27 octobre 2020

Les acteurs et actrices aux contributions décisives

SOMMAIRE

 

 

UNE RENCONTRE AVEC NANCY BRISSON

Actuellement directrice générale d’une résidence pour personnes âgées à Sainte- Monique au Lac Saint-Jean, encore active à la FROH, Nancy Brisson est une des chevilles ouvrières du RQOH, dont elle a été au conseil d’administration durant plus d’une décennie.

À la fin des années 1990, se souvient-elle, elle s’est dit, avec son amie Myrtha Laflamme : « bon, dans le domaine de l’habitation, il n’y a rien pour les personnes âgées. Il y a des associations pour la santé mentale, il y a des associations pour tout le monde mais, personnes âgées spécifiquement, il n’y avait rien. C’est comme ça qu’on a démarré l’ANOHPA ».

Avec ses racines à Jonquière, l’ANOPHA avait dès le départ une projection nationale. « À la différence de la FOHM ou de la FROHQC, qui étaient des associations régionales et desservaient toutes les clientèles, l’ANOHPA voulait desservir les personnes âgées de tout le Québec. » Au lieu de prendre dans cette apparente divergence l’amorce d’une rivalité, les trois organisations se sont alliées pour construire une organisation les regroupant toutes.

« À la base, il y avait la reconnaissance du soutien communautaire en logement social. »

Quels ont été les premiers grands dossiers du RQOH ? « À la base, il y avait la reconnaissance du soutien communautaire en logement social. » Cette pratique, qui était née dans les années 1990 auprès des chambreurs des quartiers centraux de Montréal, en particulier dans les OSBL d’habitation pour personnes seules, avait essaimé au Québec dans plusieurs milieux. Les organismes travaillant avec des personnes seules (jeunes ou aînées), fragilisées ou en perte d’autonomie, mettaient en œuvre un ensemble de mesures et d’activités pour soutenir collectivement ces personnes pour leur permettre de demeurer dans le milieu de vie de leur choix. « Il a fallu des années d’efforts pour que le réseau de la santé et la Société d’habitation du Québec se reconnaissent une part de responsabilité. Cela a été l’un des premiers grands dossiers du RQOH. »

L’autre grand dossier a été « la reconnaissance des résidences OSBL pour personnes âgées, un dossier qui est encore d’actualité aujourd’hui ». Le gouvernement du Québec, comme on l’a vu dans les dossiers de la certification et de l’installation obligatoire de gicleurs, a tendance à imposer des solutions « mur à mur » qui ne tiennent pas compte de la spécificité des OSBL.

« Depuis 20 ans, c’est toujours les mêmes batailles qu’on fait encore. Oui, on est beaucoup plus reconnu présentement, on a fait de grandes avancées là-dessus. Si par exemple surgit un problème, la SHQ va s’adresser au RQOH comme on le ferait avec un interlocuteur respecté. »

Quand on demande à Nancy Brisson quelles sont selon elle les priorités actuellement, elle parle immédiatement de la « reconnaissance monétaire », c’est-à-dire que « les gouvernements prennent davantage considération que nous faisons du logement pour des gens qui ont un faible revenu et qu’on n’est pas capable de charger les montants que les groupes privés demandent. » Cela permettrait de mieux rémunérer les salarié.es et d’avoir plus de ressources.

« Au Lac Saint-Jean, dit-elle en terminant, notre première idée ce n’est pas toujours d’aller revendiquer quelque-chose. On est toujours capables de s’organiser entre nous et on n’a pas en partant cette manière de faire. C’est le réseau qui nous apporte cette chose-là, qui nous apporte le point de vue de l’ensemble du Québec, de voir la problématique de tout le monde ensemble, et d’être capables d’aller chercher la reconnaissance du gouvernement et les ressources qui vont avec. »

HOMMAGE À FRANÇOIS VERMETTE (†2018)

Directeur général du RQOH d’avril 2003 à décembre 2012, François Vermette a été un personnage important du mouvement communautaire québécois en général et du logement social en particulier.

Au fil des ans, il a occupé de nombreux postes au sein de plusieurs OSBL d’habitation comme la Société d’habitation Chambrelle, l’UTILE et les Habitations communautaires Loggia. Il a également siégé dans des instances de représentation québécoises et canadiennes, dont l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine et le Fonds québécois d’habitation communautaire.

