Depuis 2019, sans égards au statut migratoire, tous les enfants au Québec ont droit à une éducation publique gratuite. La pandémie a contribué à attirer l’attention sur le sort des personnes en situation de vulnérabilité. La situation sanitaire a notamment donné un élan aux revendications visant à accorder une panoplie de droits aux personnes migrantes (à statut précaire ou sans statut) et aux personnes réfugiées, notamment en ce qui a trait à l’accès au vaccin et à la couverture médicale.
En dépit de mesures globalement hostiles aux droits des personnes migrantes ou à statut précaire comme la Loi 21 ou la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), le gouvernement de la CAQ a édicté un décret pour que toute personne, sans égard au statut migratoire, ait accès aux soins et services concernant la COVID-19, ce qui inclut le vaccin. « Répondant à un problème identifié par la Protectrice du citoyen, le gouvernement du Québec a aussi fait adopter le projet de loi 83 pour ouvrir la RAMQ aux enfants migrants », indique Antoine Casgrain, coordonnateur du service de recherche de Québec solidaire sur la colline parlementaire.
Qu’en est-il du droit au logement ?
En février 2021, une motion demandant « au gouvernement du Canada de régulariser le statut des migrantes et des migrants et qu’il leur assure l’accès aux mêmes services et aux ressources que l’ensemble de la population canadienne » a été adoptée par des conseils d’arrondissement (notamment à Montréal) et dans d’autres villes à travers le Canada. Bien qu’elle mentionne le logement au passage, la motion ne comporte pas de demande précise quant à l’accès au logement social ou aux suppléments au loyer.
En mars 2021, Le Devoir rapportait les propos de Véronique Laflamme, qui expliquait que « les locataires sans statut sont affectés de manière disproportionnée face à la pénurie de logements étant donné qu’ils ne peuvent pas avoir accès à un logement subventionné au Québec ». Selon la porte-parole du FRAPRU, le Québec serait « l’une des provinces les plus restrictives en matière d’accès au logement social pour les personnes demandeuses d’asile, réfugiés, sans-statut ».
Amy Darwish, la coordonnatrice du Comité d’action de Parc-Extension (CAPE), un quartier d’accueil historique à Montréal, confirme cet état des choses : « Toute personne qui n’est pas résidente permanente ou citoyenne est formellement exclue des programmes de logement subventionné de la Société d’habitation du Québec. Elle peut accéder à un logement à l’intérieur d’un projet OSBL ou coop, mais pas à une unité subventionnée. Avec les nouveaux projets qui se développent, ces logements peuvent dépasser leur capacité de payer. »
Son organisme, qui soutient les locataires de Parc-Extension dans la défense de leurs droits, contribue aussi aux mobilisations pour le développement de logements sociaux et communautaires dans le quartier. Le comité travaille beaucoup sur le dossier de la gentrification, des hausses de loyer abusives et des évictions de locataires et met l’accent sur les enjeux relatifs au racisme systémique et les défis associés à un statut d’immigration précaire.
Outre le fait de ne pas pouvoir accéder au sanctuaire que pourrait représenter un logement subventionné dans un projet d’habitation communautaire, Amy Darwish explique que la précarité du statut migratoire peut avoir des répercussions concrètes dans la vie des personnes locataires à statut précaire. « Certaines craignent de faire valoir leurs droits ou d’exercer leurs recours de peur qu’un conflit avec le propriétaire ne fragilise davantage leur situation. Des propriétaires menacent d’appeler la police, d’autres font croire qu’une contestation ou un désaccord pourrait mener à leur déportation. » Pour contrer ce phénomène, le CAPE fait de l’accompagnement et prodigue des conseils, peut écrire des mises en demeure et appuyer des démarches auprès du Tribunal administratif du logement (TAL).
« L’éventail des personnes affectées par l’exclusion est plus large que seulement les personnes en situation irrégulière, précise la coordonnatrice du CAPE. Cela concerne aussi les personnes en attente de statut, dans l’expectative d’une décision sur leur demande d’asile, ou qui vivent au Canada avec un permis de travail, ou des travailleuses en aide à domicile. » Et de conclure : « L’annonce récente de Québec de favoriser le privé avec un nouveau programme de logement “abordable” ouvert aux promoteurs risque de fragiliser davantage l’accès au logement pour tous les locataires, peu importe leur statut. »
Selon une enquête de Statistique Canada dont les résultats ont été publiés tout récemment, les immigrants récents affichent un taux plus élevé de besoins impérieux en matière de logement (pas assez de chambres pour répondre aux besoins, nécessitant des réparations ou étant inabordable). Ce taux est de 20 % pour ces personnes, contre 9 % pour l’ensemble des Canadien.nes. Et on parle ici d’immigrants récents, une catégorie de personnes qui a bien des chances d’être un peu mieux lotie que les personnes réfugiées ou sans statut.
