C’est entre une rencontre et un vote à la Chambre des Communes que le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social du Canada nous a accordé cette entrevue. À titre de ministre responsable de l’habitation et de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, c’est lui qui est à l’origine de la Stratégie nationale sur le logement (SNL) qui a été lancée à Ottawa le 22 novembre 2017.

RQOH : Expliquez-nous la démarche visant à reconnaître, dans la loi, « le droit de chaque Canadien d’accéder à un logement convenable ».

Jean-Yves Duclos : C’est une démarche qui est venue naturellement, en séquence, à partir du moment où le gouvernement canadien a pris la décision formelle en 2016 de concevoir et d’implanter la première SNL de l’histoire du Canada. Dès le budget de 2016 nous avons multiplié par trois les transferts en logement envoyés aux provinces pour les amener à investir rapidement dans le logement sachant à quel point la relative absence du gouvernement fédéral au cours des années antérieures avait mené à des enjeux sérieux non seulement d’accès à du logement sûr, et de la capacité des ménages à plus faible revenu de se loger de manière abordable et sécuritaire.

En procédant rapidement, nous avons envoyé le signal très clair que le logement faisait partie des priorités du gouvernement canadien. Ensuite est venue la décision de travailler avec les acteurs et les leaders en logement à travers le Canada et, un peu plus tard, parce que cela n’a pas été immédiat, est survenue la conviction qu’axer nos actions à court terme et à long terme autour du droit au logement était la voie à privilégier. Non seulement parce que c’est une façon d’indiquer très clairement que le droit au logement est un droit de la personne fondamental – cela fait partie des besoins essentiels de se loger correctement – mais aussi nous pensions que cela allait pouvoir orienter les discussions, les réflexions et les actions à venir à plus long terme.

Nous sommes rendus à la dernière phase de cette implantation du droit au logement, une phase législative au cours de laquelle va être déposé un projet de loi. Celui-ci va asseoir les obligations morales qu’impose le droit au logement dans le contexte de sociétés développées comme celles du Québec et du Canada, mais aussi les obligations internationales auxquelles a souscrit le gouvernement canadien au cours des dernières décennies. L’autre aspect est d’imposer aux futurs gouvernements canadiens l’obligation non seulement d’évaluer, mais aussi de renouveler les stratégies nationales du logement. Il s’agit d’imposer un degré de transparence et de redevabilité solide, puissant, engageant nos gouvernements à faire la bonne chose en matière de logement dans l’avenir.

RQOH : Comment évaluez-vous le déploiement de la SNL jusqu’à maintenant?

J-Y D. : En novembre 2017, la réponse a été positive. Cette Stratégie sur le logement, c’est un peu la stratégie du gouvernement canadien, mais c’est surtout la stratégie des leaders et des acteurs en habitation à l’échelle du Canada, dont le RQOH. Toutes ces organisations, motivées, préparées, ambitieuses, étaient prêtes, lorsque le gouvernement libéral est arrivé au pouvoir en 2015, à proposer leur propre stratégie.

Et il se trouve que, à part l’importance de travailler ensemble plusieurs mois pour aligner parfaitement ces stratégies qu’avait préparées le milieu dans une vision cohérente, le reste était relativement simple pour le gouvernement canadien. À condition évidemment que les moyens soient à la mesure des ambitions du milieu. Mais ça cela a été le cas. C’est la première raison pour laquelle la SNL été accueillie de manière si positive : c’est une stratégie qui a été développée à travers le travail patient, méticuleux et sérieux d’une foule de leaders et de partenaires en logement au Canada.

Les choses vont maintenant très rapidement. La stratégie a été déposée il y a à peine un an et demi et, quand on sait à quel point les choses peuvent aller lentement pour un gouvernement aussi gros que le gouvernement canadien, on se réjouit de la vitesse avec laquelle tout ça a été mis en place par la suite. Plusieurs projets ont été lancés d’un bout à l’autre du pays quelques mois à peine après l’annonce de la SNL. Ce n’est pas étonnant parce que le niveau d’intérêt est considérable et les gens sentent qu’on entre dans une nouvelle ère de leadership et de partenariat en matière d’habitation.

Je trouve cela enthousiasmant – mais cela m’amène aussi à être plutôt humble – de voir qu’une bonne part des énergies qui mènent au succès de cette stratégie sont des énergies qui viennent de l’extérieur du gouvernement canadien. Le gouvernement canadien est essentiellement poussé, encouragé par les tonnes de choses qui se passent déjà depuis à peine quelques mois, mais qui mènent à des résultats significatifs. Seulement au Québec depuis le budget de mai 2016 et ses investissements additionnels en matière d’habitation, à peu près 1,5 milliard de $ ont été investis. Cette somme a profité à 330 000 familles québécoises[1], les a aidées à trouver un endroit sûr, décent, confortable et abordable où pouvoir vivre.

Donc je dirais qu’à la lumière de la lenteur avec laquelle les gouvernements fonctionnent normalement, le succès si rapide de cette stratégie nationale du logement est quelque chose qu’on peut célébrer non seulement à l’intérieur du gouvernement canadien, mais très certainement à l’extérieur.