Dans l’éloge funèbre qu’il a prononcé en octobre 2018, Martin Bécotte, directeur général de la FROHME qui a collaboré étroitement avec François Vermette durant des années, a dit de ce dernier qu’il était « animé par une grande soif de justice et qu’il [avait] un talent et une grande capacité de réaliser et concrétiser des actions qui permettent de combattre les injustices ». M. Bécotte a dit l’immense impact que François avait eu « dans l’amélioration des conditions de vie de milliers de personnes » par son implication dans les domaines du logement, de l’environnement et de l’économie sociale.

À titre de DG du RQOH, François a joué un rôle central dans la mise sur pied du programme d’assurances Sekoia et du programme d’efficacité énergétique, deux réalisations qui comptent parmi les plus importantes pour consolider notre Réseau et les fédérations régionales. « Si le RQOH et les fédérations régionales sont ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à François qui nous a donné des moyens structurants d’agir », avait précisé Martin Bécotte dans son éloge.

Après son passage marquant au RQOH, François Vermette a travaillé durant cinq ans au Chantier de l’économie sociale en tant que directeur des opérations et du développement, poste qu’il occupait au moment de sa soudaine disparition. Cycliste invétéré, il a aussi été très impliqué au sein de Vélo-Québec. François Vermette aura été une personne engagée et dynamique dont l’horizon social et intellectuel lui a permis de contribuer de façon forte et positive à l’évolution de la société.

UNE CONVERSATION AVEC PIERRE GOYER, LE PREMIER COORDONNATEUR DU RQOH

C’est en mars 2020 que nous avons eu le plaisir de rencontrer Pierre Goyer, un homme affable et rieur, avec qui nous avons passé un excellent avant-midi.

« Je suis resté deux ans et demi au RQOH. Ensuite, c’est François Vermette qui est resté. C’est quand même François qui a réussi à rendre la chose sérieuse. Moi je l’ai rendue visible, lui il l’a rendue sérieuse », dit-il d’entrée de jeu.

Urbaniste de profession, la soixantaine ardente, Pierre Goyer est à la semi-retraite. Il agit en tant qu’analyste à l’Office de consultation publique de Montréal.

C’est en quelque sorte par la politique municipale qu’il est arrivé dans le domaine de l’habitation communautaire. « J’ai été conseiller municipal pendant douze ans de 1986 à 1998 pour le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) ». C’est Robert Laramée, qui était aussi un élu municipal mais pas avec le parti de Jean Doré, qui a recruté Pierre Goyer. D’ailleurs, dans un article du bulletin Le Réseau de 2009 où l’on rappelle les premiers pas du RQOH, Robert Laramée écrit : « Un autre bon coup a été l’embauche du meilleur premier [coordonnateur], Pierre Goyer, qui connaissait le monde du logement social en plus d’être un excellent lobbyiste et négociateur auprès des autres partenaires du monde du logement au Québec. » « Oui, se rappelle le principal intéressé, Il m’appelle et me dit “on a besoin de partir un réseau national des OSBL d’habitation”. L’ANOHPA démarrait, mais lentement. La FOHM avait ça dans la tête aussi parce qu’elle était tannée d’être toute seule dans la vie et on savait qu’il y avait des gens de Québec qui étaient intéressés : Armand Saint-Laurent, qui s’occupait d’un GRT. Myrtha et Robert me demandent de démarrer ça, donc je leur dis “lets go, on va essayer de voir ce qu’on peut faire”. Pierre Goyer quitte donc le GRT de Montréal où il travaillait, qui portait un autre nom à l’époque, mais qui est maintenant connu sous le nom de Groupe Conseil en Développement de l’Habitation ou Groupe CDH.

FAIRE SA PLACE

Lorsqu’on lui demande pourquoi on le qualifie d’« excellent lobbyiste », il explique qu’il avait eu des responsabilités dans le domaine de l’urbanisme auprès du comité exécutif de la Ville de Montréal. « J’avais quand même un bon réseau de connaissances à travers l’habitation sociale et à travers le monde municipal de manière générale, jusqu’au ministre des Affaires municipales, qui à l’époque était André Boisclair. Avant lui cela avait été Louise Harel, que je connaissais de près aussi parce que j’ai été longtemps souverainiste affiché. J’étais également un ami de Claudel Toussaint. » M. Toussaint, qui occupe maintenant de hautes fonctions à la Ville de Montréal, était au tournant des années 2000 vice-président aux politiques et à la planification de la Société d’habitation du Québec. « Je connaissais du monde. »

