13 septembre 2019

Mme Catheryn Roy-Goyette, candidate du NPD

Pour donner suite à l’interview de Jean-Yves Duclos, ministre sortant dans le gouvernement Trudeau, paru dans le dernier numéro du bulletin Le Réseau (printemps-été 2019), le RQOH reçoit Catheryn Roy-Goyette, candidate du Nouveau parti démocratique (NPD) dans le comté d’Hochelaga où elle réside. Mme Roy-Goyette était depuis la vague orange de 2011 une proche collaboratrice de la députée sortante de cette circonscription, Marjolaine Boutin-Sweet, une femme qui elle-même était bien versée dans les questions relatives au logement social. Il était donc tout indiqué que ce soit Mme Roy-Goyette qui réponde à nos questions à l’approche des élections du 21 octobre.

Le Réseau : Quel bilan général faites-vous du mandat du gouvernement Trudeau en matière de logement et de lutte à l’itinérance ?

Catheryn Roy-Goyette : En fait, je le résumerais par lenteur, manque d’action et manque de volonté. Dans les quatre années de ce premier mandat libéral, on a consulté sur à peu près tout. Trois années de consultation, de discussions et de réflexion, alors qu’il y avait énormément de rapports qui avaient été produits par plusieurs groupes et aussi par des comités de la Chambre de communes. Finalement, on sort une stratégie où on annonce des milliards, mais quand on regarde de plus près, c’est égrainé sur tellement de temps qu’on rit vraiment des gens. L’argent frais ne sera disponible que dans deux et trois ans, alors qu’au moment où on se parle, les gens vivent une crise du logement, sont de plus en plus mal logés, se retrouvent de plus en plus en situation d’itinérance ou risquent de le devenir. Alors nous avons perdu quatre ans à se demander s’il fallait investir ou pas, pour se retrouver dans une situation d’urgence où l’on aura les moyens d’intervenir juste dans trois ans, c’est complètement inacceptable. Le bilan du gouvernement que je fais est celui d’un gouvernement qui n’a pas pris la question du logement au sérieux, et cela va coûter cher aux gens.

L.R. : La Chambre des communes a adopté au printemps 2019 une loi qui déclare que « le gouvernement du Canada a pour politique de reconnaître le logement comme un droit fondamental de la personne ». Comment cette reconnaissance de principe pourrait-elle s’incarner dans des actions concrètes ?

C.R.-G. : D’abord je dois dire enfin !, enfin, parce que le NPD a déposé un projet de loi pour reconnaître le droit au logement… dans plusieurs législatures différentes, par plusieurs députés, dont Marjolaine Boutin-Sweet [en 2016]. En fait, le Canada avait reconnu ce droit au moment de la ratification [en 1976] du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Enfin, en 2019, cette chose faite.

Comment concrètement le droit au logement peut-il être mis en œuvre par le gouvernement fédéral? En investissant concrètement. En donnant suite aux informations obtenues par les recensements. On sait qu’il y a une portion non négligeable de la population qui se retrouve en situation de précarité en logement, donc on doit s’assurer de répondre à ces personnes-là de manière urgente. Il faut investir dans la construction de logements sociaux et abordables. Le NPD prône la construction de 500 000 nouveaux logements dans les dix prochaines années, dont la moitié dans un premier mandat.

Pour nous, c’est extrêmement urgent de construire du logement social, du logement abordable, parce que dans la dernière décennie ce n’est pas ce type de logement qui a été construit. Les logements ne sont pas abordables pour une bonne portion des citoyens et citoyennes.

L’autre chose c’est qu’à l’heure actuelle, les gouvernements successifs ont tellement désinvesti dans la construction de logements sociaux que, même si demain matin on avait 500 000 nouveaux logements sociaux, il y a encore des gens qui se retrouveraient dans une situation précaire.

Le NPD propose d’investir pour soutenir ces personnes, celles qui se retrouvent dans des logements privés et qui n’ont pas les moyens d’assumer le coût du loyer. Au sujet de ce soutien à la personne, il faudra avoir des discussions avec les organismes du milieu, ceux qui sont les plus à même de nous conseiller sur la meilleure façon de soutenir les individus sans subventionner de manière détournée les propriétaires.

Tels sont les engagements du NPD : premièrement, construction; deuxièmement, s’assurer qu’on soutient les gens. Cela c’est pour l’urgence. Ensuite, il est évident que le gouvernement doit s’assurer de faire un suivi serré du marché locatif, viser des cibles de logements sociaux en termes de pourcentage du parc immobilier qui doit être socialisé et donc rendu définitivement abordable.

L.R. : Dans la Stratégie canadienne, la notion d’abordabilité est définie par rapport à de grandes moyennes, jamais par rapport à la capacité réelle de payer de la personne. Si les 60 000 logements annoncés par le fonds de co-investissement se réalisaient rapidement, il y aurait certes une augmentation du parc du logement hors marché, ce qui serait positif pour l’équilibre général du marché du logement, mais il reste que pour les personnes plus à faible revenu, ces logements ne seraient pas nécessairement accessibles. Comment la notion d’abordabilité s’intègre-t-elle dans votre objectif de 500000 logements sociaux?

