19 septembre 2024

Le « droit au logement » : tout le monde connaît, et pourtant

L’expression « droit au logement » ne date pas d’hier. Cependant, avec la crise du logement qui sévit depuis plusieurs années et qui s’aggrave, la notion a pris beaucoup de visibilité dans les discours militants, médiatiques, et à certains égards, gouvernementaux et politiques.

La notion est toutefois souvent galvaudée, en ce sens qu’elle a plusieurs significations, que ces significations sont complexes et peu accessibles, et que l’utilisation qui en est faite joue sur ces flous, très souvent dans l’intérêt de la personne ou du groupe qui l’énonce.

 

Quelles sont ces différentes significations du droit au logement? Comment discerner lesquelles sont en cause dans un discours instrumentalisant le droit au logement? Voici un aperçu des significations juridiques actuelles, des significations juridiques possibles, et des significations non juridiques, du droit au logement.

> Significations juridiques actuelles

En droit international, le droit au logement a sa première source dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais son noyau se trouve dans le Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels de 1966. Il y est question d’un logement suffisant, parfois dit convenable ou adéquat, et où la suffisance est déterminée selon que le logement répond aux besoins sociaux, économiques et culturels de la population.

 

La notion de logement suffisant peut être comprise en ce que le logement doit être accessible financièrement, physiquement et culturellement, être salubre et de taille suffisante.

 

Quoique le Canada ait ratifié ces traités, l’application du droit international est fort limitée. Il ne s’applique que lorsqu’intégré par le droit canadien, c’est-à-dire lorsqu’une loi réitère et cristallise en droit canadien, les principes d’un traité international. Le droit international seul n’est reconnu par les tribunaux canadiens que lorsque le gouvernement pose un geste positif qui est directement et sans équivoque un affront aux valeurs et à l’objectif d’un traité international. Que le financement en habitation soit insuffisant est un argumentaire si clairement évacué de cette ouverture qu’on pourrait dire qu’il est même irrecevable.

 

La distinction entre obligations positives et négatives ne s’arrête pas là. Le Pacte international en soi est reconnu comme imposant des obligations négatives plutôt que positives. Cela signifie qu’on ne peut exiger une solution ou une décision politique précise en faveur du droit au logement, sur la base du droit. Cette distinction entre obligations positives et négatives est bien ancrée dans la jurisprudence constitutionnelle canadienne.

 

En droit canadien, on peut inférer de certains droits constitutionnels passés qu’ils incluent le droit au logement, de façon similaire à la Déclaration universelle. Par exemple, le droit à un niveau de vie décent, prévu à l’article 45 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Toutefois, c’est la Loi sur la stratégie nationale du logement de 2019 qui vient expliciter, en langage mais non en droit, le droit au logement. On retrouve le droit au logement dans le préambule et dans quelques articles, dont le principal est le suivant :

4. Le gouvernement fédéral a pour politique en matière de logement :

  1.  de reconnaître que le droit à un logement suffisant est un droit fondamental de la personne confirmé par le droit international;
  2.  de reconnaître que le logement revêt un caractère essentiel pour la dignité inhérente à la personne humaine et pour son bien-être, ainsi que pour l’établissement de collectivités viables et ouvertes;
  3.  d’appuyer l’amélioration de la situation en matière de logement de la population du Canada;
  4.  de continuer à faire avancer la réalisation progressive du droit à un logement suffisant, lequel est reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. [Nous soulignons]

> Significations juridiques possibles

 

Le droit au logement pourrait-il signifier que toute personne peut forcer, par le recours aux tribunaux, l’État à lui fournir un logement suffisant?

 

Le droit au logement peut-il signifier que des personnes ou groupes peuvent forcer, par le recours aux tribunaux, les gouvernements à prendre des décisions spécifiques, comme les cibles de réalisation et les investissements en logement social?

 

Ces questions soulèvent l’enjeu de l’opposabilité du droit au logement, c’est-à-dire « que l’on peut faire valoir contre autrui ». La reconnaissance du droit au logement sans aucune opposabilité en ferait une coquille vide. Conférer à une personne un droit sans possibilité de l’exercer, c’est une aliénation perverse. Malheureusement, c’est un peu la situation juridique actuelle au Canada : le droit au maintien dans les lieux contribue à la conservation du logement, et non à son acquisition, et comporte plusieurs exceptions fuyantes; tandis que la Loi sur la stratégie nationale du logement ne fait du droit au logement qu’un objectif politique. La consécration juridique que le droit au logement n’est pas de nature juridique.

 

La France a adopté une loi similaire à la Loi sur la Stratégie nationale du logement. C’était en 1990. De 2002 à 2006, des rapports gouvernementaux explicitent le besoin d’une obligation de résultat juridiquement opposable, et d’importantes manifestations le réclament. En 2007, le concept fait son entrée dans une loi, mais son impact est fortement restreint : seules les personnes répondant à des critères spécifiques peuvent se prévaloir de l’opposabilité du droit au logement, et la loi identifie l’identité responsable comme étant la collectivité. Aujourd’hui, les personnes qui peuvent se prévaloir de ce droit opposable ont une procédure administrative accessible qui les conduit… sur une liste d’attente.

 

Au Canada, des acteurs clés tels que la défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle, et la Commission des droits de la personne du Québec, plaident davantage pour une reconnaissance en droit canadien de l’interdépendance des droits de la personne, lesquels comprennent implicitement le droit au logement. Bref, pour que le droit rame en direction d’une réalisation du droit au logement, on préfère donc le faire émerger depuis les droits existants plutôt que le cristalliser en un droit indépendant qui ne serait qu’un bibelot.

> Significations non juridiques

 

La notion de droit au logement est également lourdement chargée de significations politiques et philosophiques.

 

Elle est politique lorsqu’elle est axée sur la distribution des ressources. Elle renvoie alors à un état factuel, celui de la présence sur un territoire de logements en quantité et en qualité suffisantes pour la population qui s’y trouve. Cet objectif matériel requiert un changement dans la distribution de la richesse dans notre société qui va au-delà de l’enjeu de l’habitation. Qui en déborde, en quelque sorte. Il s’agit donc ici d’une notion davantage politique, et non juridique. L’aspect juridique est mobilisé pour son symbolisme, mais c’est la réalité concrète et politique à laquelle il renvoie qui est mise de l’avant. Cette signification du droit au logement est plus évidente lorsqu’il est question de « réalisation progressive du droit au logement ». En bout de ligne, l’argumentaire est renvoyé sous le tapis, puisque notre démocratie fait échoir les décisions de cette ampleur à ses élu·es.

 

Ces différents appels à des changements politiques évoluent alors parfois en une approche philosophique : l’objectif est alors de faire comprendre la nécessité des actions politiques en redéfinissant la problématique. C’est le cas chaque fois lorsque le « droit au logement » est accompagné d’un discours portant sur la marchandisation du logement (ou sa financiarisation, sa fiscalisation, etc). Dans ces utilisations, le droit au logement sert à susciter un changement de paradigme vis-à-vis le logement, dans l’espoir qu’en découle les changements politiques et matériels souhaités.

En conclusion, nous tenons à souligner que les significations juridiques et non juridiques du droit au logement s’influencent entre elles. Toutefois, le cadre juridique empêche et interdit la notion de droit au logement telle qu’est souvent signifiée dans les discours, soit la consécration en droit d’une responsabilité positive de l’État envers ses citoyens et citoyennes quant à la suffisance des logements en quantité et en qualité. La seule obligation de l’État est de ne pas intentionnellement créer de l’itinérance. Le droit rétréci encore la chose, en statuant que l’intention ne peut pas être de la négligence ou l’omission d’une action politique.

Pierre-Luc Fréchette
Co-responsable des affaires publiques et juridiques au RQOH