Image déchirée de l'esquisse architecturale du Village Transitiôn

12 février 2025

Le rôle des créatures OSBL du privé dans le logement hors marché

La Ville de Gatineau a enregistré une augmentation de 268 % du nombre de personnes en situation d’itinérance sur son territoire entre 2018 et 2022. Pour pallier la situation, la municipalité a permis l’implantation du le Village Transitiôn, un parc de conteneurs installé en bordure du Gîte Ami, un centre d’hébergement membre de la FOHO.

Le Village Transitiôn

Pour ce faire, le géant de l’immobilier Devcore a mis sur pied un OSBL, Transitiôn Québec, afin d’assurer la gestion du parc locatif. Le Village Transitiôn comprend actuellement 35 conteneurs maritimes chauffés, climatisés et électrifiés pour loger près d’une centaine de personnes sélectionnées.

Les candidats retenus louent les maisons-conteneurs à l’intérieur d’une zone clôturée. Ils doivent s’acquitter d’un loyer représentant entre 25 et 30 % de leurs revenus, bénéficiant parfois du Programme de supplément au loyer.

Les unités totalisent entre 100 et 150 pieds carrés. La chambre inclut un lit simple, un évier, une toilette, un comptoir, un mini-réfrigérateur et un espace de rangement. Le studio comprend pour sa part un lit double, une cuisine complète, une salle de bain et une terrasse. Pour vivre dans le parc, les résidents doivent respecter un code de conduite et fournir des preuves de leurs revenus à la Soupe populaire de Hull.

Coresponsabilité municipale-provinciale

Transitiôn Québec gère le site en collaboration avec le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) et la Ville de Gatineau, qui a fourni le terrain et le financement du projet. L’organisme touche donc 1,5 M$ de la Ville de Gatineau et 1,7 M$ du gouvernement provincial. Il recherche également 50 investisseurs pour le projet, à raison de 25 000 dollars par conteneur. L’organisme prévoit un retour sur investissement de 6 %.

Les premiers résidents sont entrés le 23 décembre dernier. Ils vivent dans un espace clôturé et surveillé par des intervenants. D’autres personnes itinérantes qui campent sur le site avoisinant préfèrent rester à l’extérieur du refuge afin de conserver leur indépendance financière, leur sentiment de liberté et d’autonomie.

Sur une note positive, la communauté itinérante a imaginé le concept et celui-ci répond à un trou de service, comme l’indiquait le directeur du Gîte Ami lors de notre passage. Notons que les places en hébergement d’urgence sont très limitées pour la demande croissante connue à Gatineau.

Parcours différents, besoins distincts

François Lescalier soulignait l’importance, pour les gens en situation d’itinérance, d’avoir des options. S’il répond aux besoins de certaines personnes, le projet de Devcore n’est pas une solution pour tous. Il n’existe pas de formule universelle et il importe d’encadrer les gens qui en ont besoin. « À défaut de constituer une solution à long terme, les conteneurs permettent à certaines personnes d’être au chaud dans un environnement sécuritaire, ce qui demeure un gain à la fin de la journée », selon François Lescalier.

Un projet qui semble contrevenir au plan d’urbanisme

Comme le soulignait le militant gatinois Bill Clennett dans une lettre adressée au conseil municipal le 21 janvier dernier, le projet est en porte-à-faux face au schéma d’aménagement de la Ville de Gatineau.

D’abord, il n’est pas conforme au règlement de zonage concernant l’affectation du sol.

Ensuite, le village il est situé en bordure de l’autoroute 50, dans une zone extrêmement bruyante qui pourrait dépasser le niveau de décibels autorisé par la municipalité.

Bill Clennett, militant gatinois

Clairement, il ne s’agit plus d’un projet ponctuel […], ni un projet de lutte à l’itinérance, c’est maintenant un projet de pérennisation de l’itinérance. […] Le Village Transition n’offre pas de logements permanents, c’est un projet d’hébergement temporaire. Il ne s’agit donc pas d’une réponse aux besoins des ménages avec des logements de qualité.

Le privé qui s’immisce

Chose certaine, l’arrivée du secteur privé dans le dossier de l’itinérance fait beaucoup parler à Gatineau.

Selon une source proche du dossier désirant conserver l’anonymat, l’autre enjeu lié au Village Transitiôn réside dans le flou que maintien l’organisme quant à la mince frontière entre hébergement et logement. Il y a d’ailleurs des procédures en cours à la suite de l’expulsion d’une personne qui venait d’abandonner sa tente pour accéder aux services.

Le conseiller municipal du secteur de Hull-Wright, Steve Moran, également responsable du dossier de l’itinérance à la Ville de Gatineau, est d’avis que cela ne devrait pas relever du secteur caritatif ou du secteur privé, mais de l’État, de la ville, de la province et du gouvernement fédéral.

Autre cas de figure

Cette situation n’est pas sans rappeler Mission Unitaînés, un OSBL constitué par le Groupe Maurice. Le modèle de logements pour personnes aînées mis de l’avant se répand comme une traînée de poudre à travers la province depuis quelques mois. Contrairement aux projets émanant de l’écosystème communautaire, les démarches des philanthropes privés aboutissent rapidement.

Réactions

Interviewée par The Rover, Elizabeth Prince, coordonnatrice de recherche chez Architecture sans frontières, mentionnait d’ailleurs que Transitiôn Québec n’a pas les connaissances organisationnelles ni la culture nécessaire pour mener à bien ce projet, soulignant que son expertise réside dans l’immobilier, et non dans l’organisation communautaire et l’itinérance.

L’une des raisons de la crise du logement est que le marché du logement est un marché privé. Indéniablement, de plus en plus de promoteurs réalisent du profit avec les mieux nantis sans pour autant se priver des fonds publics.

Dahlia Namian, Clinique interdisciplinaire en droit social de l’Outaouais

Si les entreprises créent des organisations à but non lucratif qui reçoivent des fonds publics, ces fonds sont retirés à des organisations qui opèrent dans la région et qui ont une connaissance approfondie de la manière de servir la communauté.

On peut interpréter que les promoteurs privés se donnent bonne figure alors qu’à l’autre bout du spectre, ils entretiennent le problème avec leurs habitations de luxe. La population est donc en droit d’être préoccupée quant à l’apport du privé dans les solutions à la crise du logement.

 

Sources :

Une fausse bonne idée à reconsidérer, lettre du militant Bill Clennett au conseil municipal de Gatineau, le 21 janvier 2025.

Is a Gatineau Homeless Encampment in the Hands of a Real Estate Company?, The Rover, le 31 janvier 2025.

Le Village Transitiôn accueille ses premiers résidents, Ici Radio-Canada, le 23 décembre 2024.

Le Village Transitiôn accueille ses premiers résidents avant Noël, Ici Ottawa-Gatineau, le 12 décembre 2024.

Itinérance : la Ville de Gatineau investit 1,5 M$ pour le projet Village Transitiôn, Ici Ottawa-Gatineau, le 10 octobre 2024

UNE SOLUTION INNOVANTE EN RÉPONSE À LA CRISE DE L’ITINÉRANCE À GATINEAU, Groupe Devcore.

Site Web du Village Transitiôn, Transitiôn Québec.