Mémoire du RQOH présenté en janvier 2016 au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, monsieur François Blais, à l’occasion de la consultation publique sur le troisième Plan d’action de lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale.

Présentation du Réseau québécois des OSBL d’habitation (RQOH)

Le RQOH forme, depuis 15 ans, un réseau solidaire dont la mission est de rassembler, soutenir et représenter la communauté des OSBL d’habitation (OSBL-H) québécoise.

Par ses actions, il vise à favoriser le développement et la pérennité des OSBL d’habitation, la reconnaissance du droit au logement, de même que l’accessibilité au logement social de qualité.

Les 50 000 logements en OSBL du Québec sont partagés entre 1 200 organismes. Ceux-ci sont organisés au sein de huit fédérations régionales, toutes affiliées au RQOH. Plus de 10 000 personnes sont actives à titre bénévole d’une façon ou d’une autre dans ce réseau qui compte également sur la participation d’au moins 6 500 salariés.

Les différents indicateurs socio-économico-sanitaires définissent nos locataires comme les individus les plus vulnérables de la société québécoise en général.

Les valeurs de justice sociale, de démocratie, de solidarité et d’autonomie guident les actions, les orientations et les prises de position du RQOH. Notre travail est encadré par une approche mobilisatrice et participative impliquant toutes les composantes et instances du mouvement : OSBL, fédérations, conseils d’administration, comités de travail, bénévoles et salariés.

Le RQOH est une organisation dont le financement provient principalement de diverses contributions faites par les OSBL d’habitation et des bénéfices associés à son offre de services aux fédérations régionales et aux OSBL-H locaux.

Le logement et la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale

Dans le cadre de la consultation publique lancée par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale en prévision du troisième plan d’action gouvernemental de lutte à la pauvreté, le Réseau québécois des OSBL d’habitation réaffirme d’emblée son appui aux objectifs poursuivis par la stratégie nationale instituée en application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale (ci-après « la Loi »). Plus particulièrement, le RQOH tient à rappeler l’importance primordiale que revêt l’accès à un logement décent et abordable parmi les mesures qui sont collectivement déployées pour atteindre ces objectifs.

S’adressant principalement à une clientèle à faible, voire très faible revenu, les quelque 50 000 logements offerts par les OSBL d’habitation sur l’ensemble du territoire québécois répondent à des besoins variés : familles, aînés autonomes ou en légère perte d’autonomie, personnes ayant des besoins particuliers, etc. Les gestionnaires de ces organismes, les milliers de bénévoles qui y sont impliqués et à plus forte raison les locataires qui y vivent peuvent témoigner de l’impact positif et parfois même spectaculaire du logement social et communautaire sur les conditions de vie de ces derniers. Le lien étroit entre les enjeux liés au logement et la lutte à la pauvreté est inscrit au cœur même de la loi de 2002, dont l’article 9 prévoit explicitement que « les actions liées au renforcement du filet de sécurité sociale et économique doivent notamment viser à […] favoriser l’accès à un logement décent à un prix abordable par des mesures d’aide au logement ou par le développement du logement social, de même que par le renforcement du soutien communautaire aux personnes plus démunies socialement, dont les sans-abri ». Notons à cet égard que ce lien entre abordabilité du logement et renforcement du soutien communautaire est au cœur du modèle et des pratiques développés par le secteur des OSBL d’habitation.

De façon conséquente, les deux premiers plans d’action qui ont suivi l’adoption de la loi ont accordé une place importante aux enjeux liés au logement, en proposant respectivement de « privilégier l’accès à un logement adéquat à coût abordable » 1 et d’« améliorer l’offre relative aux logements communautaires et abordables » 2 .

Plus précisément, le plan d’action 2004-2009 rappelait que le logement constitue, pour une frange importante des ménages à faible revenu au Québec, l’élément majeur de leurs dépenses annuelles et que toute hausse du coût des logements a un effet direct sur leur capacité de subvenir à leurs autres besoins. Ainsi, « contrer la pénurie de logements abordables et mettre en œuvre des projets qui jumellent habitation et services sociocommunautaires contribue à diminuer la pauvreté » 3 .

