La crise sanitaire l’a encore une fois démontré : l’équilibre fragile dans lequel vivent plusieurs ménages est vite mis à mal. Alors que le logement est un déterminant de la santé, le droit au logement des locataires les plus vulnérables est plus que jamais compromis.
La pandémie a mis en lumière les limites du marché locatif privé pour répondre au besoin fondamental de se loger : quand on perd la moitié de son revenu ou que nos dépenses d’épicerie augmentent drastiquement, le prix élevé du loyer devient un problème encore plus criant. Quand en plus sévit une pénurie de logements locatifs qui complique la recherche de logement et laisse plus de place aux abus et à la discrimination, la situation peut tourner au drame pour de trop nombreuses personnes.
La Covid-19 et la crise économique qui risque de suivre entraineront un accroissement des besoins, qui étaient déjà effarants : près de 200 000 ménages locataires du Québec consacraient plus de la moitié de leur revenu lors du dernier recensement. S’ajouteront à ces personnes déjà à risque, les nouveaux chômeurs et les nouvelles chômeuses, et toutes les autres personnes qui n’auront pu payer le loyer et qui risquent une éviction dès que le moratoire instauré le temps de l’urgence sanitaire prendra fin. Les femmes, déjà moins favorisées économiquement, ont été plus nombreuses à perdre leur emploi en raison de la pandémie.
Alors que renforcer le filet social s’avère plus important que jamais, les gouvernements se trainent les pieds, concédant des mesures partielles, insuffisantes, qui ne sont pas du tout à la hauteur des défis actuels en matière de droit au logement.
Pourtant, la crise du logement, la crise sanitaire, la crise économique subséquente et la crise climatique sont autant de circonstances qui imposent aux gouvernements Legault et Trudeau l’urgence d’agir. Ils ont le devoir de mettre en place des mesures permettant d’éviter qu’encore plus de personnes soient mal-logées, exclues de leurs milieux de vie, ou se retrouvent à la rue.
Le Québec et le Canada se sont engagés à respecter, à protéger et à mettre en œuvre le droit à la santé, à un logement convenable et à une nourriture suffisante. Malheureusement, ils ont fait trop peu en ce sens et les conséquences ont été exacerbées durant la pandémie. Ils doivent maintenant y remédier !
Pour ce faire, des investissements majeurs sont requis, notamment dans un grand chantier de logements sociaux, prenant autant la forme de coopératives et d’organismes sans but lucratif d’habitation que de logements publics. Non seulement parce que ce type de logement assure des loyers rencontrant la capacité de payer des ménages occupants, mais aussi parce qu’ils sont hors marché, donc, à l’abri des reprises de possession bidons et de la spéculation immobilière. Ce sont des investissements publics durables dans le temps, pour les générations actuelles et futures, en plus de permettre aux personnes à faible et à modeste revenus, d’avoir un meilleur contrôle sur leur milieu de vie. Avec du soutien communautaire, ils sont une solution pour prévenir l’itinérance ou en sortir. Ils répondent aux besoins d’une variété de populations telles que les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les femmes victimes de violence conjugale qui autrement, ont difficilement accès à des logements abordables à la sortie d’une ressource d’hébergement, les Autochtones vivant en milieu urbain où le racisme et la discrimination risquent d’être exacerbés par la crise, etc,. Ils sont aussi une solution pour les familles qui ne peuvent pas accéder à la propriété, alors que les grands logements locatifs sont une denrée rare. Doit-on rappeler à ce sujet que pendant de nombreuses années, la plupart des logements familiaux construits dans les grandes villes l’ont été par des coopératives d’habitation?
Par ailleurs, la construction de logements sociaux et communautaires a de nombreuses retombées économiques positives. Au Québec, chaque dollar investi par le gouvernement génère des investissements d’au moins 2,31 $ dans l’économie. De plus, les sommes, que les locataires de logements sociaux et communautaires économisent sur le prix de leur loyer, sont dirigées vers d’autres dépenses locales.
En bref, il est évident que le logement social, qui ne constitue actuellement que 4% du parc de logements au Canada, doit absolument être renforcé pour répondre aux besoins, pour réduire les inégalités socioéconomiques, pour contrer les effets néfastes de la spéculation immobilière et de la gentrification des villes et ainsi que pour bâtir des communautés plus résilientes.
C’est pourquoi, dans le cadre de son plan de relance économique « post-coronavirus », le Québec doit prévoir les investissements nécessaires au développement d’au moins 10 000 nouveaux logements sociaux et communautaires pour la prochaine année et planifier des investissements pour les 5 années à venir. De son côté, Ottawa doit reconnaître que sa « Stratégie nationale sur le logement » est largement inadaptée pour répondre aux besoins des personnes et des familles les plus mal logées. Il doit donc augmenter considérablement ses investissements dans l’aide au logement qui ont baissé de 300 millions de dollars entre 2018 et 2019, selon Rapport annuel 2019 de la SCHL, et signer une entente fédérale-provinciale avec le Québec reconnaissant la juridiction de ce dernier en habitation. La seule exigence fédérale doit être que l’entièreté des sommes versées pour le logement serve au logement. Nos organisations s’engagent, pour leur part à tout mettre en œuvre pour s’assurer, que ce soit le logement social qui soit privilégié par le gouvernement québécois dans l’utilisation des investissements fédéraux et dans ses propres programmes de financement.
Signataires :
- Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU
- Chantal Desfossés, Directrice générale, Réseau québécois des organismes sans but lucratif d’habitation
- Philippe Meilleur, président, Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec.
- Véronique De Sève, vice-présidente, Confédération des syndicats nationaux (CSN)
- Louise Riendeau, Coresponsable des dossiers politiques, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
- Manon Monastesse, directrice générale et porte-parole, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
- Ève-Marie Lacasse, coordonnatrice, Ligue des droits et libertés
- Robert Pilon, Coordonnateur, Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec
- France-Isabelle Langlois, Directrice générale, Amnistie internationale Canada francophone
- France Latreille, Directrice, Union des consommateurs
- Anne-Marie Boucher, Responsable des communications et de l’action sociopolitique, Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec
- Marie-Line Audet, Directrice générale, Table nationale des Corporations de développement communautaire (TNCDC)
- Adi Jakupović, Secrétaire général, Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec, (SPGQ)
- Christian Daigle président général, Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec
- Benoît Lacoursière, Secrétaire général et trésorier, Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN)
- Marie-Andrée Gauthier, Coordonnatrice générale, Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec
- Mathieu Francoeur, Coordonnateur, Mouvement PHAS (Personnes handicapées pour l’accès aux services)
- Maxime Roy-Allard, porte-parole, Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec
- Stéphanie Tremblay, Regroupement québécois des CALACS
- Sylvie Lévesque, directrice générale, Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec
- Serge Petitclerc, Porte-parole, Collectif pour un Québec sans pauvreté
- Sylvie Sarrasin, présidente, Regroupement des cuisines collectives du Québec
- Dominique Daigneault, Présidente, Conseil central du Montréal métropolitain-CSN
- Annie Savage, directrice par intérim, Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
- Élisabeth Garant, directrice, Centre justice et foi
- Valérie Lépine, Coordonnatrice, Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec
- Christian Pelletier, coordonnateur, Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec