31 mai 2016
Pour Danyaal Raza et Ritika Goel, deux médecins omnipraticiens de Toronto, en matière de logement, le temps est venu de passer de la crise à l’action et de la précarité à la sécurité, dans la perspective d’améliorer le logement et la santé pour l’ensemble de la population.
Lorsqu’on ne se sent pas bien, que ce soit à cause d’un rhume mineur ou d’une maladie fatale, le désir de rester chez soi, dans un cadre sûr et confortable où l’on peut prendre du repos et récupérer, est un sentiment universel. Mais si ce lieu est lui-même une cause de stress et de maladie, que faire? Pire encore, si l’on n’a pas de chez soi? Nous sommes directement témoins, comme médecins de famille, de l’incidence indéniable du logement sur la santé de nos patients.
Placés aux avant-postes du système de santé, nous avons cette rare chance de pouvoir envisager chaque individu dans sa globalité et tenir compte de son cadre de vie et de sa situation sociale. Soucieux d’exercer une médecine factuelle, nous cherchons à appliquer les interventions jugées les plus efficaces pour traiter nos patients. Et les données ne mentent pas : en matière de santé, les facteurs sociaux comme le logement, le revenu et la richesse, l’éducation et la race ont une incidence beaucoup plus déterminante que nos comportements, nos gènes, ou même le système de santé en soi.
Pourtant, les spécialistes du domaine ont tendance, de par leur formation, à se concentrer sur la prestation des soins, avant de renvoyer bien souvent leurs patients aux conditions sociales et économiques qui les ont rendus malades. On ne saurait trouver d’illustration plus concrète que le cas des personnes sans domicile fixe ou qui vivent dans des logements non sécuritaires et précaires.
Nous traitons des douleurs de dos chroniques chez des gens qui retournent ensuite dormir sur le bitume ; des troubles du sommeil chez des gens qui regagnent des refuges trop bruyants pour pouvoir dormir ; des problèmes d’asthme chez des gens qui habitent des appartements envahis par la moisissure. Nous renvoyons les gens vivre dans les lieux mêmes qui ont engendré leur maladie.
En tant que prestataires de soins, nous savons bien que ce qu’il faudrait prescrire, c’est un logement sûr, sécuritaire et abordable. Et nous ne sommes pas les seuls à l’affirmer.
L’ancien administrateur de la santé publique du Canada, le Dr David Butler Jones, estime lui aussi qu’un logement inadéquat peut avoir nombre de répercussions négatives sur la santé, «qui vont de l’asthme et des maladies respiratoires causés par les moisissures et une mauvaise ventilation, aux problèmes de santé mentale associés à la surpopulation».
Récemment, le Directeur de santé publique de Montréal a fait des déclarations qui vont dans le même sens ; il a exprimé ses inquiétudes face à la pauvreté et aux inégalités sociales qui affligent la population montréalaise en soulignant que le marché du logement contribuait au problème.
Malheureusement, il ne s’agit pas d’un problème simple. Au Canada, pas moins de 1,5 million de ménages vivent dans des logements précaires, inadéquats, insalubres et trop chers. En d’autres termes, 1,5 million de familles vivent dans des logements nécessitant des réparations majeures, dont le nombre de chambres à coucher est insuffisant pour répondre à leurs besoins. De plus, ces ménages consacrent plus de 30 % de leur revenu au loyer d’une habitation insalubre.
La situation n’est plus tenable et elle met en péril la santé de nos communautés. Le chiffre évoqué ne tient même pas compte des quelque 235 000 personnes sans domicile fixe qui vivent dans des refuges, dorment à l’extérieur ou empruntent le canapé d’un ami. En un seul mois au Québec, près de 2 500 personnes ont séjourné dans un refuge pour une durée moyenne de 7,8 nuitées.
Le dernier budget fédéral prévoit une enveloppe de 2,3 milliards de dollars pour le logement abordable, ce qui constitue un pas dans la bonne direction. Nous savons qu’une partie de cette somme sera consacrée à la lutte contre l’itinérance, au problème du logement chez les Premières Nations, ainsi qu’à l’hébergement des personnes âgées. Même s’il s’agit d’une mesure encourageante, aucun échéancier de consultation n’a été établi à ce jour pour décider de la répartition des fonds. Or, pour résoudre une crise du logement, on ne peut pas se contenter de signer des chèques puis de tourner les talons.
Lorsque des consultations auront enfin lieu, nous aurons, à titre de prestataires de soins témoins de l’effet des mesures sur le terrain, quelques propositions à présenter au gouvernement. En tout premier lieu, il faut considérer le logement comme un enjeu de santé et de justice sociale. En effet, l’accès à des logements sûrs et abordables est une condition essentielle à l’amélioration et au maintien de la santé et du bien-être.
En deuxième lieu, les consultations ne devraient pas réunir seulement des intervenants de la santé, des partenaires communautaires et des groupes de réflexion : des personnes qui ont connu l’itinérance ou vécu dans un logement précaire doivent absolument y participer.
Enfin, notre action ne devrait pas se limiter à quelques changements d’orientation ponctuelle ; elle doit s’inscrire dans une stratégie nationale coordonnée en matière de logement. C’est précisément l’approche que préconisait en mars dernier le Conseil économique et social des Nations unies. Rappelons que le Conseil a attiré l’attention sur le financement insuffisant accordé au logement dans notre pays, sur la pénurie de logements sociaux et sur l’augmentation du nombre d’expulsions en raison des arriérés de loyer.
Le fait de s’attaquer à ces problèmes dans le cadre d’une stratégie nationale ‒ visant à établir des partenariats durables, au lieu de promettre des fonds rapidement dépensés – constituerait non seulement une excellente politique sur le plan social, mais aussi en matière de santé.
Le temps est venu de passer de la crise à l’action et de la précarité à la sécurité, dans la perspective d’améliorer le logement et la santé pour l’ensemble de la population.
Danyaal Raza et Ritika Goel
Danyaal Raza est conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca et de l’Institut Upstream. Il est omnipraticien au St. Michael’s Hospital de Toronto et professeur adjoint à l’Université de Toronto.
Ritika Goel est omnipraticienne au sein du groupe Inner City Health Associates, qui intervient auprès des sans-abri. Elle est également chargée de cours à l’Université de Toronto.