Dans le même esprit, le plan d’action 2010-2015 identifiait le logement comme étant à la fois un déterminant de la pauvreté et un moyen d’influer positivement sur la situation des personnes et des familles. On y présentait en outre le logement social comme un milieu propice aux interventions visant l’insertion des personnes en situation de pauvreté ou à risque de l’être :

« Le logement social et communautaire constitue souvent un point d’ancrage efficace pour l’intervention publique et communautaire visant à mieux soutenir les ménages dans une démarche d’insertion sociale et professionnelle. De nombreuses expériences observées au Québec et ailleurs ont démontré l’efficience de travailler en intersectorialité en alliant l’aide au logement à l’offre de services et d’accompagnement au développement de l’employabilité et à la réinsertion au travail. Le logement, dans ce contexte, devient à la fois un outil et un tremplin. » 4

Les mesures proposées dans l’un et l’autre plan se sont notamment traduites par le renouvellement du programme AccèsLogis, dont certaines programmations ont été accélérées, et par l’adoption en 2007 du Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social, qui est venu reconnaître l’importance de cette pratique pour le maintien dans la communauté des personnes vulnérables ou qui risquent de le devenir, incluant celles en perte d’autonomie, les personnes en situation de handicap ou celles aux prises avec des problèmes multiples.

Des impacts mesurables et reconnus

Les retombées sociales des interventions gouvernementales et des milieux impliqués en matière de logement social et communautaire ont été mesurées dans deux études exhaustives réalisées pour le compte de la Société d’habitation du Québec (SHQ), qui administre le parc de logements à loyer modique et le programme AccèsLogis.

Réalisée en 2011, la première de ces études concluait que « les impacts sociaux des programmes de la SHQ sur la pauvreté se font sentir sur les personnes et les ménages, le quartier ou la communauté, et la société dans son ensemble » 5 . Plus précisément, le rapport identifiait cinq principaux impacts des activités de la SHQ :

  • une augmentation du revenu disponible des ménages pour se procurer des biens essentiels ;
  • la création d’un environnement de vie propice à l’insertion sociale et professionnelle ;
  • l’amélioration de la réussite scolaire des enfants par la stabilité résidentielle ;
  • la réduction des inégalités socio-économiques et une déconcentration de la pauvreté dans les quartiers et communautés ;
  • une réduction de l’utilisation des services publics par les personnes en situation de pauvreté.

Quant au premier impact, le rapport citait un sondage mené par la SHQ auprès des locataires de HLM en 2009, dans lequel les trois quarts des répondants ont affirmé que le faible coût de leur loyer leur permettait de s’offrir des biens ou services qu’ils ne pourraient s’offrir autrement, une « alimentation de qualité » étant la plus souvent citée parmi ces biens ou services. Cela vient confirmer une théorie dont les chercheurs affirment qu’elle fait généralement consensus, savoir que « lorsque les dépenses de logement accaparent une trop grande proportion du revenu, les dépenses en alimentation sont souvent les premières à diminuer » 6 .

Une comparaison des revenus d’emploi des ménages qui bénéficient d’un logement social et de ceux qui sont en attente d’un tel logement a par ailleurs amené les auteurs à émettre l’hypothèse que « l’accès à un logement abordable peut favoriser une démarche vers la formation ou l’intégration en emploi des personnes bénéficiaires ».

Une analyse plus poussée leur a permis d’observer que « plus les ménages bénéficiaires occupent leur logement depuis longtemps, plus la proportion de ceux-ci ayant comme revenu principal des revenus d’emplois augmente ». Cela confirme l’impact globalement positif du logement social et communautaire sur les dynamiques de sortie de la pauvreté.

