Par Guillaume Hébert, chercheur
Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Qu’est-ce que le néolibéralisme? Si l’on cherchait à le résumer en quelques mots, on dirait qu’il s’agit d’une phase historique particulière de notre type d’économie, le capitalisme, qui se caractérise par la primauté du marché.
Tentons maintenant d’aller plus loin. On peut situer le néolibéralisme dans le temps. Il s’est imposé il y a une trentaine d’années, au tournant des années 80 en Angleterre sous Margareth Thatcher et aux États-Unis sous Ronald Reagan. Il avait été préalablement « testé » sur la population chilienne par le général Augusto Pinochet.
Il faut comprendre qu’à cette époque, le monde des affaires connaissait une baisse de rentabilité, c’est-à-dire que les profits des entreprises étaient de moins en moins intéressants et que ceci menaçait l’un des fondements de notre économie capitaliste qui repose notamment sur l’investissement dans une perspective de profit. Le néolibéralisme s’est alors imposé dans le but de redresser les taux de profit.
L’une des ironies de l’histoire du néolibéralisme est que cette approche économique était tout à fait marginale, voire même farfelue, lorsqu’elle a été développée au milieu du XXe siècle par des économistes alors perçus comme extrémistes. Pourtant, aujourd’hui, elle domine ou influence fortement tous les gouvernements. En effet, le néolibéralisme préside maintenant aux politiques publiques, il balise les relations économiques mondiales et il transforme même la manière dont les gens se voient eux-mêmes dans la société.
Mais qu’est-ce que ça fait concrètement, des politiques néolibérales?
Essentiellement, le néolibéralisme instaure la primauté du marché dans toutes les facettes de la société, tant pour le gouvernement, que pour les entreprises et les individus. Le néolibéralisme oeuvre inlassablement pour faire du marché et de la concurrence le seul critère des prises de décisions et de l’allocation des ressources dans la société. C’est pourquoi, depuis trente ans, le néolibéralisme a amené les gouvernements à privatiser (ex : vendre les transports publics à l’entreprise privée) libéraliser (ex : retirer le monopole de la poste pour générer de la concurrence avec le marché privé), sous-traiter (des services avant assurés par des salariés de l’État), signer des accords de libre-échange (ex : l’ALÉNA, qui limite le pouvoir des parlements contre les investisseurs), rationaliser (ex : procéder à des licenciements massifs), flexibiliser la main-d’oeuvre (habituellement par la précarisation des travailleuses et des travailleurs), réformer les protections sociales (ex : ne plus reconnaître le droit au travail et couper l’assurance-emploi), etc.
En somme, le néolibéralisme a rétabli la profitabilité des investissements des élites économiques en arrachant des concessions aux travailleurs et aux travailleuses, en termes de conditions de travail, certes, mais aussi en restreignant l’accès aux services publics. Ainsi, depuis trente ans, ces élites accaparent les gains de productivité que génère l’économie, les travailleurs et travailleuses s’endettent pour maintenir leur niveau de vie, et les inégalités de richesses s’accroissent.
Avec la progression de cette adhésion idéologique à la primauté du marché, la concurrence est présentée comme « saine » ou « naturelle ». C’est pourquoi on l’introduit partout, même au sein de la sphère publique. Désormais, par exemple, les universités doivent se faire la compétition entre elles pour attirer davantage d’étudiants que l’on présente alors comme des clients. La hausse des frais de scolarité (comme les autres augmentations ou impositions de tarification des services publics) sont des mesures néolibérales puisqu’elles inculquent aux étudiants eux-mêmes à se considérer comme des investisseurs qui misent dans leur propre « capital-humain » afin d’obtenir éventuellement un bon retour sur investissement. Dans le système de santé, la nouvelle logique de « financement à l’activité » que le gouvernement souhaite implanter dans les hôpitaux vise à créer un environnement de marché artificiel où les établissements publics seront en compétition les uns avec les autres pour attirer plus de patients désormais perçus comme des clients.
Une erreur courante consiste à assimiler le néolibéralisme à un retrait ou un démantèlement de l’État. C’est inexact. Sous la pression des politiques néolibérales, l’État ne s’est pas retiré en faveur d’une espèce de laisser-faire, il est au contraire devenu un acteur central dans le développement des marchés. Il subventionne, supporte, règlemente et met en place d’armature dont ont besoin les marchés pour s’élargir. Il devient un État néolibéral.
Dans le logement, on verra par exemple l’État se retirer des conventions allouant un financement au logement social (dynamique hors marché), mais favoriser le développement d’une initiative telle que « housing first » qui consiste à payer directement des propriétaires privés afin qu’ils hébergent des personnes itinérantes.
Les prochaines années seront peut-être l’occasion d’une mutation du néolibéralisme et, possiblement, l’apparition d’une forme virulente de ce type d’économie puisqu’elle se fait désormais ouvertement par l’invalidation des processus démocratiques et par la répression physique des populations exaspérées. En effet, l’austérité appliquée partout en Occident contre les populations pour résorber les déficits budgétaires causés par l’irresponsabilité des élites financières s’avère aussi l’occasion pour ces élites de faire progresser un agenda idéologique néolibéral.