Depuis les vingt dernières années, un peu partout dans le monde, les États ont vu leurs prérogatives dans le développement économique sans cesse rongées, ou du moins largement remises en question. Toutes couleurs politiques confondues, un slogan : « moins d’État ». Parallèlement, un autre joueur semble émerger : les villes. La mondialisation des échanges a largement contribué à accroître le rôle et le poids des villes, surtout les plus grandes.

Retour sur un colloque haut en couleurs

En avril 2016 à Montréal, le colloque du RQOH « Parce que l’avenir nous habite » et le congrès de l’ACHRU ont rassemblé ensemble plus de 1000 intervenants du secteur de l’habitation venant des quatre coins du Québec et du Canada. Des conférences inspirantes, des visites instructives et des échanges fructueux ont fait de ce rendez-vous un véritable succès ! Rappel d’un moment fort.

C’est dans ce contexte de brassage des pouvoirs, des compétences et des budgets que le RQOH a réuni autour d’une grande table trois acteurs importants du monde municipal québécois : Russell Copeman, membre du comité exécutif et responsable de l’habitation à la Ville de Montréal (et maire de CDN-NDG) ; Alexandre Cusson, 2e vice-président de l’Union des municipalités du Québec ou UMQ (et maire de Drummondville) ; et Martin Thibert, membre du CA de la Fédération québécoise des municipalités ou FQM (et maire de Saint-Sébastien). La question qui leur était posée : alors que le secteur municipal est un partenaire indispensable du logement communautaire, comment les villes entrevoient-elles leur collaboration avec les OSBL-H et quelles responsabilités devraient leur échoir selon elles ?

Les villes rassemblent les infrastructures de transport et de communication, polarisent les flux de marchandises, de capitaux et d’information. Elles se concurrencent entre elles pour offrir une image de marque, pour fournir aux entreprises des « avantages concurrentiels ». Elles seraient enfin le lieu d’expression de toute culture ; elles sont « branchées ». Et surtout, elles organisent l’espace, qu’elles contribuent à façonner : étalement urbain ou densification, gentrification ou ghettoïsation, évictions et ségrégations, revitalisation… Ces expressions recouvrent des réalités ayant des impacts majeurs sur nos vies.

Les villes sont courtisées par les politiciens, qui vantent la proximité de celles-ci avec les citoyens, et veulent établir avec les municipalités force partenariat. Se parant des mêmes vertus, les maires des villes, quant à eux, élèvent de plus en plus la voix pour s’asseoir à la grande table des décideurs et réclamer leur part du gâteau.

Aide à la personne, aide à la pierre

Le premier constat, largement partagé par tous les intervenants, est que la construction de nouveaux logements sociaux et communautaires demeure un objectif incontournable. L’aide à la pierre (la construction de nouvelles unités) demeure le moyen privilégié pour revitaliser les quartiers.

Les maires, prudents, hésitent cependant à condamner l’aide à la personne, qui prend la forme d’un programme de supplément au loyer (PSL). On sait que depuis le budget québécois de 2015, le gouvernement provincial mise essentiellement là-dessus : la construction de nouveaux logements est réduite drastiquement tandis qu’on annonce de nouveaux soutiens au paiement des loyers de familles à faible revenu dans le marché privé. Les PSL, admet M. Copeman du bout des lèvres, permettraient « une certaine flexibilité et une rapidité d’intervention ». Réservé, M. Cusson concède que l’aide à la personne peut bien faire partie d’un « bouquet de mesure » visant à pallier les difficultés de logement de nombreuses familles. M. Thibert, qui parle au nom de municipalités regroupant parfois aussi peu que 500 ou 600 habitants, avoue que ces dernières n’ont souvent pas les ressources pour appuyer la construction de nouvelles unités sur leur territoire et qu’une aide ciblée peut être bienvenue.

Tous s’entendent néanmoins pour déplorer le peu d’effet pérenne et structurant d’une telle mesure. Les villes veulent mettre de l’avant des projets pouvant contribuer à la revitalisation des quartiers, créer des milieux de vie où les personnes vont s’entraider. Bref, les municipalités pensent que la bonne façon d’aider les personnes passe par l’aide à la pierre.

M. Cusson, représentant l’UMQ, en rajoute : « Les PSL, ça permet d’aller plus vite, c’est moins dispendieux, mais ça ne permet pas d’agir sur l’offre de logement. Et quand les OSBL sont présents, les objectifs d’aide sont mieux atteints que lorsqu’on envoie une personne seule sur le marché privé : on peut travailler au niveau de la réinsertion, lutter contre la stigmatisation. Le volet réinsertion et soutien communautaire doit faire partie intégrante des mesures pour sortir les gens de la misère. »

Relations difficiles avec Québec

L’unanimité est vite atteinte sur un autre point : les villes ont un rôle prépondérant à jouer dans le développement du logement social et communautaire. Elles le savent, et elles sont prêtes à assumer leurs responsabilités. Deux écueils cependant se dressent : un manque de moyens, un manque d’autonomie.