En outre, le modèle de logement social avec soutien communautaire, développé en bonne partie à travers l’expérience des OSBL d’habitation, a prouvé sa capacité à agir de manière positive et pérenne sur ces dynamiques.

Une enquête réalisée à l’été 2015 par la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal est venue démontrer une fois de plus l’efficacité de cette formule pour favoriser la stabilité résidentielle des locataires qui présentent des besoins particuliers (personnes en situation ou à risque d’itinérance, toxicomanes, personnes éprouvant des troubles de santé mentale, victimes de violence conjugale, etc.). Sur les 1 777 locataires visés par cette enquête, plus de 55 % sont stabilisés en logement depuis plus de trois ans et 20 % le sont depuis plus de 10 ans.7

Des besoins toujours criants

Cela dit – et bien qu’il y a ait lieu de se réjouir collectivement des résultats des actions menées depuis 2002 dans le cadre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale en matière de logement –, les besoins demeurent criants et appellent au renouvellement des interventions gouvernementales et des communautés dans la réalisation des projets de logement social. Comme le souligne l’Appel de mémoires publié dans le cadre de la présente consultation, « il y a encore du travail à faire » pour favoriser l’accès à un logement décent et à un prix abordable.

Dévoilé en septembre 2015 par le RQOH et ses partenaires canadiens, l’Indice du logement locatif – un nouvel outil pour analyser l’évolution de ce secteur – nous apprend que 37 % des ménages locataires québécois consacrent plus de 30 % de leur revenu au paiement de leur loyer et que 17 % y consacrent plus de la moitié, ce qui les place littéralement en situation de crise budgétaire.8 On parle ici de près de 500 000 ménages dont le taux d’effort consacré au logement les empêche de subvenir adéquatement à leurs autres besoins essentiels.

Dans un récent avis dans lequel il s’est plus particulièrement intéressé à la situation des ménages à faible revenu 9 , le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion rapporte qu’en 2010, ces ménages consacraient en moyenne 60 % de leur revenu au loyer ; lorsqu’on isole les personnes seules parmi ces ménages, la moyenne se chiffre à 75 %. L’on imagine sans peine l’état de détresse dans lequel se retrouvent les personnes à qui un tel taux d’effort s’impose.

À défaut d’une intervention gouvernementale et collective vigoureuse, la situation tragique vécue par les personnes ayant des besoins impérieux en matière de logement n’est pas près de s’améliorer. Les données recueillies dans le cadre de l’Enquête nationale auprès des ménages menée par Statistique Canada indiquent en effet que le prix des loyers augmente plus vite que le revenu des personnes. Entre 2006 et 2011, le loyer médian a augmenté de 14 % au Québec, alors que la hausse du revenu médian des locataires a été à peine supérieure à 9 % pour la même période.10

Autre indice de la persistance des besoins en matière de logement décent et abordable, le nombre de ménages en attente d’un logement à loyer modique oscille bon an mal an entre 37 000 et 38 000 à l’échelle de la province et se maintient à ce niveau depuis une bonne quinzaine d’années, en dépit des unités supplémentaires qui ont été développées grâce au programme AccèsLogis.11 Pour les ménages qui se trouvent sur la liste – et dont les besoins sont jugés impérieux – le délai d’attente était d’un peu moins de quatre ans (46,7 mois) en 2011 et dépassait les cinq ans dans la seule région de Montréal.12

Une réalité particulière – celle des aînés

La Loi, à son article 8, fixe déjà comme objectif de « reconnaître l’apport des aînés et soutenir ceux qui sont en situation de pauvreté afin de leur rendre accessible une diversité de services et de programmes adaptés à leurs besoins ». L’on reconnaît désormais largement les difficultés financières particulières qui frappent les personnes qui atteignent l’âge de la retraite, dont les besoins – notamment en services et en soins de santé – ne diminuent pas autant que certains l’anticipaient, tandis que leurs revenus sont en décroissance.