« La première tâche du Réseau, dans le fond, c’était de faire sa place, se faire reconnaitre comme un interlocuteur, s’assoir à la table où cela se décidait. Nous étions au début d’AccèsLogis et il fallait s’imposer dans le milieu pour obtenir une partie de la “contribution au secteur”. » La contribution au secteur est une somme d’argent incluse dans les coûts de réalisation et versée par les promoteurs des projets livrés dans le cadre du programme AccèsLogis. « Cela impliquait de diminuer la part des autres partenaires du logement social, parce que l’enveloppe totale, elle, ne bougeait pas. » Cela ne s’est pas fait sans résistances. Par exemple, le FRAPRU avait reçu avec scepticisme l’arrivée du nouveau joueur : « À l’époque, le FRAPRU avait une idéologie bien claire, il était pro-HLM, puis avait de la misère avec les coops et les OSBL. »

C’est la crise du logement qui a rapproché tout le monde et aplani les obstacles. « Cela a été violent, cette crise-là. C’était la première qu’on voyait arriver. Nous étions l’ensemble du milieu communautaire à s’organiser. J’ai eu un fun noir pendant ces années de crise : il s’agissait de s’imposer tant du côté de nos partenaires immédiats, c’est-à-dire le monde du logement social, et auprès des décideurs de la SHQ. » La crise était tellement sévère qu’elle a forcé l’intervention du gouvernement fédéral. « Nous avons mis en place le programme Logement abordable Québec (LAQ) avec le soutien de la SCHL. Pendant deux ans, j’allais à Québec minimum deux fois par semaine. »

CONSTRUIRE LE RÉSEAU

« Parallèlement, nous raconte Pierre Goyer, il fallait aussi monter l’organisation, c’est-à-dire aller chercher les gens de la région de Gatineau avec François Roy, en Montérégie aussi. Il fallait chercher leur adhésion en dépit du scepticisme, car il y avait beaucoup de lignes idéologiques dans le temps. La gagne du Roussillon et la gagne de Gatineau étaient très proches du FRAPRU et étaient très autonomes – et ils le sont tout encore, je pense. » La fédération de Roussillon, Jardins du Québec, Suroît, dont le siège est à Châteauguay, s’appelle maintenant la Fédération régionale des OSBL d’habitation de la Montérégie et de l’Estrie (FROHME) et fête également ses 20 ans en 2020.

« On a réussi effectivement à prendre notre place et à mettre la main sur un financement, mais cela a dû prendre un an ou un an et demi… Parce que moi, pour avoir ma paie, j’allais pleurer à la FOHM à toutes les deux semaines ! Au début on voulait que je m’installe dans une maison de chambres pour personnes itinérantes de la FOHM, rue Saint- Timothée. C’était assez déprimant, merci. Finalement c’est Serge Bergeron, un personnage magnifique, qui a abrité le RQOH durant deux ans au Foyer Laurentien [rue Tupper, devenu maintenant le Manoir Charles Dutaud, NDLR]. »

LE MODÈLE OSBL S’IMPOSE

« On ne se connaissait pas vraiment et il fallait faire la démonstration qu’on était nombreux et il n’y avait aucune source qui nous permettait de dire qu’on était nombreux. Le dénombrement et la mise en place d’une base de données par Myriam Lalonde [qui a travaillé au RQOH durant plus de dix ans; NDLR] est devenu stratégique. Et à un moment donné, si je ne me trompe pas, on avait réussi à dire “quarante mille logements coop, cinquante-cinq mille logements HLM et soixante-cinq mille unités OSBL”. Et là, quand on avait réussi à montrer ça et qu’on pouvait faire la démonstration de ce poids, qu’on était au moins aussi importants que les HLM, ça a été un argument de plus pour nous. »

Le modèle OSBL s’est imposé puisque c’est cette tenure qui a connu la plus grande croissance dans les années 2000-2010. « C’est en grande partie à cause du plan de relance de Pauline Marois sur l’investissement en logement social. » Le budget AGIR de Mme Marois, à la suite du 11 septembre 2001 et dans la foulée de la crise du logement, misait sur une accélération des investissements en logement social pour pallier la pénurie de logements. « Il faut croire que c’était les groupes communautaires qui étaient prêts, sur les blocs de départ, pour mettre les projets en branle rapidement. Marcellin Hudon, un allié absolument extraordinaire qui est encore un ami à moi, était à la tête de l’AGRTQ et il savait que les “vrais livreurs” [de projets] c’était les OSBL, surtout pour la clientèle aînée, qui était en croissance à ce moment-là. »