RQOH : Plus les programmes de la SNL prennent forme, plus il y a de gens qui contestent l’adéquation entre les objectifs énoncés et les moyens déployés.  Considérez-vous comme clos le débat sur le budget consacré au logement communautaire ?

J-Y D. : Ce n’est pas parce qu’on l’a lancée le 22 novembre 2017 qu’elle est maintenant figée dans le béton. Au contraire, on veut que ce soit une stratégie en évolution, qu’on continue à travailler efficacement, respectueusement avec les acteurs en matière d’habitation un peu partout au pays pour que cette stratégie évolue au cours des prochaines années et qu’elle livre des résultats toujours meilleurs avec la collaboration du secteur.

RQOH : Est-ce que le gouvernement canadien pourrait faire sien l’« objectif corporatif » de la SCHL en vertu duquel en 2030, 100 % des personnes au Canada vivront dans un logement décent et abordable ?

J-Y D. : Parlons d’abord d’itinérance. Je ne veux pas trop sortir du sujet du logement, mais on sait très bien qu’il y a un lien. En matière d’itinérance et de conditions de logement inabordable et inadéquat et inacceptable, il y a toujours des chocs dans nos vies : enjeux de santé mentale, enjeux familiaux, des chocs sur le marché du travail. Il y a des chocs qui font en sorte qu’il y aura, un peu comme pour le chômage, il y aura toujours un certain nombre de Canadiens qui vont vivre des périodes de transition difficiles en matière de logement et habiter temporairement dans des conditions inacceptables. On veut réduire ce nombre de personnes au maximum et c’est effectivement l’objectif de la SCHL qui, comme vous le savez, a connu une modification majeure de son mandat au cours des trois dernières années.

Le sort promis à la SCHL quand nous sommes arrivés au pouvoir en 2015 c’était de disparaître du décor, sauf peut-être en matière d’assurances hypothécaires. C’était ça la direction qu’on lui avait donnée, et c’était ce qu’elle avait compris comme étant le mandat qu’elle devait suivre à long terme… Donc on a essentiellement viré de bord la SCHL. Au début, comme vous vous en doutez, il y a eu des discussions sérieuses, mais une fois que le nouveau mandat de la SCHL a été bien compris, elle s’est orientée vers un objectif à long terme pour faire en sorte que le plus de Canadiens, et donc de Québécois, puissent vivre dans des logements adéquats et abordables.

RQOH : Comment évaluez-vous le rôle joué par le secteur du logement communautaire en particulier dans la mise en œuvre de la stratégie, et quelle place envisagez-vous lui confier pour la suite des choses?

J-Y D. : La place du logement communautaire dans la stratégie est non seulement importante, mais elle est appelée à croître au cours des prochaines années. Un des objectifs assez clairs de la SNL est de faire en sorte que le logement communautaire retrouve la place que ce secteur a déjà eue au Canada lorsque venait le temps de bâtir des logements qui soient soutenables, non seulement d’un point de vue financier et économique, mais surtout d’un point de vue social et communautaire. Donc un logement inscrit dans la communauté.

Il n’y a pas de meilleur modèle. Il y a d’autres bons modèles, mais je n’ai pas de meilleur modèle pour arriver à cet ancrage dans la communauté parce qu’on parle d’habitations qui sont souvent mixtes, dont les usagers, les bénéficiaires sont mixtes, dont les acteurs sont mixtes, dont les services et les usages sont mixtes, et aussi on parle de partenariats mixtes. Et tout ça dans une vision de long terme, de soutenabilité, de durabilité à long terme qui permet entre autres choses de prendre soin des populations les plus vulnérables. Alors c’est un modèle d’avenir. Comme je le disais, non seulement il figure très clairement dans la stratégie actuelle, mais je pense qu’il va prendre encore plus d’importance avec entre autres la collaboration et l’influence d’organismes comme le RQOH.

RQOH : La nouvelle stratégie de lutte à l’itinérance – Vers un chez soi doit éventuellement faire l’objet d’une entente avec le gouvernement du Québec. Comment se déroulent les pourparlers à ce sujet?

J-Y D. : Les pourparlers se déroulent bien parce qu’on a essentiellement les mêmes objectifs et qu’on travaille avec les mêmes partenaires. Non seulement les objectifs sont partagés par les deux niveaux de gouvernement, mais ce sont aussi des objectifs qui sont appuyés par la communauté, par le secteur. Alors ça avance bien, peut-être un peu plus lentement qu’avec d’autres provinces, car dans les autres provinces, le soutien du gouvernement [fédéral] va directement aux communautés, ce sont elles qui établissent les plans, allouent les ressources en fonction des objectifs et des responsabilités des différents organismes communautaires et qui ensuite font rapport des résultats directement au gouvernement canadien. Au Québec, c’est un modèle un peu plus inclusif parce qu’on implique les deux niveaux de gouvernement en plus des organismes communautaires. Mais une fois le cadre installé, ça fonctionnera aussi très bien!

[1] NDLR : M. Duclos inclut dans ce nombre tous les bénéficiaires du programme d’allocation logement, les locataires des HLM et l’essentiel des ménages recevant un supplément au loyer, puisque la SCHL contribue à tous ces programmes.