1 mars 2021

L’acquisition de logements abordables et la conversion d’immeubles

 

Un événement récent est venu confirmer l’urgence de la demande du secteur du logement social et communautaire canadien, qui revendique la création, par le gouvernement fédéral, d’un fonds pour soutenir l’acquisition, par des coopératives et OSBL d’habitation, des logements abordables actuellement disponibles pour la vente dans le marché privé.

Perte nette de logements locatifs abordables

Une nouvelle rapportée en février dans le quotidien montréalais The Gazette1 faisait état d’un phénomène que les défenseurs du droit au logement anticipent et craignent sur le marché de l’habitation, soit l’achat de grands ensembles de logements locatifs actuellement abordables par des investisseurs qui planifient d’en rehausser considérablement les loyers.

Dans le cas rapporté par le quotidien anglophone, il s’agissait d’une transaction de 300 millions $ qui a permis à une entreprise appelée Les Immeubles Banvest inc. d’acquérir pas moins de 70 propriétés totalisant 2 242 logements dans une dizaine de quartiers de la grande région de Montréal. L’agent immobilier responsable de la transaction, Joe Rullier, a expliqué que « bien qu’à court terme, le changement de propriété n’aura que peu d’impact sur les locataires actuels, les nouveaux acheteurs ont l’intention de procéder à des rénovations majeures et comptent augmenter graduellement les loyers ». Selon lui, l’écart entre le prix des logements à Montréal et ceux de Vancouver et Toronto est appelé à se résorber dans un avenir rapproché, ce qui est loin de constituer une bonne nouvelle pour les ménages à faible ou moyen revenu.

Une opération similaire a eu lieu à Toronto fin 2018, avec l’acquisition par Timbercreek d’un portefeuille de 4 500 unités résidentielles d’une valeur d’un milliard de dollars. Ce portefeuille comprenait les 750 unités des West Lodge Towers à Parkdale. Un peu plus d’un an plus tard, West Lodge lançait une campagne d’expulsion et accumulait les unités vacantes en pleine pandémie2.

Avec la pandémie, plusieurs anticipent un ressac dans le marché immobilier, qui en amènera certains à vouloir se départir de leurs actifs. Au lendemain de la crise de 2008, nous avions assisté à une « financiarisation » du marché immobilier et une perte massive de logements abordables : de 2011 à 2016, le Canada a perdu pas moins de 322 600 logements abordables pour les ménages gagnant moins de 30 000 $.

Les travaux du chercheur et consultant Steve Pomeroy démontrent d’ailleurs que pour chaque logement social créé par un programme gouvernemental, sept sortent du périmètre de l’abordabilité aux mains de la spéculation3.

Le rôle des villes

Une des solutions, du moins dans les grandes villes, réside dans l’exercice d’un « droit de préemption » à des fins de logements sociaux. En septembre 2020, la Ville de Montréal a été la première ville du Québec à se prévaloir de cette procédure lui permettant d’acquérir un immeuble ou un terrain lorsque celui-ci est mis en vente par le propriétaire en achetant le Plaza Hutchison4. Cet ensemble situé dans le quartier Parc-Extension pourra être éventuellement être cédé à un organisme qui aura la charge de réaliser le projet de logements sociaux.

Depuis quelques années, les demandes face au gouvernement fédéral de créer un fonds pour l’acquisition par des coops ou OSBL d’habitation de logements locatifs actuellement abordables dans le marché privé se font de plus en plus pressantes. La Fédération canadienne des municipalités (FCM) va dans ce sens. Prenant acte de la crise, la FCM parle d’« une occasion exceptionnelle [de progresser] en faisant l’acquisition à coût raisonnable de motels, d’hôtels, de maisons de chambres et d’autres propriétés pouvant être converties en logements très abordables et logements avec services de soutien ». Ces propriétés, qui pourraient être mises en vente à bas prix, devraient être visées par « une initiative fédérale d’acquisition5 ».

Selon les informations qui émanent d’Ottawa, cette question serait sur le radar du ministre Ahmed Hussen. Des groupes comme l’ACHRU (dont fait partie le RQOH et la plupart des fédérations régionales d’OSBL du Québec), brossent un tableau de l’ampleur du problème pour le gouvernement et s’affairent à proposer les mesures réglementaires que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour freiner la spéculation à la hausse sur les loyers et le convaincre d’encourager les acquisitions par les OSBL ou les coops au moyen de la Stratégie nationale du logement.

Des solutions pour l’avenir

Pour agir, Québec pourrait s’inspirer de mesures prises en Colombie-Britannique. En effet, dans cette province, BC Housing, l’équivalent britanno-colombien de la Société d’habitation du Québec (SHQ), a acheté à la mi-juin 2020 le Howard Johnson, un hôtel de 110 chambres situé au centre-ville de Vancouver, dans le cadre d’un plan à long terme visant à construire un ensemble de logements abordables pour les habitants de cette ville. Quelques rues plus loin, le gouvernement a également acheté l’hôtel Buchan (63 chambres) pour fournir des logements avec soutien communautaire à des femmes. Les deux ensembles seront gérés par un OSBL, l’Atira Women’s Resource Society. « L’achat de ces hôtels présente un grand potentiel à court et à long terme pour fournir des logements sûrs et sécuritaires qui vont au-delà de quatre murs et d’un lit », a déclaré Shane Simpson, ministre du Développement social et de la Réduction de la pauvreté de la Colombie-Britannique6.