C.R.-G. : On parle des logements sociaux et abordables. Il s’agit de HLM, de coopératives et d’OBNL d’habitation, pour nous c’est clair, nous parlons de logements subventionnés liés à la capacité de payer des personnes. Le programme NPD fait explicitement référence à la capacité de payer des gens. Cela correspond à la définition du logement social québécois, qui est portée par la SHQ : le logement social est un logement où la personne paye un loyer selon son revenu. C’est un dossier sur lequel je me suis battue durant les huit dernières années: la sauvegarde de la subvention au loyer dans le cadre de la fin des conventions d’exploitation.

L.R. : Globalement au Canada, les prix des logements sur le marché privé augmentent à un rythme deux fois plus rapide que les revenus des locataires. Quelles sont les mesures que le NPD entend prendre pour favoriser le maintien d’une offre de logement à des prix raisonnables et lutter contre la spéculation et la surchauffe dans l’immobilier résidentiel ?

C.R.-G. : Le NPD veut intervenir sur la question de la spéculation immobilière en étendant à la grandeur du pays la taxe sur les acheteurs étrangers qui a été adoptée par Toronto et Vancouver. Ceci pour calmer le jeu de la vente et la revente qui est un moteur de spéculation immobilière et d’embourgeoisement dans plusieurs des quartiers urbains au Canada. L’autre chose, c’est de réévaluer le mandat de la SCHL : s’assurer que cette société d’État, créée en contexte de crise du logement après la Seconde Guerre mondiale, n’encourage plus la spéculation. Qu’elle intervienne réellement dans le marché pour éviter l’emballement, socialiser un maximum d’unités, retirer ces unités pour toujours du marché et garder des loyers accessibles pour tout le monde.

L.R. : La crise du logement de l’été 2019 ne sera pas complètement résorbée au moment des élections au pays le 21 octobre prochain. De nombreuses personnes peinent toujours à se loger au moment où se tient cette entrevue. Comment le gouvernement du Canada peut-il agir dès les premiers mois d’un nouveau gouvernement pour éviter que cela ne se répète en 2020 ?

C.R.-G. : Nous proposons une aide directe à la personne, une subvention directe au loyer ou un crédit d’impôt locataire, cela reste à déterminer. Je me répète, nous allons nous assurer que ce ne soit pas une subvention déguisée aux propriétaires. Au lendemain de l’élection d’un gouvernement NPD, il faut que l’argent soit disponible pour que les projets débloquent. Ce n’est pas normal que des projets prennent trois, quatre, cinq ans pour sortir de terre.

L.R. : Le déploiement de toute action fédérale en matière d’habitation se fait nécessairement en collaboration avec les provinces, les territoires et les municipalités, en plus des autres parties prenantes. À tort ou à raison, on perçoit souvent le NPD comme défendant une vision plus interventionniste ou plus dirigiste à cet égard…

C.R.-G. : Le NPD a la Déclaration de Sherbrooke [adoptée dans cette ville en 2005] qui dit que lorsque le gouvernement du Québec a un programme qui est similaire à ce qu’un gouvernement NPD met de l’avant, il peut se retirer du programme avec pleine compensation financière. Dans un contexte où le gouvernement du Québec a le programme AccèsLogis, le gouvernement fédéral ne peut pas imposer ses critères. Si le gouvernement du Québec décide de prendre l’argent fédéral et de construire des autoroutes, c’est le travail [des organismes de défense des droits et les partenaires du logement social] de s’assurer qu’il ne le fasse pas. Ce n’est pas la job du gouvernement fédéral d’être paternaliste avec le gouvernement du Québec et lui dire quoi faire ou ne pas faire avec son budget. On a chacun nos responsabilités. La responsabilité du gouvernement fédéral est de s’assurer que les provinces et les territoires ont les moyens de construire des logements. Le problème qui semble achopper dans les négociations actuelles [sur le financement par le fédéral du programme AccèsLogis], c’est qu’Ottawa veut mettre des conditions avec son financement. Ça ne marche pas.

L.R. : Si le Québec prenait l’argent fédéral pour financer le soutien au loyer sur le marché privé plutôt que de la construction de logements…

C.R.-G. : Il reviendrait à la société civile québécoise d’imposer ses orientations à son gouvernement.

L.R. : Le NPD dit vouloir s’appuyer sur le secteur coopératif, communautaire, les OSBL, pour réaliser sa promesse de construire 500 000 logements. La réalité québécoise, c’est que l’on a un écosystème très complexe de joueurs et d’intervenants qui s’est développé sur plusieurs décennies, en partie grâce à AccèsLogis qui comprend un volet (1 % des coûts de réalisation est mis de côté) pour consolider les partenaires, les pourvoyeurs communautaires, les comités logement, etc. Dans le parc fédéral qui est encore existant et les projets à venir avec le fonds de co-investissement, il n’y a pas de soutien aux organismes du milieu. Est-ce que votre proposition pour une stratégie bonifiée inclut un soutien au tiers secteur, aux OSBL et aux coops?

C.R.-G. : Oui. On ne peut pas demander à des organismes de réaliser des projets et ne pas les soutenir. Le fédéral devra soutenir les organismes du milieu. Toutes les stratégies devront être utilisées pour arriver à créer ces unités. Il faudra aussi mettre en place des réserves de terrains fédéraux, parce que dans les quartiers centraux des villes, les terrains où construire du logement social il n’y en a plus. Un autre objectif très ambitieux est de rénover l’ensemble du parc de logement social d’ici 2030. Si on veut arriver à remplir tous ces objectifs-là, on a besoin de partenaires en santé, il faut les soutenir.

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 57