L’autre élément qui a consolidé l’implantation du modèle OSBL dans les années 2000, « ce qui caractérisait le modèle OSBL, dit Pierre Goyer, c’était le soutien communautaire ». En évoquant la diversité de clientèles du secteur, il ajoute que « c’est cela qui a contribué à nous fédérer ». « C’est la FOHM qui se démarquait beaucoup par ses interventions auprès des itinérants, surtout. Nous avons commencé à le réfléchir. En fait, on a volé le branding à la FOHM. Nous avons eu la chance d’avoir l’aide d’une universitaire, Marie-Noëlle Ducharme, qui nous a accompagnés pour approfondir théoriquement la recherche. »

Myrtha Laflamme, qui était l’âme du mouvement des OSBL pour aînés, s’est engouffrée dans la brèche. « Et la SHQ aussi. Parce que la SHQ avait un plan “personnes âgées” à l’époque, et avait un plan “itinérance” et les responsables de ces secteurs à la SHQ ont compris que les OSBL-H pour personnes âgées et pour personnes itinérantes étaient de belles choses pleines d’innovation. »

PASSAGE DU FLAMBEAU

C’est François Vermette qui a succédé à Pierre Goyer à la direction du RQOH. « Moi je fonctionnais au réflexe, par instinct, je cherchais les trous pour aller placer notre affaire et inventer des bebelles. Mais pour les mettre en place, je n’avais pas ces compétences. C’est [François Vermette] qui a mis en place le programme d’assurance Sekoia, c’est la rigueur de François. Quand je suis parti, je souhaitais qu’il reste longtemps, parce qu’il avait un talent inouï d’organisateur. Puis il commençait à être bien entouré. Il commençait à avoir du staff et tout le kit. J’étais convaincu que le réseau deviendrait grand. » François Vermette est demeuré à la direction du RQOH de 2003 à 2012.

« UN REGROUPEMENT POUR TOUTES LES RÉGIONS » ENTREVUE AVEC DENIS LEMYRE

1. Quand est-ce que vous avez débuté à la FOHM ?

Cela fait presque trente ans.

2. Que faites-vous maintenant ?

Je suis présentement directeur général adjoint de la FOHM. Je m’occupe principalement des ressources humaines, du développement des services et, entre autres, de quatre équipes. Je m’occupe de l’équipe de la conciergerie pour les Six Maisons1, de l’équipe des gestionnaires, du secteur comptable et du Centre de services des OSBL de l’ouest du Québec.

3. Que faisiez-vous dans le domaine du logement à la fin des années 1990, début des années 2000 ?

J’étais coordonnateur des services à la FOHM, c’est-à-dire que je m’occupais du soutien communautaire, du développement de contrats, bref de tous les services qui étaient offerts aux membres.

4. Où étaient situés les bureaux de la FOHM à l’époque ?

Nos bureaux étaient situés au 1650 rue Saint-Timothée à Montréal.

5. Que pouvez-vous nous raconter de la fondation du RQOH ?

L’idée a surgi à la suite d’une rencontre avec la SHQ. J’étais accompagné de Jacques Riopel, qui était coordonnateur des Six Maisons à l’époque. La SHQ nous a fait comprendre que s’il n’y avait pas de regroupement national, le secteur des OSBL serait englobé soit par le milieu des coops, soit par les offices municipaux. Le problème était le suivant : le seul regroupement qui parlait au nom des OSBL-H était à Montréal. C’est comme s’il n’y’avait rien dans les autres régions, alors qu’en fait il y avait presque autant d’organismes à l’extérieur de Montréal que dans la métropole.

Après cette rencontre, nous avons cherché à savoir ce qui se faisait ailleurs et c’est là que nous avons entendu parler de l’Association nationale des OSBL d’hébergement pour personnes âgées (ANOHPA), menée par Myrtha Laflamme, qui était constituée d’une dizaine de corporations.

Parmi les « poteaux » à Montréal, il y avait Serge Bergeron. À Québec, l’embryon d’un regroupement régional autour d’Armand Saint-Laurent et du GRT Action Habitation de Québec.

