7 janvier 2019

Exploiter une résidence pour aînés : un défi de tous les jours

La vague de fermetures de résidences pour aînés, dont les médias ont fait état tout au long de la dernière année, témoigne des difficultés que rencontrent leurs exploitants. Les résidences sans but lucratif, qui représentent un peu moins de 8 % du parc global de RPA, ne sont pas à l’abri de ce phénomène. Application du seuil minimal de surveillance ; financement de l’installation de gicleurs ; maintien d’une offre de services accessible aux locataires : les défis sont certes nombreux pour les gestionnaires et administrateurs des OSBL d’habitation pour aînés.

Création d’un groupe d’intervention

« Au printemps 2018, explique Stéphan Corriveau, directeur général du RQOH, la fermeture d’une résidence privée à 48 heures d’avis, à Vallée-Jonction, a mis en lumière les difficultés que rencontrent plusieurs exploitants et surtout, la grande vulnérabilité des résidents qui disposent pourtant d’un bail de logement mais se retrouvent contraints, à quelques jours d’avis, de trouver un autre endroit pour se loger. » Pendant que d’autres situations de ce genre faisaient la manchette, la ministre responsable des Aînés de l’époque, Francine Charbonneau, avait alors annoncé la création d’un groupe d’intervention, auquel le RQOH s’est joint, pour éviter d’autres fermetures subites de RPA.

Une communication a par la suite été envoyée aux exploitants des quelque 1 800 résidences en opération pour leur rappeler l’obligation qui leur est impartie de donner un préavis de six mois en cas de fermeture. Le groupe de travail souhaitait ainsi pouvoir intervenir en amont, avant qu’une décision s’avère irréversible, afin d’aider à trouver des solutions pour éviter d’en arriver à cette option. Il reste qu’en pratique, il y a encore eu tout au long de l’automne des situations où des exploitants ont été contraints de cesser leurs activités. À chaque fois, les responsables du réseau de la santé et des services sociaux ont fait des efforts remarquables pour assurer une relocalisation rapide et humaine des résidents, mais la situation demeure néanmoins hautement préoccupante.

Des fermetures en cascade

Depuis cinq ans, ce sont pas moins de 390 RPA qui ont fermé leurs portes. « Il s’agit pour l’essentiel de résidences de moins de 50 unités locatives situées en milieu rural ou semi-urbain, qui étaient souvent l’unique ressource disponible dans leur milieu », explique M. Corriveau. On assiste en effet à un phénomène de concentration de l’offre d’unités locatives dans les grandes résidences appartenant à quelques groupes dont le modèle d’affaires exige la création de grands ensembles de plusieurs centaines d’unités locatives. « Ces résidences sont beaucoup moins abordables et on en retrouve très peu en dehors des grands centres urbains. Cela pose un défi certain pour les personnes aînées à faible revenu et celles qui ont besoin du type d’environnement et de services que l’on retrouve dans les RPA mais souhaitent pouvoir continuer à vivre dans leur milieu d’origine. »

Heureusement, le modèle des habitations communautaires pour aînés vient compenser en partie ce manque dans l’offre de logements adaptés aux besoins des personnes âgées. Parmi les 1 800 résidences certifiées par le MSSS, on en dénombre actuellement 225 qui ne sont pas à but lucratif. Parmi elles, il y en a 193 qui sont exploitées par un OSBL d’habitation. Ces résidences totalisent près de 8 000 unités locatives et on les retrouve dans près de 300 municipalités à travers la province. Il s’agit pour la grande majorité de résidences de petite taille (la médiane s’établit à 24 unités locatives), qui s’adressent à une clientèle autonome ou en légère perte d’autonomie – bien que certaines offrent aussi des services d’assistance personnelle, voire des soins infirmiers. Elles se distinguent en outre par l’abordabilité de leurs loyers, leur proximité avec les organismes communautaires et leur ancrage dans leur milieu.

« Même si leur mode d’exploitation, avec un conseil d’administration formé de représentants des locataires et de personnes issues de la communauté, diminue grandement le risque de fermetures subites, les résidences sans but lucratif font face à des défis souvent similaires aux autres RPA », précise cependant le DG du RQOH.

Actuellement, dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans la plupart des régions, plusieurs rencontrent des difficultés de recrutement et de rétention du personnel. Assurer la viabilité des services offerts aux résidents pose également un défi constant. L’aide accordée à ceux qui bénéficient de logements à loyer modique ne couvre en effet que le loyer de base, correspondant au coût du logement. Les services non résidentiels (repas, loisirs, entretien ménager, surveillance ou encore les services d’assistance personnelle et les soins infirmiers, là où ces services sont offerts) doivent s’autofinancer et leur coût doit être entièrement assumé par les résidents, qui ne disposent majoritairement que de faibles revenus.

