21 janvier 2019

Les contrastes de l’hiver et le droit au logement

Deux phénomènes bien distincts, mais concordants dans le temps, poussent à la réflexion sur le droit au logement en ce mois de janvier. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une vague de froid tombe en même temps que la publication des « indices » de la Régie du logement. « Cette année, note cependant Stéphan Corriveau du RQOH, la coïncidence laisse un goût particulièrement amer, car elle démontre de manière on ne peut plus éclatante les inégalités dans l’accès au logement au Québec. »

Le froid a avec raison attiré l’attention sur le sort des personnes itinérantes. La mise en place à Montréal d’une unité de débordement d’urgence dans l’ancien hôpital Royal Victoria, géré par la Mission Old Brewery, la Maison du Père et la Mission Bon Accueil avec le soutient du CIUSSS et de la Ville de Montréal, a été largement rapportée par les médias. Ce site, bien qu’il offre un certain répit à de nombreuses personnes et enlève un peu de pression sur les organismes, ne peut pas être une réponse permanente à « l’augmentation du nombre de demandes d’hébergement d’urgence reçues par les différentes ressources communautaires pour hommes, femmes et jeunes » signalée par Guillaume Legault, organisateur communautaire au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Le quotidien Le Soleil du 18 janvier 2019 rapportait les propos de la directrice du Projet L.U.N.E, Mme Chantale Simoneau, qui dit que ce refuge de Québec est « plein de 150 à 200 % ». Le même jour, le Journal de Québec faisait état de la situation à l’Armée du Salut, où « les 72 lits réservés aux hommes et les 17 aux femmes étaient occupés », et au YWCA, où la directrice Stéphanie Lampron « se préparait à refuser des femmes dans le besoin, comme on le fait de 8 à 12 fois par jour durant la saison froide ».

« Les vagues de froid, s’étonne Stéphan Corriveau, sont pourtant des phénomènes naturels que les habitantes et les habitants de notre coin de l’Amérique du Nord connaissent depuis des millénaires ! Mais c’est comme si les gouvernements avaient renoncé à intervenir sur les facteurs humains et sociaux qui contribuent à l’aggravation de l’itinérance dans les périodes particulièrement glaciales… » Où sont en effet les mesures pour contrer la pénurie de logements qui frappent durement des villes comme Gatineau, Rouyn et Val-d’Or sans épargner Montréal et Québec, la disparition des maisons de chambre, la gentrification de certains quartiers entraînant leur lot de reprises de logement et d’augmentations de loyer affectant de nombreux locataires, la dégradation de logements devenus insalubres ou non sécuritaires, etc. ?

Ce laisser-faire, laisser-aller est devenu soudainement apparent avec la publication le 17 janvier, au milieu de tout ce branle-bas pour héberger les personnes itinérantes, des « pourcentages applicables pour le calcul des augmentations de loyer » pour 2019 par la Régie du logement. Or, on sait que les baisses de taxes scolaires accordées pour 2019 sont un véritable cadeau aux propriétaires. Même le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, a dû reconnaître que son projet de loi « ne prévoit rien pour forcer les propriétaires à refiler l’économie aux locataires ».

C’est donc sans surprise qu’au lendemain de la publication des « indices » de la Régie du logement, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) a invité ses membres à « conserver » l’argent des baisses de taxes scolaires, son porte-parole Hans Brouillette admettant du même souffle : « Je comprends que ça soit perçu comme étant “immoral” ».

« Le loyer moyen a augmenté de 3,4 % entre 2017 et 2018, dit Stéphan Corriveau en s’appuyant sur les données de la SCHL. Des augmentations qui dépassent largement les recommandations de la Régie du logement. Ces hausses abusives et le manque de protection contre les évictions ne font que rendre plus évident le déficit criant de logements sociaux ».

Cette situation doit être mise en relation avec la baisse spectaculaire des taux d’inoccupation observée en 2018 et dont faisait état François Roy dans le quotidien Le Devoir du 13 décembre 2018. « Les rapports sur le marché locatif, publiés le 28 novembre dernier par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), font état d’un manque important de logements dans la plupart des agglomérations québécoises de 50 000 habitants et plus, écrivait le coordonnateur de Logemen’Occupe. Le phénomène touche sévèrement les régions de Montréal, de Laval, de l’Outaouais, de la Montérégie, de l’Estrie, du Centre-du-Québec, du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, de même qu’en Abitibi-Témiscamingue. Dans toutes les agglomérations de 50 000 habitants et moins, la situation est particulièrement grave pour les ménages familiaux, les logements de deux et de trois chambres à coucher et plus y ayant chuté radicalement au cours de la dernière année. Comme on doit s’y attendre lorsqu’il y a pareille rareté, les loyers des logements familiaux ont également explosé au cours de la dernière année. La SCHL confirme par ailleurs que les logements disponibles à la location sont beaucoup plus dispendieux que ceux déjà loués. »

Crédit photo : André Querry