Jacques Riopel et moi avons rencontré les responsables de l’ANOHPA et nous avons discuté du développement des secteurs des OSBL-H dans l’ensemble du Québec. Une première rencontre a eu lieu entre Myrtha Laflamme, Jacques Riopel, Armand Saint-Laurent, Norma Drolet et moi-même pour finalement lancer le RQOH. Il y a eu un accord pour que l’ANOPHA se dissolve. L’étape suivante était de s’investir dans la construction de fédérations régionales d’OSBL-H. Myrtha Laflamme a rejoint le CA du RQOH en travaillant à développer une fédération régionale au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Une des principales choses que je retiens est qu’il y a du monde qui ont décidé de laisser tomber le début d’un regroupement axé sur les besoins en logement social des personnes âgées pour créer une organisation qui engloberait l’ensemble des types de clientèles sous le thème du logement communautaire.

6. Qu’est-ce qui a motivé la FOHM à mettre sur pied une organisation québécoise ?

Ce qui nous a motivés c’était le désir d’avoir un vrai porte-parole national sur l’ensemble du territoire du Québec. Nous ne voulions pas qu’une région parle des dossiers des OSBL-H pour l’ensemble de Québec, nous voulions que l’ensemble des points de vue de toutes les régions soient représentés à travers un réseau. Nous voulions avoir un rapport de force et de persuasion auprès du gouvernement. Nous voulions aussi avoir un pouvoir de mobilisation dans l’ensemble du parc des OSBL-H. Au début de sa fondation, le RQOH n’était pas axé sur le développement de services, mais plutôt sur la politique. Nous voulions prendre notre place dans l’environnement politique. Nous voulions être reconnus par la SHQ. Nous voulions avoir une influence sur la prise de décisions à la SCHL et à la SHQ.

7. Il semble qu’un des premiers grands dossiers du RQOH après sa fondation ait été la reconnaissance du soutien communautaire en logement social. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

La FOHM a développé le premier canevas sur le soutien communautaire. On voulait que cette expertise, que ce modèle d’intervention en logement pour clientèle dite « spéciale », s’exporte partout. Ce n’était pas spécifique à Montréal. Le RQOH a permis que ce soit accessible à tout le monde, afin d’en faire une approche dans le logement social. C’était un des points majeurs du RQOH.

8. Que pourriez-vous nous dire du contexte politique de l’époque ?

À cette époque, il y avait deux regroupements qui étaient très forts, la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH) et l’AGRTQ, et qui influençaient énormément ce qui se passait dans le logement social.

Les OSBL-H ne faisaient pas partie de ces voix fortes. Nous n’étions pas une grande équipe, nous n’étions ni assez mobilisés ni assez informés. Il fallait absolument que le réseau prenne sa place afin de collecter l’information, l’analyser, amener une position globale et la défendre face aux autres regroupements.

Si je regarde ce qui s’est passé en 20 ans, au début on essayait d’influencer, voire de participer au débat. Maintenant nous sommes partie intégrante de l’ensemble du logement social et du débat au Québec. Quand on veut aller chercher une opinion, celle du RQOH est tout aussi importante que celle des coopératives, des groupes de ressources techniques ou des offices municipaux d’habitation.

9. Il y a eu une première crise du logement entre 1999 et 2002, puis une autre depuis 2019. Est-ce que les phénomènes se ressemblent ?

Définitivement les phénomènes se ressemblent. Dans les deux cas la crise a été provoquée par un manque d’unité de logement abordables et par une hausse des prix sur le marché locatif.

10. Quel avantage tire la FOHM de sa participation au RQOH ?

L’avantage, c’est de faire partie d’un regroupement qui peut pousser la réflexion avec les autres régions, il y a le programme d’assurance, de regroupement d’achats. Les formations mises en place, les analyses factuelles sur certains types problématiques (femmes et logement, financement du soutien communautaire, etc.). Le RQOH a les ressources pour le faire, alors que les fédérations ont des ressources de terrain.

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1. Les Six Maisons sont six immeubles, tous situés au centre-ville de Montréal, appartenant à l’Office municipal d’habitation de Montréal, mais dont la gestion a été confiée à la FOHM, notamment en raison de son expertise en matière de soutien communautaire auprès des personnes en situation ou à haut risque d’itinérance.

LA CHANCE D’AVOIR DENISE GODBOUT, AVEC NOUS !

Denise Godbout est l’infatigable directrice générale des Habitations L’Équerre, un OSBL d’habitation exploitant près de 250 logements répartis dans la quantité proprement étourdissante de 25 immeubles dans trois quartiers distincts de Sherbrooke. On l’imagine difficilement être en train de chômer, aussi le RQOH est-il bien reconnaissant de la voir s’impliquer aux niveaux régional et même national.