François Giguère, directeur de SOLIDES qui est principalement implanté à Châteauguay, connaît bien la situation en Colombie-Britannique où il se rend régulièrement. Comparant l’approche du gouvernement de cette province avec celle du Québec, il analyse: « Le gouvernement actuel de la Colombie-Britannique qui n’est au pouvoir que depuis trois ans a une stratégie en habitation, a créé de nombreux programmes et a des objectifs chiffrés et ambitieux. Au Québec, le gouvernement provincial n’a pas réussi à réformer AccèsLogis, son seul programme de développement de logements sociaux. Actuellement il ne finance aucune nouvelle unité de logement, n’a pas d’objectif ni de vision. » Le programme d’acquisition ville de Vancouver à lui seul est doté d’une enveloppe d’un milliard de dollars7.

Steve Pomeroy, déjà cité, encourage lui aussi une stratégie de financement d’acquisitions, par des organismes communautaires, d’immeubles locatifs dont les loyers sont égaux ou inférieurs au loyer médian du marché. Selon lui, cette approche permettrait « de sortir ces actifs du marché spéculatif, de préserver l’accessibilité financière à perpétuité et d’étendre l’échelle du secteur non marchand. En réduisant la perte de logements à loyer modéré d’une importance capitale, cette approche peut contribuer à prévenir l’itinérance ».

Selon Jacques Beaudoin, secrétaire général du RQOH, « les programmes actuels de la stratégie nationale n’offrent pas la souplesse nécessaire pour favoriser de telles acquisitions, qui permettraient de préserver le parc de logements abordables et d’en assurer la pérennité en les soustrayant du marché spéculatif8 ».

SOLIDES a acquis plusieurs immeubles résidentiels privés au cours des trois dernières années et son parc de logements communautaires atteint maintenant environ 590 unités. Les dernières acquisitions concernent six logements à Verdun et 39 autres à Lachine, effectuées avec l’aide de la Ville de Montréal en vertu de sa « stratégie de développement de 12 000 logements sociaux et abordables 2018-2021 ». L’aide financière de 2 M$ a permis d’acquérir les deux immeubles, de maintenir les locataires en place, d’effectuer un entretien régulier et de réaliser des travaux progressifs. « Cela s’est déroulé en quatre mois, aussi rondement que ce que faisait la SHQ il y a quinze ou vingt ans », explique François Giguère.

« Depuis 20 ans, ajoute-t-il, il y a des organismes qui demandent au gouvernement du Québec de mettre en place un programme d’achat simple d’immeubles de logements locatifs. Jamais nous n’avons eu de réponse positive. » Un tel programme pourrait prendre différentes formes comme des subventions par unité, des garanties de prêts ou même des prêts à bas taux. « Pas de réponse du gouvernement ! ajoute-t-il, et pourtant c’est une façon simple de stabiliser des populations dans leurs quartiers, dans leurs immeubles et de les mettre à l’abri de la spéculation tout en assurant un meilleur entretien et un meilleur respect des droits des locataires. Des OSBL d’habitation de Montréal et d’autres régions ont les compétences et l’appétit pour mettre en route un tel chantier. »

Que ce soit au moyen de reprises d’immeubles locatifs existants ou de l’acquisition d’édifices non résidentiels tels que des motels ou de petits commerces, ou encore de bâtiments qui peuvent être facilement transformés en logements, plusieurs modèles d’intervention de l’État méritent d’être étudiés pour mitiger la crise du logement et apporter des mesures correctrices à même d’enlever de la pression sur les ménages à faibles revenus.

1 – « Montreal real estate: Dozens of apartment buildings sold in $300M deal », 3 février 2021.
2 – « West Lodge’s 150 vacant units have residents concerned about Parkdale building’s future », Toronto Star, 4 juin 2020.
3 – Steve Pomeroy, « Augmenting the National Housing Strategy with an affordable housing acquisition program », Focus Consulting, Ottawa, mai 2020.
4 – « Montréal acquiert la Plaza Hutchison pour des logements sociaux », Le Devoir, 20 septembre 2020.
5 – « COVID-19 et le logement : Urgence d’agir pour combler des besoins criants », FCM, septembre 2020.
6 – « B.C. government pays $17.9 million for American Hotel and adjacent property in Vancouver’s Strathcona neighbourhood », The Georgia Straight, 29 juin 2020.
7 – Notons que la ville de Vancouver seule dépense davantage en logement social que l’ensemble des programmes du gouvernement du Québec : « Vancouver City Council approves plan to acquire $1 billion of SROs for the homeless ».
8 – Témoignage devant un comité de la Chambre des Communes à Ottawa : https://rqoh.com/video-saisissons-les-lecons-de-la-pandemie.