À première vue, c’est difficile à croire, alors qu’est-il arrivé exactement ?
Le 25 février dernier, à Sherbrooke, l’OSBL administrant les 172 logements du Faubourg Mena’sen conclut la vente de ses propriétés, pour la somme de 18 millions de dollars, à des investisseurs privés. Quelques jours plus tard, le 1er mars, l’organisme demande au Registraire des entreprises du Québec de changer son nom et de retirer une clause à ses lettres patentes. Cette clause prévoyait qu’en cas de dissolution de l’OSBL, ses avoirs seraient distribués à d’autres organismes poursuivant des objectifs similaires. Le 5 avril, à la demande des cinq administrateurs, le Registraire déclare l’OSBL dissout. Dans cette dernière demande, les administrateurs avaient indiqué que l’OSBL n’avait plus de dettes, et que ses actifs avaient été partagés entre les membres. Les locataires n’étant pas membres de cet OSBL au sens juridique, on ne voit pas à qui réfèrent ces “membres”, sinon les administrateurs.
Quelques jours plus tard – le 8 avril, l’OSBL Villa Belle Rivière de Richelieu conclut lui aussi la vente de ses deux bâtiments, pour 2 millions de dollars, à des investisseurs privés. Sans explications ni garanties, les locataires des 60 logements se sont mobilisé·es. Une manifestation d’une centaine de personnes, dont les député·es Marie-Claude Nichols (PLQ), Andrés Fontecilla (QS) et Méganne Perry Melançon (PQ), attire l’attention médiatique. Les résident·es, appuyé.es notamment par la Fédération régionale des OSBL d’habitation de la Montérégie et de l’Estrie (FROHME), s’adressent aussi aux tribunaux pour empêcher la vente. Leur demande d’injonction a malheureusement été refusée par la Cour supérieure et la Cour d’appel.
Actuellement, le seul obstacle légal auquel fait face un conseil d’administration mal intentionné est la convention qui a permis au projet d’habitation d’être financé par le public et de naître. Or, ces conventions ont une durée limitée. Une partie de ces conventions, dont celles des deux OSBL mentionnés plus haut, sont déjà arrivées à échéance, et un nombre croissant de conventions viendront à terme dans les prochaines années.
Il y a plusieurs années, la Loi sur les compagnies s’appliquait aux compagnies à but lucratif et aux OSBL. Elle a été remplacée par la Loi sur les sociétés par actions, mais aucune nouvelle loi n’a été adoptée pour les OSBL. Ils sont les seuls encore assujettis à la désuète Loi sur les compagnies, qui ne prévoit aucun mécanisme pour empêcher l’administration d’un OSBL de vendre ses biens et de disposer de l’argent comme elle l’entend.
À contrario, la Loi sur les coopératives prévoit que l’autorisation du gouvernement est nécessaire pour qu’une coopérative d’habitation procède à l’aliénation de ses biens, lorsque ceux-ci ont reçu du financement public. La situation visée par ce mécanisme est précisément celle des projets Mena’sen et Villa Belle Rivière.
Pourrait-on copier-coller ces dispositions de la Loi sur les coopératives et les ajouter rapidement à la Loi sur les compagnies, afin de contrôler la vente future d’immeubles d’OSBL au privé ?
Absolument. C’est d’ailleurs la recommandation qu’a fait la FROHME auprès de la ministre Laforest le 24 mars dernier, et par le RQOH auprès de plusieurs députés lors du Blitz de l’habitation communautaire les 25 et 26 avril. Par la suite, les partis d’opposition ont talonné le gouvernement dans les commissions et les séances parlementaires pour qu’il apporte rapidement cette modification. Au moment d’écrire ces lignes, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation s’apprêtait à déposer un projet de loi à cet effet.
Cette modification à la loi permettra-t-elle de récupérer les 18M$ qui ont disparu lors de la dissolution de l’OSBL qui administrait le Faubourg Mena’sen?