À la fin des années 1990, Denise Godbout était déjà dans le logement communautaire. « Je suis dans le domaine du logement depuis 1995, explique-t-elle. J’ai commencé comme directrice des Habitations L’Équerre, poste que j’occupe encore aujourd’hui. » L’histoire de son implication est celle de l’histoire mouvementée de ce groupe : « On a été dans la survie, puis dans le maintien du bâti et l’amélioration de l’environnement, maintenant, on est dans le développement. »

Depuis longtemps cheville ouvrière de bien des projets communs du monde communautaire et des services sociaux du grand Sherbrooke, son implication prend une tournure régionale depuis qu’elle est devenue membre du conseil d’administration de la Fédération régionale des OSBL d’habitation de la Montérégie et de l’Estrie (FROHME). Elle a participé aux deux derniers colloques du RQOH, aux trois blitz de l’habitation communautaire à Québec, elle a reçu chez elle, dans les locaux de L’Équerre, une réunion nationale du RQOH, organisé à Sherbrooke un lancement des Portraits du logement communautaire, et accompagne à l’occasion Martin Bécotte aux réunions du CA du RQOH.

Le groupe qu’elle dirige ne se contente pas d’offrir aux habitants du quartier une solution de rechange en termes de prix, avec des loyers se situant à 90 % du loyer médian du marché. En effet, l’équipe des Habitations L’Équerre multiplie les initiatives audacieuses, à l’intérieur comme à l’extérieur des murs, pour appuyer les résidents dans leur quête d’une meilleure qualité de vie, d’une plus grande dignité.

Questionnée sur l’histoire du mouvement à l’occasion du 20e anniversaire du RQOH, elle partage l’avis selon lequeI le premier grand dossier du RQOH après sa fondation a été la reconnaissance du soutien communautaire en logement social. « C’est un dossier qui dure depuis très longtemps déjà et ce n’est pas terminé ! C’est d’ailleurs une priorité de notre fédération, une question sur laquelle nous avons beaucoup poussé en travaillant à l’organisation du forum de 2018 avec les partenaires nationaux. » Denise Godbout fait ici référence au Forum national sur le soutien communautaire en logement social qui s’est tenu dans le cadre du colloque du RQOH à Québec. Le clou du forum a été l’adoption d’une déclaration commune des « quatre grands » du secteur du logement social au Québec : l’Association des groupes de ressources techniques du Québec, la Confédération québécoise des coopératives d’habitation, le Regroupement des offices d’habitation du Québec et le RQOH.

Au cours des années 2000, il y a eu une période de vacance en termes de représentation régionale des suites de la dissolution de fédération régionale de l’Estrie. « Le RQOH militait pour que tout le territoire du Québec soit couvert par une fédération régionale, et la FROHM a accepté du couvrir ce territoire [d’où l’ajout du E de Estrie à l’acronyme de la fédération, NDLR]. Alors qu’antérieurement les Habitations L’Équerre étaient directement membres du RQOH, depuis 2014 nous avons intégré la FROHME. »

Sur les avantages qu’il y a à être « fédéré » au sein d’une instance régionale, elle estime y être gagnante : « Depuis que nous avons été inclus dans une fédération, nous avons plus de services, en particulier concernant les tâches quotidiennes d’un OBNL, et c’est, il me semble, le rôle d’une fédération. La FROHME a également fait pour les OSBL de l’Estrie et des partenaires régionaux des gains pour le soutien communautaire en logement social dont la mise en place d’un comité de suivi ainsi qu’une augmentation de 200 000 $ du financement. »

À ces bénéfices tirés de l’appartenance à un réseau national, Denise Godbout ajoute : « l’assurance Sekoia, les perspectives pour le placement des réserves, l’avancement de certains dossiers nationaux comme le soutien communautaire, l’accès à de la formation, le soutien à l’occasion de la fin des conventions, etc. ».

Sur l’évolution du contexte politique par rapport au logement depuis 20 ans, la gestionnaire sherbrookoise compare la crise du logement de 1999-2002 à celle de 2019-2020 par une formule laconique : « En 2000, le gouvernement reconnaissait le problème… » Au sujet des difficultés que rencontre le développement du logement communautaire, « les obstacles demeurent les mêmes, dit-elle. Il n’a pas grand-chose qui a changé, malheureusement. La pénurie de logements communautaires ne s’est pas améliorée, et les terrains sont encore plus difficiles à trouver qu’il y a 20 ans ! »

CLAUDINE LAURIN

Durant plus de dix ans, Claudine Laurin a œuvré comme directrice générale de la FOHM. Dans le domaine de la lutte à l’itinérance en particulier, mais aussi sur l’enjeu plus large de l’exercice du droit au logement pour l’ensemble des personnes en position de vulnérabilité, on a salué ses efforts persistants pour faire reconnaître l’importance du tandem stabilité résidentielle et soutien communautaire en logement social. L’obtention d’un financement adéquat des pratiques essentielles de cette philosophie, bien que celui-ci n’atteigne pas les niveaux souhaités, est largement redevable à l’ardeur qu’elle a mise à défendre l’œuvre des intervenantes et des intervenants sur le terrain.

