Mise en contexte — petit retour en arrière
En février 2023, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, profitait d’une entrevue accordée à La Presse pour annoncer la fin du programme AccèsLogis Québec, un programme cumulant 25 ans d’existence. Depuis, les gouvernements du Québec et du Canada ont tous deux présenté des budgets extrêmement décevants en matière de logement social, suivant depuis 30 ans cette tendance vers une baisse de l’investissement des gouvernements dans ce secteur. Au cours des 20 dernières années, nous avons assisté à la création d’une multitude de fonds privés venant combler certains besoins en financement auxquels l’État refusait de répondre.
À ce jour, le Programme habitation abordable Québec (PHAQ) demeurera le seul programme gouvernemental provincial actif. Le milieu a soulevé avec inquiétude toutes ses limites concernant le logement social, ainsi que son ouverture au secteur privé. En parallèle, en juin 2022, 350 M$ de fonds publics destinés à la réalisation de logements sociaux et abordables ont été transférés à des partenaires plutôt que d’être administrés comme prévu dans le cadre de programmes gouvernementaux normés.
Faute de financement étatique adéquat, les promoteurs immobiliers à but non lucratif sont ainsi encouragés à se tourner vers divers fonds privés pour développer de nouveaux projets. Comment un nouveau modèle de développement du logement peut-il répondre à la fois aux besoins de la population, et aux exigences d’efficacité dans la réalisation des projets ? Comment s’assurer que ces investissements comportent des normes et des critères qui assureront des loyers selon les revenus des ménages, mais aussi la pérennité de « l’abordabilité » ? Pousser les groupes communautaires vers ces sources de financement ne prépare-t-il pas un désengagement accru de l’État ?
> Un après-midi riche en réflexions
Quatre sujets principaux furent ainsi abordés lors de la table ronde : le désengagement de l’État, le fonds privé et les besoins du terrain, l’efficacité et la rapidité de réalisation des projets immobiliers ainsi que la traçabilité et l’imputabilité des fonds publics.
Tous les participants étaient d’accord pour dire que cette tendance au désengagement de la part de l’État ne doit pas être encouragée. Le droit au logement va de pair avec des responsabilités que le gouvernement a les moyens d’assumer, comme l’a soutenu François Saillant, ex-coordonnateur et porte-parole du FRAPRU, en relatant le parcours historique du logement social au Québec. Marie-Sophie Banville, chercheure associée représentant l’Institut de recherche et d’information socioéconomique (IRIS) souligne que malgré la multiplication des fonds fiscalisés comme on le voit actuellement, il y a une homogénéisation de l’offre, mais aussi de la concentration future des acteurs, qui engendre le découragement des plus petits joueurs : elle observe une asymétrie de pouvoir et de moyens.
Pour créer du logement social, les besoins du terrain et les fonds doivent être en adéquation. À ce propos, Charles Guindon, agent de développement pour Bâtir son quartier a souligné plus d’une fois que le milieu de l’habitation dispose d’une expertise forte, mais que la difficulté des montages financiers exigés est souvent un fardeau pour les groupes, un frein. Pour ce qui est de l’efficacité et de la production, Réjean Bellemare, conseiller régional pour le Fonds immobilier de solidarité FTQ affirme que la FTQ est rapide pour ce qui est du processus d’approbation des projets. François Saillant a renchéri en disant que l’efficacité passe aussi par la volonté de l’État. L’animatrice et directrice générale de la FOHM, Chantal Desjardins, a aussi soulevé des questions à propos de la traçabilité des fonds publics confiés au privé. M. Bellemare a assuré qu’il y aurait à l’avenir une reddition de compte du côté de la FTQ. À suivre…
En conclusion, les panélistes s’entendaient pour dire que le logement social est une responsabilité de l’État et que l’expertise du milieu n’est plus à prouver. Il semble toutefois que le gouvernement actuel cherche à se détacher de cette responsabilité en misant sur la nouveauté des modes de financement, laissant les acteurs sur le terrain fabriquer des solutions. Les panélistes étaient d’accord pour dire que certaines pistes de solutions s’offrent à nous dans le futur, comme la nécessité d’enseigner notre modèle, comme le soulignait Charles Guindon. Marie-Sophie Banville a fait appel à un front commun du milieu de l’habitation afin de rassembler les savoirs et de faire entendre nos besoins.
Les questions et la grande participation du public ont également enrichi les réflexions collectives, si bien que les échanges se sont étendus au-delà de l’heure de fin prévue. À l’issue de l’évènement, la soirée s’est poursuivie autour d’un 5 à 7 organisé par la FOHM. Une expérience à reproduire !