus vulnérables à la contamination. Ces personnes sont également plus nombreuses à occuper des emplois à faible salaire et instables, comme ceux du secteur des services par exemple, qui nécessitent contact humain direct et l’utilisation des transports en commun. Ces facteurs augmentent donc les risques pour ces personnes d’être contaminées.
Dans les deniers jours, des mesures exceptionnelles ont été prises pour ralentir la propagation du virus. Leur objectif premier est de soulager le système de santé des effets d’une augmentation brutale de contaminations, une dynamique fréquente lors des épidémies. Ce concept peut se résumer par l’expression « aplanir la courbe ».
Les plus récentes mesures d’isolement social ont mené à la fermeture des écoles et de plusieurs lieux publics, au télétravail volontaire ou obligatoire, à la mise en quarantaine suite à un retour de voyage ou par simple précaution. Si l’ensemble de la population traverse relativement bien cette période de confinement, certains groupes de la population sont davantage affectés par ces mesures, en particulier les personnes aînées et celles moins nanties et vulnérables.
Notons à cet égard que le risque d’être isolé socialement augmente lorsque l’on se trouve en situation de faible revenu et avec l’âge. Ainsi, le pourcentage de la population québécoise ne bénéficiant pas d’un soutien social élevé serait de 12 %, comparativement à 19 % pour les 65 ans et plus et 22 % pour les moins nantis.
Rappelons également que le confinement au domicile peut représenter un risque pour certaines personnes et familles. Par exemple, dans le cas d’un ménage comportant un conjoint ou des parents violents, l’isolement induit une situation de laquelle une victime ne peut s’extraire, d’autant que les enfants ne sont plus en contact avec des institutions – les garderies et les écoles – qui sont dans l’obligation de signaler un abus.
Pour les mal-logés, les mesures pour lutter contre la pandémie du coronavirus entraînent du stress et des risques sanitaires accrus. Lorsque tu es contraint d’habiter dans un logement trop petit ou surpeuplé, dans un logement insalubre ou dans une maison de chambre avec des toilettes et une cuisine commune, le confinement n’a vraiment pas le même sens que celui des ménages qui ont l’opportunité de vivre dans une grande maison avec un jardin ou bien en banlieue. Et, encore moins pour les personnes et les familles sans logis qui doivent vivre en hébergement d’urgence ou à l’hôtel à cause de la crise du logement.
Si, dans un contexte normal, un nombre non négligeable de personnes ne parvient pas à couvrir ses besoins de base et assurer son droit au logement, la crise actuelle renforce encore davantage la vulnérabilité de ces personnes et l’importance d’adopter des mesures spécifiques afin d’assurer leur bien-être matériel et psychologique.
Le secteur des organismes de lutte à l’itinérance et du logement social et communautaire a été décrété par le gouvernement du Québec comme faisant partie des services essentiels.
Si un certain nombre d’annonces ont été faites pour soutenir les personnes seules en situation d’itinérance chronique et les refuges qui les soutiennent, très peu de choses ont, jusqu’ici, été annoncées pour soutenir adéquatement les organismes du secteur logement qui interviennent auprès des personnes et familles vulnérables en situation d’itinérance, qui sont à risque de le devenir ou qui habitent dans des logements communautaires. Avec la détresse que vivent plusieurs de leurs usagers et la fatigue de plus en plus présente de leurs équipes de travail, ces organismes essentiels sont toujours dans l’attente de mesures d’aide concrète.
Dans la mesure où cette crise sanitaire se juxtapose à la crise du logement, il nous apparaît davantage important qu’une série de mesures financières et logistiques soient rapidement adoptées afin de soutenir adéquatement les organismes qui œuvrent dans ce secteur et aussi pour mieux coordonner les différentes actions à mettre de l’avant.
À cet égard, et comme le propose la Politique nationale de lutte à l’itinérance du Québec et l’Observatoire québécois des inégalités, il nous apparait opportun que vos ministères respectifs mettent rapidement sur pied des instances de coordination et de concertation, réunissant les principaux experts et organisations œuvrant auprès des personnes et familles vulnérables, dans chacune des villes où sévit la crise sanitaire et la crise du logement. Ce comité, coordonné par le CISSS local, aurait pour mandat d’identifier en temps réel les enjeux concrets que vivent actuellement ces groupes et les personnes vulnérables qu’ils soutiennent afin de mettre rapidement en place des solutions adaptées à chacune des situations ou problèmes soulevés.
À plus long terme, nous estimons important que des investissements publics massifs soient consentis à la construction de nouvelles unités de logement social. Un tel investissement permettrait de générer des milliers de nouveaux emplois tout en améliorant les conditions de vie de milliers de ménages vulnérables mal logés.
François Roy
Coordonnateur Logemen’occupe