Comme représentante du logement communautaire, Claudine Laurin n’avait pas sa pareille pour défendre le droit au logement des plus démunis. La formule OSBL en habitation lui allait comme un gant. À elle seule, elle incarnait toutes les valeurs propres au secteur. Elle a formé avec Myrtha Laflamme un duo extraordinaire de femmes engagées. Puis, entre les mandats à la direction générale de François Vermette et de Stéphan Corriveau, soit durant dix-huit mois au tournant des années 2013-2014, Claudine a assumé la direction générale par intérim, tout en demeurant directrice générale de la FOHM !

« Alors que le RQOH avait pris une pause pour la création de nouvelles fédérations après 2003, c’est elle qui a défendu avec brio le dossier de la création de la FOHBGI », témoigne Gervais Darisse.

Claudine a pris sa retraite en 2018 et, lors de son colloque tenu en avril de cette année-là à Québec, le RQOH lui avait rendu un vibrant hommage.

STEPHAN CORRIVEAU, 5 ANNÉES MARQUÉES PAR LA PASSION

Le mandat de Stéphan Corriveau à la direction générale aura été caractérisé par une reconnaissance de plus en plus étendue du RQOH et une activité en constante évolution. Arrivé en poste en début d’année 2014 à un moment où le RQOH avait atteint une belle maturité, Stéphan Corriveau a pu s’appuyer sur le travail accompli précédemment pour faire du RQOH un acteur incontournable dans le secteur du logement social et communautaire, tant au Québec qu’auprès de nos homologues des autres provinces.

Guidé par un engagement sans équivoque en faveur du droit au logement, Stéphan Corriveau n’a jamais hésité à proposer des solutions novatrices pour faire bouger les choses, que ce soit à l’intérieur même des structures du réseau, avec nos partenaires du secteur du logement social ou auprès des autorités politiques et administratives. Les propositions parfois surprenantes, qu’il a défendues avec passion, étaient motivées par une même volonté de renforcer, pérenniser et développer les capacités des organismes de logement communautaire et de leurs regroupements.

Durant son mandat, le RQOH s’est attaché à renforcer ses liens avec ses partenaires des autres provinces.

Stéphan Corriveau a notamment occupé durant trois ans la présidence de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine (ACHRU), qui représente le secteur du logement social à l’échelle du pays. Résultat de l’un des multiples projets auxquels il s’est consacré, il a quitté le RQOH en juin 2019 pour prendre la direction du Centre de transformation du logement communautaire, nouvellement créé afin de « soutenir l’évolution du logement communautaire pour qu’il croisse, soit résilient, durable et inclusif ». Un objectif en parfaite continuité avec le travail accompli au RQOH !

UN ÉCHANGE AVEC UN ORGANISATEUR COMMUNAUTAIRE CHEVRONNÉ, JEAN-PIERRE FORTIN

Nous avons demandé à la directrice générale de la Fédération des OSBL d’habitation des 3L – Laval, Laurentides, Lanaudière (FOH3L), Jessie Poulette, de nous aiguiller vers une personne représentative de sa région pour nous parler du 20e anniversaire du RQOH. « Jean-Pierre Fortin développe et gère des organismes depuis près de 30 ans, nous a-t-elle dit, et correspond exactement au profil engagé de notre mouvement ! »

Jean-Pierre Fortin est maintenant retraité du réseau de la santé en organisation communautaire. « Mes mandats m’ont permis de développer plusieurs projets de logement social. J’administre depuis cette retraite quatre projets : deux pour personnes âgées dont un pour personnes en lourde perte d’autonomie, un pour familles, un pour une clientèle en santé mentale. » Il siège aussi aux CA de deux autres OSBL d’habitation.