Malheureusement non. Ce changement vise à exiger l’autorisation du gouvernement pour les ventes futures d’immeubles d’OSBL-H. Il ne permet pas de déclarer les ventes passées comme étant invalides ou nulles. Toutefois, le premier ministre Legault a annoncé la tenue d’une enquête afin de savoir « qui a mis ça dans ses poches ».
Ce mécanisme offrira-t-il une garantie qu’à l’avenir, ces ventes n’auront plus lieu ?
Non. Il s’agit d’un mécanisme de contrôle et non d’une interdiction. Les OSBL-H souhaitant vendre leurs immeubles pourraient demander et obtenir l’autorisation du gouvernement. Le gouvernement devra exercer ce contrôle en tenant compte de l’affectation sociale et communautaire du projet. Mais il ne s’agira pas d’une garantie absolue, puisque le mécanisme reposera sur la volonté ministérielle. Vraisemblablement, le gouvernement ne permettra pas que quelques personnes empochent l’argent de la vente. Il exigera plutôt que le produit de la vente soit redistribué à d’autres organismes œuvrant dans le logement communautaire. Toutefois, il lui restera possible d’autoriser des ventes d’immeubles d’OSBL-H à des investisseurs privés. Et même si ces investisseurs devaient s’engager à maintenir la vocation de l’immeuble, en bout de ligne, l’immeuble pourrait se retrouver à la merci de la spéculation du marché; la situation des résident·es sera précaire; et la communauté touchée n’aura eu aucun pouvoir décisionnel dans la vente.
Ce mécanisme offrira-t-il une garantie de pérennité pour les OSBL d’habitation ?
Non plus. Des facteurs autres que la mauvaise foi peuvent venir à bout des OSBL d’habitation. Les obstacles légaux au développement des OSBL d’habitation et le sous-financement à l’exploitation sont aussi des enjeux clés. Dans un contexte de crise du logement et d’investissements timides dans le développement de nouvelles unités, un projet de loi instaurant ce mécanisme ne doit absolument pas être compris comme assurant la pérennité des OSBL d’habitation.
Le droit peut-il protéger le logement social de situations comme celles du Faubourg Mena’sen et de la Villa Belle Rivière, considérant l’avidité et la vulnérabilité des êtres humains ?
Oui. Tout d’abord, il importe d’indiquer que l’écrasante majorité des administrateur.rices, gestionnaires, employé.es et bénévoles qui s’impliquent dans les OSBL d’habitation sont de bonne foi, et qu’ils et elles effectuent un travail vertueux et gratifiant et ce, malgré les difficultés inhérentes au secteur.
Ensuite, les actions immorales (qu’elles soient dû à l’avarice ou à des situations stressantes, voir oppressantes) des personnes sont permises par le droit via la notion individualiste de la propriété. Cette idée que la propriété est un droit individuel est si ancrée que même nos OSBL, pourtant de nature et de vocation communautaires, sont créées sur la fiction juridique qu’ils sont des personnes avec des droits individuels. Or, depuis la refonte du Code civil en 1994, nous avons au Québec un mécanisme juridique tout à fait inexploité quoique révolutionnaire : la fiducie d’utilité sociale. Dans ce mécanisme, les biens compris dans la fiducie n’ont plus de propriétaire : ils sont rattachés à une utilité sociale, et la légalité de l’administration de ces biens est déterminée par cette utilité sociale. Le mécanisme est réputé complexe, mais s’il est complexe, c’est surtout parce que nos lois et nos habitudes de pensée lui sont étrangères.
Bref, une modification à la Loi sur les compagnies et une enquête publique sur les ventes de Richelieu et Sherbrooke sont définitivement des pas dans la bonne direction, mais sans plus. Ce ne sont que des pas, et non la destination. Il ne faut point s’asseoir, mais rester debout, regroupé·es, et mobilisé·es.
Pierre-Luc Fréchette
Conseiller aux affaires publiques et juridiques – RQOH