Une note socio-économique publiée en 2011 par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)13 relevait ces quelques données :

  • Le taux de faible revenu chez les 65 ans et plus s’est aggravé sensiblement entre 1996 et 2008, passant de 4,6 à 12,3 %.
  • Le revenu médian des ménages de 65 ans et plus était de 20 300 $ en 2009.
  • À partir de 75 ans, la moitié des locataires vivent dans un logement inabordable.
  • En 1993, seulement 27 % des aînés affirmaient avoir des dettes, alors que cette proportion est passée à 58 % en 2010.

Ce à quoi l’on pourrait rajouter qu’en 2014, le revenu moyen d’une aînée éligible à la fois au régime des rentes du Québec, à la pension de la sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti, mais sans autre source de revenu, ne se chiffrait qu’à 17 800 $.

Le secteur des OSBL d’habitation dispose d’une connaissance intime de la condition économique précaire des aînés à faible revenu. À travers la province, quelque 500 organismes offrent plus de 22 000 logements destinés à une clientèle aînée. L’offre des OSBL d’habitation pour aînés inclut une variété de modèles, allant du simple logement jusqu’à celui d’une résidence offrant des services d’assistance personnelle ou des soins infirmiers. Plusieurs d’entre eux offrent aussi un soutien communautaire aux aînés locataires qui y vivent.

Accueillant principalement des aînés autonomes ou en légère perte d’autonomie, les OSBL d’habitation sont directement témoins de l’évolution des besoins des aînés en termes de services pouvant contribuer à leur maintien à domicile et des difficultés que certains éprouvent à y avoir accès. Ceux qui satisfont aux conditions d’éligibilité du programme ont accès au crédit d’impôt pour maintien à domicile des aînés, qui vise à permettre aux aînés âgés de 70 ans ou plus de vivre le plus longtemps possible dans leur milieu de vie.

Prévoyant le remboursement de certaines dépenses jugées admissibles (elles-mêmes incluses dans le coût total du loyer et des services lorsque le bénéficiaire habite dans une résidence pour aînés certifiée) à partir d’un taux uniforme fixé à 34 % pour l’année 2016, le programme de crédit d’impôt pour maintien à domicile nous apparaît inéquitable pour les aînés à faible revenu et ne s’inscrit aucunement dans une stratégie de lutte à la pauvreté.

Comme le calcul du montant octroyé repose sur le coût des services obtenus, le contribuable aîné qui a les moyens de vivre dans une résidence privée de luxe obtient un remboursement bien plus élevé que celui qui habite dans une résidence de type communautaire et sans but lucratif. De la même manière, celui capable de s’offrir une plus grande variété de services voit son crédit d’impôt augmenter d’autant, alors que son voisin à faible revenu et dont les besoins sont par ailleurs identiques n’obtiendra pas un sou de plus s’il n’a pas d’abord la capacité de se payer ces services additionnels. Cela nous semble contraire à la logique de notre système fiscal.

Déjà, en 2005, le défunt Conseil des aînés avait souligné cette incongruité et évoqué l’idée de modifier le taux du crédit d’impôt pour maintien à domicile, « en l’augmentant lorsque le revenu est plus bas, un peu à la manière du crédit d’impôt pour les frais de garde d’enfant ». 14 Le taux de ce dernier varie en effet dans une fourchette de 26 % à 75 %  en fonction du revenu familial du contribuable. Les ménages à faible revenu obtiennent donc une aide proportionnellement plus élevée, assurant ainsi l’atteinte optimale des objectifs du programme.

Nous sommes d’avis que le remplacement du taux unique de crédit d’impôt pour maintien à domicile des aînés par un tel taux dégressif contribuerait positivement à rendre accessible une diversité de services adaptés aux besoins des aînés en situation de pauvreté.

Des signaux inquiétants

Certaines décisions adoptées par l’actuel gouvernement dans le cadre de ses efforts pour rétablir l’équilibre budgétaire – que d’aucuns ont qualifiés de mesures d’austérité – nous apparaissent remettre en cause les objectifs de la Loi et de la stratégie nationale qui en découle.