Questionné sur son expérience dans le domaine du soutien communautaire en logement social, Jean-Pierre Fortin est prolixe : « J’ai commencé à développer des projets de soutien communautaire en logement social dans les années 1980 en participant à la mise en place d’un projet de locataires- surveillants pour tous les HLM de personnes âgées de Laval. En tant que travailleur de CLSC au programme de maintien à domicile, j’avais été sensibilisé au sein de mon équipe d’intervenants, aux besoins de soutien des locataires de HLM à divers niveaux : soutien civique, soutien psychosocial souvent dans des situations de détresse psychologique, socialisation, intégration communautaire, etc. » Ses collègues et lui ont conçu des projets de « locataires surveillants » soutenus par l’OMH de Laval et financés par l’ex Régie régionale de la santé. D’autres projets pour personnes âgées ont vu le jour en 1999 et 2002 avec le soutien de la SHQ et du MSSS (1000 $ par porte), puis d’autres encore en santé mentale.

« Je crois que ces interventions ont toujours cours actuellement, quoique modifiées profondément, et elles sont d’un grand secours pour les locataires, notamment ceux qui rencontrent des problèmes plus aigus, précise-t-il. Je considère que le soutien communautaire en logement social est absolument essentiel, surtout pour les clientèles vulnérables. Je peux vraiment affirmer que ce soutien a permis de maintenir l’autonomie de plusieurs centaines de personnes souffrant de maladie mentale et de leur permettre de vivre en sécurité dans un cadre résidentiel acceptable. Il permet aussi à des personnes âgées très vulnérables de pouvoir profiter d’un environnement naturel malgré leur condition. »

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, Jean-Pierre Fortin a participé à la réalisation de plusieurs projets ainsi qu’à la fondation de ce qui était alors la Fédération lavalloise des OSBL d’habitation. Interrogé sur les avantages (on suppose qu’il y en a !) qu’il y a à être affilié au RQOH, il explique : « Les dossiers concernant le logement social sont majoritairement provinciaux. Le RQOH est donc le véhicule premier pour nos revendications et pour l’amélioration des politiques de logement. Le RQOH est également essentiel pour l’expertise qu’il concentre et met à notre disposition et pour les activités de formation et de soutien aux fédérations. Je crois que le RQOH remplit très bien son rôle de soutien aux fédérations et par le fait même aux OSBL. C’est après tout son rôle premier. »

Le contexte politique a certes évolué depuis 20 ans, mais pas nécessairement dans le sens souhaité. « Je crois que l’engagement envers le logement social tend plutôt à se dissoudre. En fait, les programmes n’ont jamais cessé d’exister (j’en fais usage depuis 1984), mais il me semble que leur accessibilité diminue. Je ne saurais affirmer dans le détail les étapes de cette évolution, mais il me semble que l’adéquation entre les besoins et les politiques ne cesse de diminuer. D’année en année, les engagements fluctuent (pour arriver à zéro parfois comme maintenant), mais sont toujours insuffisants pour ne pas dire insignifiants. En fait, je crois que les programmes visent à paraitre utiles pour répondre aux besoins les plus criants. Dans les faits, le Québec souffre d’une absence totale de politique du logement, qui devrait inclure le financement de logements sociaux évidemment en bien plus grand nombre et aussi l’intervention sur la composition du parc immobilier, la spéculation immobilière, l’usage du parc locatif, le changement forcé de clientèle de plusieurs quartiers…

Concernant l’influence que le secteur OSBL peut exercer sur la SHQ et l’évolution de ses programmes, Jean-Pierre Fortin peine à cacher une certaine défiance : « On peut croire à notre influence au niveau de l’architecture des programmes ou de la qualité de la collaboration, mais la SHQ n’est qu’une agence administrative qui elle-même peine à subsister. L’absence d’engagement reste l’obstacle le plus important à mon avis, et ça ne va pas en s’améliorant. Des choses ont changé qui rendent les projets plus difficiles à réaliser (coûts de réalisation, disponibilité de terrains, retards dans l’adaptation des programmes), ce qui ne signifie pas qu’il faille se désintéresser des activités de la SHQ. On doit exiger que les services aux OSBL soient corrects, disponibles, utiles et respectueux. On peut aussi se concentrer sur l’action politique en compagnie de nos alliés. La question du logement a des impacts sur toutes les sphères de l’activité humaine. Il faudrait que tout le monde comprenne… Il faut que les programmes, aussi minces soient-ils, permettent quand même de réaliser des projets. Il y a des citoyens qui ont absolument besoin de ressources résidentielles adaptées. Mille logements, ce sont mille logements ! »