Icônes représentant différentes formes de handicap et immeubles résidentiels

SITE DU RÉSEAU QUÉBÉCOIS DES OSBL D'HABITATION

Mme France-Élaine Duranceau
Ministre responsable de l’Habitation
Gouvernement du Québec
ministre@habitation.gouv.qc.ca

M. Lionel Carmant
Ministre responsable des Services sociaux
Gouvernement du Québec
ministre.responsable@msss.gouv.qc.ca

Montréal, le 15 décembre 2023

Objet : Le logement social et communautaire pour personnes en situation de handicap

 

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

Nous vous écrivons pour vous partager avec consternation un état de fait, ainsi qu’avec optimisme une solution. Il se développe au Québec depuis quelques temps déjà une expertise quant aux services destinés aux personnes autistes (parfois dites ayant un TSA), présentant une déficience intellectuelle, une déficience physique ou un trouble craniocérébral (ci-après « personnes concernées »).

Cette expertise, on la doit aux personnes concernées et aux personnes qui œuvrent auprès d’elles et pour elles, dans le réseau de la santé, les universités, les centres de recherche et les organismes communautaires. Elle permet d’avancer vers une société plus inclusive et de réduire les facteurs sociaux de production du handicap, car ce dernier est une inadéquation entre l’environnement et la personne.

Toutefois, lors de la période de passage à l’âge adulte, l’accompagnement offert en termes de services sociaux s’amenuise, voire se retire. Les personnes concernées et leurs proches, notamment les parents, sont à ce moment délaissé.es : on ne prépare plus « la suite des choses », on offre des services d’intervention « si la chose a des suites ». Comme l’a dit le premier ministre en novembre 2022 : « il faut mieux s’occuper des personnes [DI-TSA qui ont] passé 18 ans. » [sic]

Cela se remarque particulièrement au niveau de l’habitation. Plusieurs personnes concernées, inspirées de leurs développements et des invitations à s’intégrer à la société, se demandent alors quand et où elles pourront aller en appartement. Les parents et les proches, de leur côté, se demandent ce qu’il adviendra lorsqu’iels n’auront plus la possibilité d’apporter leur soutien.

Les options d’habitation se résument à de l’hébergement, c’est-à-dire un toit qui n’est pas un chez soi; un espace où l’on reçoit soin et tolérance, en attendant la réadaptation, la prochaine ressource d’hébergement, ou alors la dernière demeure. Il s’agit des ressources de type familial (« RTF »), des ressources intermédiaires (« RI ») et des CHSLD. Que ces lieux soient empreints de compétence ou de négligence n’est pas la bonne question, car leur inconvenance dont il est ici question précède la performance des intervenant.es qu’on y trouve.

C’est donc dire que l’offre insuffisante de logements permanents pour les personnes concernées contribue elle-même au handicap vécu par ces personnes. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, dans son rapport de 2021 titré Pour une intégration des soins et des services pour les personnes ayant une déficience, y reconnaît que « les modèles de milieu de vie et la perspective des besoins de soutien des personnes présentant une déficience ou un TSA impliquent de revoir l’offre de services en matière d’habitation et de logement. Le cumul des besoins et des problèmes découlant du milieu de vie et des services disponibles se répercute sur le processus de handicap en confinant la personne à des limites structurelles, organisationnelles et humaines. » [sic]

L’impossibilité pour ces personnes d’un jour avoir un chez-soi est un message bien plus clair que les discours ambiants et bienveillants quant à leur autonomie et leur inclusion sociale.

Quoique l’on dise des capacités de ces personnes, il leur faut comme à toute personne un nid ou à tout le moins sa perspective, afin de pouvoir joindre la ruche.

L’offre de logements permanents n’est toutefois pas inexistante. Il existe au Québec plus de 50 OSBL d’habitation offrant des logements permanents pour personnes en situation de handicap.

L’autonomie résidentielle des locataires y est soutenue par divers services qui s’adaptent selon les particularités des personnes. Par exemple, il peut s’agir d’accompagnement pour l’organisation et l’accomplissement de tâches quotidiennes ou d’obligations citoyennes, ou encore pour la participation dans la collectivité. Ce modèle est connu dans le réseau de la santé sous l’appellation « d’appartements supervisés ». Le constat que nous avons à vous partager aujourd’hui, c’est que le ministère de la Santé et des Services sociaux ne détient aucune enveloppe budgétaire dédiée au financement de ces organismes ni aucun cadre d’harmonisation pour ce financement.
Lorsque des projets de logements communautaires, développés par des programmes gouvernementaux en habitation, viennent cogner à la porte des CISSS/CIUSSS, ces derniers sont pris de court. Ils n’ont ni méthode d’évaluation du financement à accorder, ni d’enveloppe depuis laquelle puiser.