Des précédents et des occasions « de bien faire »
Dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement du Canada, l’Initiative fédérale de logement communautaire – phase 2 (IFLC-2) offre du financement à des coops et OSBL d’habitation en fin de convention pour que ces organismes puissent offrir des rabais de loyer à des locataires à faible revenu. Dans les normes de ce programme – et contrairement aux règles des logements à loyer modique relevant de la SHQ – il n’y a pas d’obligation de citoyenneté ou de résidence pour être admissible.
À la suite d’une demande d’information du RQOH auprès de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) lorsque le programme a été lancé, il a été confirmé qu’il s’agissait d’une décision prise volontairement pour que ces logements puissent être loués à des personnes réfugiées. C’est une avancée, même si malheureusement cela ne touche que quelques centaines de logements au Québec. Au moins l’inclusion de ces personnes constitue-t-elle un précédent qui pourra inspirer le gouvernement du Québec…
Par ailleurs, on a appris dans les semaines précédant le 1er juillet 2021 qu’il y avait au moins 700 logements sociaux vacants dans les offices d’habitation situés dans des régions où il n’y a pas de liste d’attente pour les HLM. La ministre Andrée Laforest s’en était d’ailleurs indignée et avait décrété un rehaussement des seuils d’attribution (les critères de revenus) pour pouvoir louer ces logements. Il n’y a vraiment pas de raison pour que de tels logements vacants ne puissent être attribués à des personnes réfugiées.
L’action des OSBL d’habitation
Le Centre multiethnique de Québec (CMQ), un organisme communautaire qui accueille des personnes immigrantes de toutes catégories afin de faciliter leur établissement, est considéré comme un chef de file dans le domaine. Sa directrice générale, Natacha Battisti, explique que pour les personnes dont le statut est ambigu, « l’accès au logement est difficile, on fait une enquête de crédit, il peut y avoir du racisme, des commentaires, les appartements ne leur sont pas offerts en priorité ».
Outre la clientèle immigrante pour laquelle les Habitations du CMQ possèdent des logements de transition pouvant accueillir jusqu’à 20 familles, soit une centaine de personnes, le Centre offre aux réfugié.es 19 chambres d’urgence pour des personnes prises en charge par l’État dans l’attente de leur aménagement dans un logement privé. Certaines de ces chambres meublées peuvent être occupées par des personnes dont la situation est irrégulière : des étudiant.es dont le visa est venu à échéance et qui sont en attente d’un statut, par exemple. « En vertu d’une entente particulière nous liant au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, le MÉFI, et à l’Office municipal d’habitation de Québec, ces unités ne sont pas assujetties aux règles “normales” des offices municipaux : les personnes qui les occupent peuvent donc bénéficier d’un soutien financier », précise Mme Battisti.
Le CMQ aide aussi des demandeurs d’asile, des gens en attente d’une réponse, des travailleurs agricoles temporaires, et d’autres, à se trouver un logement sur le marché locatif privé, quelques fois en leur facilitant l’accès à un programme de supplément au loyer qui leur permet de payer un loyer correspondant à 25 % de leur revenu.
Élargir les brèches et aller de l’avant
Le décret établissant le Programme de supplément au loyer d’urgence, que le gouvernement a mis provisoirement en place en prévision du 1er juillet 2021 constitue un précédent remarquable, car, fait intéressant, pour ces PSL d’urgence, le gouvernement a autorisé un « accroc » aux règles normales d’attribution d’un logement subventionné. En effet, la règle qui limite l’accès aux citoyens ou résidents permanents a été assouplie, car dans le cadre de cette mesure exceptionnelle, « une personne reconnue au Canada […] comme réfugiée ou personne à protéger [ou] une personne titulaire d’un permis de séjour temporaire » est admissible. Les personnes en situation « irrégulière » sont toujours exclues, et la mesure s’applique uniquement aux situations d’urgence (pour les ménages à la rue), mais le bassin est quand même plus large et il est possible de s’appuyer là-dessus pour élargir la brèche.
Dans un contexte de pénurie généralisée de logements abordables et de logements sociaux en particulier, et alors que des dizaines de milliers de ménages « déjà admissibles » poireautent sur des listes d’attentes depuis trois, cinq ou sept ans, c’est une question sensible que de soulever l’accès de personnes migrantes ou à statut précaire. Cela demande de « penser globalement » l’accès au logement comme un droit humain fondamental et se donner collectivement les moyens de le garantir pour toutes les personnes vivant à nos côtés.