1 mars 2021

Deux regards sur le soutien communautaire en logement social

 

À la fois « marque de commerce » et secret trop bien gardé du secteur du logement sans but lucratif, le soutien communautaire en logement social (SCLS pour les intimes), est une pratique qui se développe depuis près de 40 ans. Pour en parler, le RQOH a rejoint deux personnes dont les interventions dans les milieux de vie visent à renforcer la stabilité, l’autonomie et la dignité des locataires qui y résident.

« Pour faire ce métier, il faut aimer l’humain et croire au changement », résume Nancy Larente, intervenante à la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal (FOHM) où elle agit également en tant que cheffe d’équipe. Avant d’atterrir dans ce poste, elle a œuvré durant 15 ans auprès de personnes cumulant parfois plusieurs difficultés : consommation de drogue, itinérance, enjeux de santé mentale, problèmes avec la justice, etc. Aujourd’hui, mesures sanitaires obligent, elle s’active surtout au téléphone pour référer les locataires aux services adéquats dans la communauté, évaluer les situations de crise et intervenir directement, autant que faire se peut, auprès des personnes concernées.

« Jusqu’au début de la pandémie, je faisais de l’appui aux différents comités de locataires, de la prise en charge de l’habitat, de l’intervention dans le quartier, dans les milieux de vie, des ateliers de jardinage, de peinture, des cuisines collectives. » — Nancy Larente.

Le parcours de Jacquelin Deranne, qui a grandi en Haïti, est complètement différent. Il a travaillé durant six ans avec des ONG dans son pays d’origine où il a également été professeur durant neuf ans. Arrivé au Québec en 2013 avec un diplôme universitaire de travailleur social en poche, il se bute aux tristement célèbres difficultés de reconnaissance des qualifications (obstacles que l’on pourrait qualifier de « systémiques »). Retour forcé sur les bancs d’école. Il est maintenant « intervenant de milieu » à la Fédération des OSBL d’habitation des 3L (Laval, Laurentides, Lanaudière). À ce titre, il s’occupe du SCLS dans près d’une douzaine d’ensembles de logements à Laval.

« Actuellement, j’essaie surtout de diminuer le stress et l’angoisse chez les locataires », raconte Jacquelin Deranne. La pandémie a en effet eu pour effet de rendre plus difficiles les actions collectives et le confinement force les approches plus individuelles. Nancy Larente confirme : « Jusqu’au début de la pandémie, je faisais de l’appui aux différents comités de locataires, de la prise en charge de l’habitat, de l’intervention dans le quartier, dans les milieux de vie, des ateliers de jardinage, de peinture, des cuisines collectives. » Maintenant, il s’agit de cibler les locataires les plus vulnérables, assurer une présence avec ceux qui n’ont pas le téléphone. « C’est plus pompier, moins “positif” », conclut-elle.

La clientèle avec qui travaille Jacquelin Deranne est plus âgée, dix des onze milieux de vie auquel il est rattaché sont des projets sans but lucratif pour personnes de 55 ans et plus. « Elles sont très isolées, alors je fais des appels de courtoisie, mais comme de nombreuses personnes âgées sont actuellement ciblées par des appels frauduleux, parfois elles sont énervées ou elles ne répondent pas. Alors il faut faire le chemin. »

« Le temps en trop est le pire ennemi de la tranquillité de ces gens, dit Jacquelin avec philosophie. Avec le confinement, il y a trop de temps disponible et l’inaction mène à l’irritation, aux conflits entre voisins, parfois avec leurs propres enfants. »

Un autre aspect du soutien communautaire en logement social en temps de pandémie, surtout auprès des personnes aînées, est la médiation entre les locataires et un système de santé dont les services sont sous tension et qui déploie de plus en plus son offre en ligne.

« La population québécoise vieillit, explique l’intervenant lavallois. À partir de 65 ans, la capacité d’assimilation devant les nouvelles situations diminue et rentrer dans les logiques technologiques est difficile. Une simple demande pour du transport adapté ou l’aide d’une physiothérapeute devient problématique. »

Nancy Larente note elle aussi un glissement : « Nous sommes entraînés vers un rôle d’interface entre les personnes vulnérables et le réseau de la santé et des services sociaux, un réseau qui est tellement débordé que les gens ont peur d’y aller. » Et le MSSS en profite – façon de parler. « Nous faisons de plus en plus de palliatif, de “maintien à domicile”, le réseau se déleste sur le soutien communautaire, et l’autonomie de nos groupes pourrait en pâtir. » Car si le soutien communautaire ne doit pas être ramené à l’organisation de loisirs pour les locataires, il n’est pas non plus un suivi clinique individuel.

Il n’est pas dit que le retour à la normale se fera aisément. La situation actuelle, avec son lot de consignes sanitaires émises et imposées du haut vers le bas – quelquefois de manière très autoritaire comme on l’a vu avec la tentative d’imposer un couvre-feu aux personnes itinérantes – n’est pas tellement propice aux approches basées sur le renforcement des droits de la personne et l’acquisition d’une maîtrise sur son propre destin.

« Bien sûr les soins à la personne, les métiers qui sont en fait des relations d’aide, sont exaltés par les politiciens et les médias en ce moment. On parle de ceux qui étaient dans l’ombre, les préposées, les infirmières, “merci à nos anges gardiens”… Souhaitons que ça reste ! Maintenant, il faut que les bottines suivent les babines, qu’il y ait vraiment une reconnaissance. »

En écoutant nos deux interviewés, on sent le désir de revenir à une pratique d’animation communautaire vivante, le souhait de recommencer à coordonner et à organiser des activités communautaires, mobiliser les locataires dans la participation à des démarches collectives, susciter la création de projets rassembleurs.

« Le sentiment d’abandon est très répandu chez les personnes âgées avec qui je travaille, conclut Jacquelin Deranne. La confiance envers la société, très fragile, va être difficile à récupérer. Il faut développer une approche rassembleuse, ne laisser personne derrière. »