  • Dans le domaine qui est le nôtre, nous jugeons à cet égard inéquitables et tout à fait inacceptables les coupures qui ont été imposées l’an dernier dans le programme AccèsLogis ; plus préoccupante encore est l’incertitude qui plane sur l’avenir de ce programme et plus généralement, celui des interventions gouvernementales pour le développement du logement social

Actuellement, le programme AccèsLogis est le seul programme d’aide au développement du logement social au Québec. Administré par la SHQ, le programme permet de réaliser, avec une contribution du milieu, des logements sociaux et communautaires destinés à des ménages à revenu modeste ainsi qu’à des personnes ayant des besoins particuliers de logement (par exemple, les personnes qui effectuent une démarche de réinsertion sociale).

Comme le souligne le rapport déposé le 5 décembre 2014 à l’Assemblée nationale par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, « les logements réalisés dans le cadre de ce programme contribuent aussi à la revitalisation des milieux et renforcent la cohésion sociale ». 15 Le même rapport rappelait qu’« augmenter le nombre de logements sociaux et abordables constitue une des voies de solution privilégiées pour résoudre les problèmes de logement des ménages à revenu faible et modeste » et que la livraison de nouveaux logements communautaires en vertu du programme AccèsLogis « s’inscrit dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ».

Au 31 mars 2015, quelque 26 829 logements communautaires avaient été livrés dans le cadre de ce programme, auxquels s’ajoutent les 8 557 logements réalisés entre 2002 et 2008 avec l’appui du défunt programme Logement abordable Québec.16 Comme on l’a vu plus haut, les impacts positifs des investissements en logement social sur la lutte à la pauvreté sont largement reconnus et documentés.

Or, le budget 2015-2016 du gouvernement québécois a annoncé la réduction de moitié des sommes qui étaient consacrées au programme AccèsLogis. La programmation annuelle de nouvelles unités de logement en a ainsi été réduite de 3 000 à 1 500 – cela, alors que les besoins ne se démentent pas.

Justifiée par la nécessité de rétablir l’équilibre budgétaire, cette décision nous est néanmoins apparue bien mal avisée et certainement inéquitable. La réduction de 126 millions $ du budget d’AccèsLogis représente en effet près de 5 % (4,7 %, plus précisément) de « l’effort d’austérité » exigé des contribuables et des diverses missions de l’État québécois, alors que le programme ne représentait que 0,256 % des dépenses de l’État en 2014-2015. 17 On a donc imposé à AccèsLogis – et ce faisant, aux dizaines de milliers de ménages en attente d’un logement abordable – un sacrifice 18 fois supérieur à son poids budgétaire réel !

Dans le même budget, on annonçait l’introduction du programme de Supplément au loyer privé (PSL) destiné à compenser partiellement la réduction du nombre de nouveaux logements sociaux pour quelque 1 000 locataires, qui bénéficieront temporairement d’une aide pour le paiement de leur loyer sur le marché privé.

Aux yeux du mouvement du logement communautaire, cette approche comporte de nombreuses failles :

  • Contrairement au logement social, les personnes auxquelles le PSL viendra en aide ne bénéficieront pas du soutien communautaire, qui contribue avec succès à briser l’isolement social et favorise la stabilité résidentielle.
  • Les programmes de supplément au loyer engendrent une pression à la hausse des loyers sur le marché privé, alors que la construction de logements sociaux a l’effet inverse.
  • En soutenant le paiement du loyer de ménages occupant un logement du marché privé, l’État se condamne lui-même à payer plus cher pour un résultat moindre. En effet, une récente enquête réalisée par le RQOH démontre que le  12 secteur de l’habitation communautaire offre des loyers de 14 % inférieurs à ceux du marché privé.18
  • D’une durée maximale de cinq ans, le Supplément au loyer n’offre qu’une aide temporaire, alors que le logement social et communautaire apporte une solution pérenne au problème d’accès à un logement décent à un prix abordable.
  • Enfin, le PSL n’a que peu d’effets sur le développement économique et la revitalisation des milieux, contrairement au logement social. La poursuite, voire l’intensification des interventions gouvernementales en faveur du développement du logement social et communautaire nous apparaît essentielle pour atteindre les objectifs de lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale que le Québec s’est collectivement fixé.

