1 mai 2013

La pauvreté et les problèmes de logement: une affaire de femmes?

Par Véronique Laflamme. Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)

Dans les 10 dernières années, le Québec a subi une pénurie de logements locatifs. Celle-ci est encore dramatique dans certaines régions comme l’Abitibi et la Côte-Nord. Cette crise a laissé des traces profondes et les locataires en vivent, jour après jour, les conséquences : discrimination, logements trop chers, trop petits et en mauvais état. Les femmes sont elles plus concernées par ces problèmes que les hommes? Malheureusement oui, même si leur situation économique s’est améliorée au cours de la dernière décennie.

D’abord, les femmes sont plus nombreuses à être locataires (50 % des femmes le sont, versus 32 % pour les hommes). Par le fait même, elles sont particulièrement affectées par la pénurie et plus nombreuses à être aux prises avec les problèmes que vivent les locataires sur le marché privé. Elles courent aussi davantage de risques de se retrouver en difficulté financière, en raison du coût de leur logement.

Les problèmes de logement constituent une des manifestations majeures de la pauvreté des femmes. Comme dans l’ensemble de la population, parmi les ménages locataires, les femmes sont plus pauvres que les hommes : le revenu médian des ménages ayant une femme comme principale source de revenus est inférieur de 29 % (soit de 7 500 $ par année) à celui des hommes. Cela explique qu’elles soient plus nombreuses à consacrer une part trop élevée de leur revenu pour se loger. En 2006, 260 950 ménages dont le principal soutien financier était une femme, c’est-à-dire 40,1 %, d’entre eux, payaient plus que la norme de 30 % de leur revenu en loyer. Chez les hommes, ce pourcentage était de 30,8 %. Les femmes seules étaient encore plus mal prises : elles étaient plus de la moitié à consacrer plus de 30 % de leur revenu pour se loger et le quart à y mettre plus de 50 %. Quant aux femmes locataires cheffes de famille monoparentales, même si leur situation s’est améliorée, entre autres en raison de la bonification des programmes de soutien aux enfants et à la famille, elles sont, elles aussi, plus nombreuses à devoir consacrer une part démesurée de leur revenu au loyer. En 2006, elles étaient 44 830 dans cette situation, comparativement à 6 155 familles monoparentales dont le chef était un homme.

À l’échelle du Québec, le taux de logements inoccupés est encore sous le taux d’équilibre de 3 %. Partout, les logements de trois chambres à coucher et plus en bas de 700 $ sont pratiquement introuvables. Dans un contexte de pénurie persistante de logements à bas loyers, les problèmes de logements sont décuplés. Même si l’on consacre 30, 50, voire 80 % de son revenu pour se loger, on n’est même pas certaine de trouver un logement qui correspond à nos besoins. Les familles doivent parfois accepter des partages de logements plus ou moins heureux, s’entasser dans des logements trop petits ou demeurer dans des logements mal entretenus, voire insalubres. Depuis 2000, le coût des logements a augmenté en flèche, beaucoup plus vite que l’indice des prix à la consommation. À titre d’exemple, le loyer moyen d’un 4 ½ a augmenté de 43,1 % à Québec et de 39,1 % à Montréal! Si l’on additionne ce problème aux effets de la crise économique, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’incapacité de payer affecte de plus en plus de locataires. La cherté des logements a des conséquences directes sur celles qui la vivent : pour pouvoir payer le loyer, on se prive de nourriture pour faire manger les enfants, on se passe de médicaments et d’autres soins de santé, on cumule les jobines précaires à rabais, on court les comptoirs alimentaires. La santé et la sécurité de trop nombreuses femmes sont ainsi menacées.

La crise a de multiples autres facettes. La rareté des logements est propice à la discrimination dans l’accès au logement dont sont notamment victimes les mères de famille et les femmes appartenant à une minorité visible. La pénurie a aussi des effets particulièrement dramatiques pour les femmes victimes de violence conjugale. Certaines se maintiennent dans des situations de violence, faute de pouvoir en sortir. Des femmes hébergées dans des maisons d’hébergement ne peuvent en sortir parce qu’elles ne trouvent pas un logement convenable à un prix qu’elles puissent payer. Pendant ce temps, d’autres femmes qui ont un urgent besoin d’être hébergées sont condamnées à attendre, au risque de rester dans des situations de violence. Des femmes à faible revenu en situation de vulnérabilité vont parfois se faire demander, par leur propriétaire, d’offrir des faveurs sexuelles en échange d’une partie de loyer. De plus en plus de femmes vivent l’itinérance.

Il est clair que le marché privé, pour lequel l’immobilier est un business, permet de moins en moins à tous et à toutes d’avoir un toit de qualité sur la tête, sans que tout notre revenu y passe. Sa réponse à la crise persistante? Construire des logements de luxe et des condos. Pourtant les besoins des locataires sont énormes : déjà, en 2006, 203 085 d’entre eux et elles payaient plus que la moitié de leur revenu pour se loger et 87 075, plus de 80 %. Pour le FRAPRU, le logement est avant tout un droit, plutôt qu’une marchandise. La solution pour que ce droit soit effectif est de sortir le logement du marché privé et de construire du logement social, sous toutes ses formes (des coopératives, des organismes sans but lucratif et, de nouveau, des HLM). Afin de pouvoir répondre à tous les besoins, ça prend des investissements substantiels et à long terme. Le FRAPRU revendique 50 000 nouveaux logements en cinq ans. Cela représente le strict minimum, puisqu’à moyen terme, le FRAPRU souhaite qu’on double le nombre de logements sociaux au Québec. Alors que certaines sociétés ont fait le choix de donner prépondérance au logement social, celui-ci n’occupe que 11 % de l’ensemble du parc de logements locatifs québécois. Évidemment, c’est un pas important pour lutter contre la pauvreté, mais ce n’est pas suffisant. Pour ce faire, on doit assurer à tous et toutes un revenu décent : augmenter le salaire minimum, augmenter l’aide sociale et mettre fin aux catégories entre aptes et inaptes, arrêter le détournement des pensions alimentaires aux personnes aux études et à l’aide sociale…

Pour plus d’informations, consultez le www.frapru.qc.ca

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 43