Ce dernier point est parfaitement illustré par M. Copeman. Il rappelle d’abord que Montréal est une ville mandataire, c’est-à-dire que la Société d’habitation du Québec (SHQ) lui confie certaines responsabilités pour des projets situés sur son territoire. Ainsi, la municipalité mandataire est responsable de l’administration des projets et doit notamment répondre aux demandes d’information, examiner l’admissibilité des projets, émettre l’engagement conditionnel des projets, vérifier la qualité des plans et devis et le respect du code en vigueur, préparer la convention d’exploitation, etc. « Tout cela est bien beau, mais tout ce travail est fait en double ! La Ville de Montréal évalue les projets en appliquant tous les critères de la SHQ, qui impose déjà énormément de règles, lui transmet l’ensemble du dossier… qui est aussitôt entièrement réévalué par la SHQ ! Deux corps publics font exactement la même chose, avec les délais et les coûts que cela engendre… Montréal veut être maître d’œuvre, avec les OSBL et les promoteurs, sans être soumis au carcan au niveau financier et administratif de la SHQ avec ses règles parfois archaïques et contre-productives. »

On se désole également du manque de consultation auprès des villes, M. Cusson donnant les exemples de la réforme annoncée de la SHQ et le regroupement des OMH, deux projets du gouvernement du Québec pour lesquels les municipalités sont mises devant des faits accomplis.

Seulement voilà, les engagements ne sont pas au rendez-vous ! M. Copeman déclare : « À Montréal seulement, il y a 25 000 ménages sur les listes d’attente de l’OMH, alors que le rythme de réalisation d’AccèsLogis est de 550 unités par année. Faites le calcul[1] ! Pour l’arrondissement de Notre-Dame-de-Grâce et de Côte-des-Neiges dont je suis le maire, ce sont 2000 personnes. Avec les propos vagues de la SHQ sur « AccèsLogis 2.0″, qui pour moi ne veut absolument rien dire, la situation est préoccupante. »

Manque de moyen, donc, et manque de vision. On se réjouit cependant de l’annonce du ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, et des paroles du ministre responsable de la SCHL, Jean-Yves Duclos, faisant tous deux état d’un réengagement du gouvernement fédéral dans le logement abordable et l’élaboration prochaine d’une « stratégie nationale » en ce sens. Les municipalités, en s’adressant directement à Ottawa, espèrent obtenir des programmes plus à même de s’adapter à leurs conditions propres. « Il faut éviter le mur à mur, dit M. Cusson, il faut que tout le monde soit autour de la table. On veut être partenaires du gouvernement fédéral. »

Le rôle des municipalités

Une question émanant de la salle a permis d’aborder un sujet qui se dessinait déjà en creux tout au long de la plénière : quel rôle pour les municipalités dans la résolution des problèmes sociaux ? Selon Russell Copeman, la répartition de la richesse doit se faire par deux moyens : les programmes sociaux et l’impôt progressif sur le revenu. « La ville, elle, ne peut agir que sur l’impôt foncier, qui est l’impôt le plus régressif qui soit. » Pour autant, les municipalités ne sont pas sans atout pour soulager les problèmes liés à la pauvreté sur son territoire, notamment en ce qui a trait au logement et à l’itinérance. Dans un plaidoyer d’une approche dite généraliste dans la lutte à l’itinérance, il ajoute : « Si on peut créer un milieu de vie, les bénéfices vont bien au-delà de la simple obtention d’un logement décent, sécuritaire et abordable, cela dit sans négliger l’impact que peut avoir un tel logement sur la condition des personnes. Il y a un effet multiplicateur, un effet levier, tisser des liens, briser l’isolement. »

On regrettera cependant que les débats n’aient pas permis d’aller au-delà des demandes et des exhortations, certes légitimes, mais plutôt convenues, pour un meilleur financement, plus de moyens, davantage de consultation, plus d’autonomie. La collaboration avec les OSBL-H a été peu évoquée. Pourtant, certaines pratiques pourraient être explorées : acquisition de terrains pour les projets de logement abordable ou création d’une réserve foncière pour le développement de logements sociaux ; stratégie intégrée pour favoriser une insertion harmonieuse des projets dans le milieu et leur acceptabilité par la communauté ; viabilisation de terrains par la réalisation des travaux d’infrastructures ou de décontamination des sols, etc. Toutes ces mesures, et d’autres encore, sont possibles avec l’attirail législatif actuel des municipalités, sans avoir recours aux paliers de gouvernements dits « supérieurs ».

Problèmes de perception

Un paradoxe traverse le milieu municipal. Alors que, comme on l’a vu, on attend des municipalités qu’elles contribuent à résoudre des problèmes sociaux pour lesquels elles se trouvent en première ligne, tels l’itinérance, la toxicomanie, la santé mentale, la pauvreté, le déficit de logements abordables, etc., elles sont souvent tiraillées par des intérêts divergents.

Certains résidents et certains riverains, parfois fort bien représentés dans les assemblées des conseils municipaux, peinent à reconnaître les retombées positives du logement social pour l’ensemble de la société. Le phénomène « pas dans ma cour » guette de nombreux projets requérant approbation et changements de zonage. Le défi de l’acceptabilité est toujours présent pour intégrer le logement social dans le tissu urbanistique. Suggestion du maire de Drummondville, M. Cusson : « Il faut que cela devienne une plus grande fierté d’avoir du logement social. Que l’image soit meilleure. Devant les conseils municipaux réfractaires, il faut informer, communiquer en amont : pas seulement pour faire approuver un projet, mais en tout temps. Informer des bons coups. Il faut être disposé à être fatigant ! ».

Un message sans doute bien entendu par ces centaines de partenaires et d’acteurs du logement communautaire présents dans la salle. Des gens pas fatigant pour un sou, mais déterminés et dévoués à la cause d’un logement digne et abordable pour tous et toutes, disposés à continuer à proposer des projets novateurs et à les défendre bec et ongles!

[1] Ce que nous avons fait : les derniers ménages inscrits en avril 2016 sur la liste pourraient se voir attribuer un logement dans quarante-cinq ans, en 2061.

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