C’est pourquoi le RQOH a entrepris une réflexion qui l’a amené à proposer la création d’un nouveau programme, Permaloge, qui maintiendrait la mission du logement communautaire tout en tenant compte des préoccupations budgétaires et d’efficacité du gouvernement.19 Nous faisons le pari que la mise à contribution de la capacité d’innovation du milieu et l’optimisation des ressources disponibles permettront de poursuivre le développement du logement social afin de répondre aux besoins actuels et futurs des ménages en situation de pauvreté.

  • Par ailleurs, le RQOH est également préoccupé par le manque de suivi apporté au Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social, dont l’adoption en 2007 s’inscrivait dans le cadre du premier plan d’action ayant découlé de la Loi de 2002.

Reconnu pour sa capacité à favoriser la stabilité résidentielle des personnes nécessitant un soutien – que ce soit pour habiter leur logement ou entreprendre une démarche de réinsertion sociale – le soutien communautaire en logement social offre un ensemble d’actions très larges et des possibilités d’accompagnement variées aux personnes vulnérables ou à risque de le devenir, dans un cadre intersectoriel.

Si l’importance et l’efficacité du soutien communautaire font l’unanimité, l’application du cadre de référence présente certaines lacunes, notamment quant à la définition des clientèles ciblées. Ainsi, à l’exception de la région de Montréal, ce sont surtout les OSBL d’habitation pour aînés qui voient leurs projets financés, en dépit des nombreux besoins dans tous les types de clientèle.

De manière générale, les intervenants sur le terrain témoignent d’un manque de règles claires dans l’attribution du financement. Bien que le cadre de référence prévoyait la mise en place de concertations régionales et d’un comité de suivi national, ce dernier ne s’est réuni que deux fois depuis son adoption il y aura bientôt neuf ans. En outre, les sommes consacrées au programme demeurent largement en-deçà des besoins qui avaient été identifiés en 2007 – sans compter que le parc de logement communautaire s’est agrandi de plus de 15 000 unités depuis ce temps.

Parmi les cinq grandes orientations ayant été dégagées pour atteindre les buts poursuivis par la stratégie nationale de lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale, l’on insiste sur l’importance d’assurer, à tous les niveaux, la constance et la cohérence des actions menées par le gouvernement et l’ensemble des partenaires concernés. A priori, le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social, à l’élaboration duquel ont participé une variété d’intervenants, participe de cet objectif.

Huit ans plus tard, un effort particulier doit être consacré à la mise ou la remise en place des instances partenariales prévues aux niveaux national et régional. Cela favorisera l’élaboration d’un processus de répartition des enveloppes budgétaires plus équitable et plus transparent avec des paramètres clairs s’appliquant dans l’ensemble du Québec, dans le respect des dynamiques et particularités de chacun des milieux.

  • Comme le rappelle le ministre dans l’Appel de mémoires en prévision du troisième plan d’action, la mobilisation des différents acteurs œuvrant dans l’ensemble des régions du Québec est au cœur de la stratégie qui découle de la Loi de 2002. Cela se traduit notamment par l’engagement à « soutenir les actions bénévoles et communautaires qui contribuent à l’inclusion sociale des personnes en situation de pauvreté » (article 8). Or, la récente décision de la Société d’habitation du Québec de réduire de 14 % la subvention à la mission globale des organismes financés par le Programme d’aide aux organismes communautaires (PAOC) déroge clairement à cette orientation.