Devant l’absurdité de ne pouvoir assumer des coûts qui retomberont plus gros dans sa cour, les CISSS/CIUSSS finissent par piger des miettes dans diverses enveloppes, comme celle du maintien à domicile.

Le résultat est que le financement varie d’une région à l’autre en fonds et en source, mais est de façon constante à la fois insuffisant pour les organismes et disproportionné comparativement au financement de services similaires en d’autres milieux.

Alors que les OSBL d’habitation en DI-TSA-TCC évaluent en moyenne à 25 000$ « par année par usager » leurs besoins en financement, ils ne se voient accordés bien souvent que 15 000$, alors que d’autres ressources obtiennent pour des services similaires 40 000$. Cette situation est problématique pour tous les organismes, qu’ils soient en opération ou en développement.

C’est le cas par exemple du HAS des Chenaux, un projet de transformation d’une église en logements pour personnes autistes et celles qui présentent une déficience intellectuelle ou physique. Alors que le CIUSSS a indiqué sur plus d’un an vouloir financer à la hauteur de 21 000$ « par année par usager » l’organisme, ce dernier a récemment appris que le financement n’irait pas au-delà de 15 000$, le CIUSSS n’ayant « aucune somme réservée » et ne prévoyant « aucun changement à cet effet en 2024 ».

Alors que des sommes importantes sont dirigées vers la construction de nouvelles unités, il serait bon de s’assurer que les unités actuelles et futures puissent demeurer en place.

Ironiquement, plusieurs des annonces et coupures de ruban en habitation, dans la dernière année, concernaient des projets « d’appartements supervisés ».

Nous vous proposons deux solutions alternatives à mettre en place dès le prochain budget : (1) attribuer au ministère de la Santé et des Services sociaux une enveloppe dédiée au financement de ces organismes; ou (2) rendre admissibles au PSOC ces organismes afin d’autoriser le MSSS à les financer à la mission. Entre ces deux options, nous croyons que la seconde est préférable puisqu’elle assure que l’ensemble des coûts opérationnels sont soutenus et que le réseau de la santé gagne ainsi en efficacité administrative.

Nous évaluons les besoins en financement des organismes existants, en date de l’automne 2023, à 15M$, et suggérons de prévoir un financement de 25M$ pour inclure les nombreux projets à venir qui ont été approuvés par la Société d’habitation du Québec. Que le budget Girard 2024 opte pour l’une ou l’autre de ces deux options, cette somme d’argent doit être recentrée – ce n’est pas de l’argent tout neuf – et réservée à ces projets, avec récurrence et
indexation.

Cette intervention aura un effet triple : (1) encourager les projets présentement en développement (notamment certains avec lesquels vous avez célébré l’annonce d’approbation ou la première pelleté de terre); (2) assurer la pérennité des projets en place; et (3) … faire du Québec un lieu un peu, beaucoup, passionnément inclusif.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à la réalité des personnes en situation de handicap, veuillez accepter nos salutations respectueuses.

André Castonguay, directeur général, Réseau québécois des OSBL d’habitation (RQOH) 

Alain Pearson, directeur par intérim, Autisme Saguenay Lac Saint-Jean 

Amélie Duranleau, directrice générale, Société québécoise de la déficience intellectuelle (SQDI) 

Anne-Marie Nader, professeure au département de psychologie, Université de Montréal 

Aurèle Desjardins, directeur général, Les Apprentis 

Carol-Ann Vincent, directrice générale, Société de l’autisme de l’Abitibi-Témiscamingue 

Catherine Boucher, directrice générale, Habitations communautaires Loggia 

Cindy Champagne, coordonnatrice, HAS des Chenaux 

Gisèle et Robert Quenneville, direction, La Chacunière 

Julie Champagne, directrice générale, Autisme Montréal 

Lili Plourde, directrice générale, Fédération québécoise de l’autisme 

Lise Rainville, présidente, Défis-logis Lanaudière 

Marjorie Desormeaux-Moreau, professeur·e agrégé·e à l’Université de Sherbrooke; président·e et directeur·trice général·e d’Autisme Soutien 

Marjolaine Tapin, directrice générale, Connexion TCC/Regroupement des associations de personnes traumatisées craniocérébrales du Québec 

Martine Martin, directrice générale, Le Phare des Îles 

Martin Lalonde, agent de défense collective des droits, Ex aequo 

Olivier Loyer, gestionnaire immobilier, GRT Nouvel Habitat 

Sylvie Bastien, directrice générale, L’Archipel de l’Avenir 

Véronique Laflamme, porte-parole, FRAPRU 

Véronique Tremblay, directrice générale, Autisme Québec 

Violaine Héon, directrice générale, Regroupement d’organismes en DI-TSA de la Mauricie (RODITSA) 

Virginie LaSalle, professeure à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal  

Xavier-Henri Hervé, président, Maison de l’autisme