Au cours des dernières années, le rehaussement des normes et critères d’exploitation des RPA imposé par les autorités a créé de graves difficultés pour les résidences sans but lucratif. La mise en vigueur, en 2013, d’un règlement imposant la présence en tout temps, dans toute résidence, d’une personne salariée ayant une formation de préposé – y compris dans les résidences n’offrant aucun service dispensé par des préposés! – a contraint plusieurs douzaines d’organismes à ajuster leur offre de services pour ne plus être assujettis à la certification des RPA. Ces résidences sont maintenant considérées comme étant « fermées » par le MSSS, même si leurs locataires y demeurent toujours et qu’une offre de services de base y reste proposée.

Le secteur OSBL fait également face à la précarité

En avril 2018, un nouveau règlement est finalement entré en vigueur après près de quatre ans de discussions, qui a apporté certains assouplissements aux normes et critères d’exploitation (les faits saillants de ce règlement ont été présentés dans le dernier numéro de ce bulletin). Dans certains cas toutefois, les nouvelles dispositions rendent plus précaire l’exploitation des RPA. Bien que le déploiement du nouveau règlement ne soit pas encore complété et que les données soient encore incomplètes, il semble qu’une douzaine de RPA sans but lucratif pourraient être contraintes d’embaucher du personnel supplémentaire, en raison d’un rehaussement du seuil minimal de surveillance. Dépendant de l’étendue des plages horaires à couvrir, cela se traduira inévitablement par une augmentation des dépenses d’exploitation de l’ordre de 100 000$ à 150 000$ annuellement – et donc par une augmentation des loyers équivalente, alors que ces résidences desservent une clientèle à faible revenu.

Interpellée à ce sujet, la présidente du RQOH, Jessie Poulette, questionne la cohérence des décisions gouvernementales : « Collectivement, on décide ce dont les personnes aînées ont besoin et on leur impose ensuite de payer la facture. Cela, alors que l’on favorise officiellement leur autonomie et leur pouvoir de décision! Si, comme société, on considère que le rehaussement du seuil de surveillance dans certaines résidences sans but lucratif s’impose, alors c’est à la collectivité d’en assumer les coûts, et non aux aînés qui y vivent, qui sont parmi les plus vulnérables financièrement. »

En plus de celles-là, une trentaine d’autres résidences OSBL se trouvent également dans une situation précaire, du fait d’une modification aux critères d’exploitation qui leur sont imposés. Majoritairement situées en milieu rural, ces résidences, de moins de 50 unités locatives et dont l’offre de services s’adresse à une clientèle autonome, bénéficiaient jusqu’en avril dernier d’une disposition qui les autorisait à mettre à contribution les membres du voisinage pour intervenir en cas d’urgence, durant les périodes où aucun membre du personnel n’est présent dans l’immeuble. Dorénavant, ces mécanismes de surveillance basés sur la mobilisation de la communauté, qui fonctionnaient très bien et satisfaisaient aux exigences des établissements du réseau, ne sont plus considérés comme suffisants et les organismes doivent assurer la présence en tout temps dans la résidence d’une personne en charge de la surveillance. Situées pour la plupart dans le Bas-Saint-Laurent et en Chaudière-Appalaches, ces résidences sont maintenant confrontées à un choix déchirant : n’ayant pas les moyens de payer pour la présence de personnel de surveillance dans la bâtisse, il leur sera impossible de se conformer à la réglementation.

À l’occasion d’une rencontre collective des organismes de la région en novembre dernier, le président de la Fédération des OSBL d’habitation du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles, Gervais Darisse, a résumé le sentiment qui anime leurs gestionnaires et administrateurs : « Nos organismes font tout ce qui est possible pour répondre aux exigences et nous voulons que nos résidences restent certifiées, mais il faudra que les autorités fassent preuve d’un peu de souplesse et tiennent compte de notre réalité. »

Les mêmes enjeux se posent concernant l’obligation d’installer des gicleurs d’ici le 2 décembre 2020 dans l’ensemble des RPA. Le programme d’aide financière administré par le MSSS ne couvre qu’une partie des coûts d’installation et ses modalités ne facilitent pas l’obtention de financement par les organismes concernés. Pour la cinquantaine de RPA OSBL contraintes de procéder à cette installation, le manque à gagner se chiffre à environ 3,5 millions de dollars. Encore là, on est en face d’une situation où on impose aux personnes aînées à faible revenu le fardeau d’assumer le coût d’une décision dont on a collectivement jugé qu’elle est nécessaire pour assurer leur sécurité.

Le nouveau gouvernement élu le 1er octobre hérite de ces dossiers délicats, qui exigent une intervention rapide et généreuse pour assurer la survie des petites résidences, et en particulier des RPA sans but lucratif qui constituent souvent la seule option accessible pour les ainés à faible revenu et ceux qui ont vécu toute leur vie dans les communautés rurales. Déjà, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, s’est dite sensible au problème des petites résidences et des OSBL. Souhaitons que ces enjeux connaîtront finalement des solutions qui assureront la viabilité de ces projets, non seulement pour les aînés qui y vivent actuellement mais pour les prochaines générations qui auront encore besoin de logements collectifs accessibles et adaptés aux exigences du vieillissement.