Le PAOC offre une aide financière aux organismes qui mettent en place des services, des activités ou des projets favorisant l’amélioration des conditions d’habitation. Les fédérations régionales d’OSBL d’habitation et le RQOH bénéficient d’un financement dans le cadre du volet Soutien à la mission globale de ce programme.

Le premier plan d’action (2004-2009) de lutte à la pauvreté identifiait le PAOC comme un programme essentiel pour favoriser le développement d’initiatives communautaires en matière d’habitation. C’est donc avec énormément de surprise que nous avons appris la décision de la SHQ de réduire de façon unilatérale la subvention à la mission globale de nos groupes – qui était déjà « gelée » au même niveau depuis plusieurs années. Il semble que l’enveloppe globale du programme ait été maintenue, mais que la SHQ ait décidé d’augmenter les fonds consacrés au volet Soutien aux projets ponctuels aux dépens du volet Soutien à la mission globale.

Le « transfert » du financement à la mission vers le financement de projets ponctuels précarise le fonctionnement des organismes concernés et affaiblit leur capacité de réaliser les activités pour lesquelles leur expertise est pourtant reconnue. Cela contredit en outre les orientations de la politique gouvernementale sur l’action communautaire adoptée en 2001 et du Cadre de référence en matière d’action communautaire de 2004, qui favorisait le financement d’un « seuil plancher » correspondant au soutien suffisant pour favoriser la continuité dans la réalisation des activités qui découlent de la mission globale d’un organisme d’action communautaire. 20

Dans le même esprit de constance et de cohérence des actions menées par le gouvernement et les partenaires concernés, il est à souhaiter que cette décision soit réévaluée et que le financement à la mission globale des organismes communautaires dont l’action contribue à l’amélioration des conditions d’habitation des personnes à faible ou modeste revenu soit rétabli et rehaussé.

  • Parmi les signaux inquiétants qui nous préoccupent, l’on ne saurait passer sous silence le dépôt récent du projet de loi 70, qui vise officiellement à « permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi ».

En adoptant une approche punitive pour forcer les nouveaux demandeurs à l’aide sociale à accepter tout emploi jugé convenable – sans même par ailleurs l’on ne précise ce que l’on entend ainsi – le projet de loi risque fort de contribuer à l’appauvrissement de personnes parmi les plus vulnérables.

Notre propre expérience auprès des personnes en difficulté nous porte à croire qu’une approche volontaire et adaptée à leurs réalités est beaucoup plus susceptible de porter fruit que l’approche punitive qui anime ce projet de loi.

Rappelons qu’en vertu de l’article 9 de la Loi, les actions liées au renforcement du filet de sécurité sociale et économique doivent viser à « rehausser le revenu des personnes et des familles en situation de pauvreté, en tenant compte notamment de leur situation particulière et des ressources dont elles disposent pour couvrir leurs besoins essentiels » et à « favoriser le maintien ou l’intégration en emploi des travailleuses et travailleurs à faible revenu, notamment par des suppléments à leurs revenus de travail » (approche incitative).

Sur l’ensemble de ces enjeux, le RQOH soutient les représentations faites par le Collectif pour un Québec sans pauvreté et les organismes représentant les personnes assistées sociales dans le cadre de la présente consultation.

Sommaire des « pistes d’enjeux » recommandés par le RQOH

En lien avec l’orientation 1 – Prévenir la pauvreté et l’exclusion sociale en favorisant le développement du potentiel des personnes

  • Revoir les modalités du programme de crédit d’impôt pour maintien à domicile des aînés afin qu’il réponde mieux aux besoins des aînés à faible revenu, notamment par le remplacement du taux de crédit unique par un taux dégressif proportionnel au revenu.

En lien avec l’orientation 2 – Renforcer le filet de sécurité sociale et économique

  • Poursuivre et accélérer le développement du parc de logement social et communautaire pour favoriser l’accès à un logement décent à un prix abordable.
  • Bonifier l’appui global au soutien communautaire en logement social et mettre en place un processus plus équitable de répartition des enveloppes budgétaires avec des paramètres nationaux clairs, tout en respectant les dynamiques et particularités de chacun des milieux.
  • Rétablir et rehausser le financement à la mission globale des organismes bénéficiant du Programme d’aide aux organismes communautaires de la Société d’habitation du Québec.

En lien avec l’orientation 5 – Assurer, à tous les niveaux, la constance et la cohérence des actions

  • Dans le cadre de la révision des programmes et missions de l’État québécois, consulter les organismes et partenaires impliqués dans la lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale et favoriser leur participation à la réflexion.
  • Mettre ou remettre en place les instances partenariales prévues par le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social.

***

En conclusion, nous tenons à souligner notre appréciation de la démarche de consultation entreprise par le ministre et la volonté qu’il a exprimée que le troisième plan d’action gouvernemental propose des mesures concrètes qui bénéficieront à tous les citoyens, en particulier à ceux et celles qui se trouvent en situation de précarité.

Comme acteur et partie prenante de la lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale, le Réseau québécois des OSBL d’habitation est déterminé à continuer à y apporter sa contribution, convaincu que la réalisation du droit à un logement convenable et abordable demeure un élément incontournable pour l’amélioration des conditions de vie des plus vulnérables.

1 Concilier liberté et justice sociale, plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, (2004), p. 48.

http://www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/ADMIN_plan-action-lutte-pauvrete.pdf

2 Le Québec mobilisé contre la pauvreté, plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale, (2010), p. 35. http://www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/ADMIN_Plan_de_lutte_2010-2015.pdf

3 Concilier liberté et justice sociale, op. cit., p. 16.

4 Le Québec mobilisé contre la pauvreté, op. cit., p. 35.

5 AECOM Aménagement, Environnement et Ressources, (2011), Étude d’impacts des activités de la Société d’habitation du Québec, p. 28. http://www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/internet/publications/ 0000021371.pdf

6 AECOM Aménagement, Environnement et Ressources, (2013), Étude sur les impacts sociaux des activités de la Société d’habitation du Québec : rapport final, p. 4. http://www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/internet/ publications/0000022972.pdf 7

7 Fédération des OSBL d’habitation de Montréal, (2015), Du Chez-Soi au Chez-Nous : résultats d’une enquête sur la stabilité résidentielle dans les OSBL-H dédiés aux personnes sortant de l’itinérance. http://fohm.rqoh.com/du-chezsoi-au-chez-nous-2/

8 Indice du logement locatif canadien, disponible au http://rentalhousingindex.ca/.

9 Lechaume, Aline, Savard, Frédéric, (2015), Avis sur la mesure de l’exclusion sociale associée à la pauvreté : des indicateurs à suivre, Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE), Gouvernement du Québec, p. 14. http://www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/CEPE_2015_Indicateurs_exclusion_sociale.pdf

10 Front d’action populaire en réaménagement urbain, (2014), Dossier noir – Logement et pauvreté, p. 3. http://www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2014/09/Dossier-noir-2014VF_web.pdf

11 Isabelle Porter, « HLM : près de 40 000 personnes sur les listes d’attente au Québec », Le Devoir, 4 août 2014. http://www.ledevoir.com/politique/quebec/415075/hlm-pres-de-40-000-personnes-sur-les-listes-d-attente-au-quebec

12 Lechaume et Savard, (2015), op. cit., p. 14.

13 Couturier, Ève-Lyne, (2011), La situation financière des aîné-e-s, Institut de recherche et d’informations socio- économiques, 8 p. http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/note-aine-e-s-web.pdf

14 Conseil des aînés, (2005), Avis sur le crédit d’impôt pour le maintien à domicile d’une personne âgée, Québec, p.5. http://catalogue.iugm.qc.ca/GEIDEFile/19816.PDF?Archive=197410291569&File=19816_PDF 

15 Résultats des actions menées dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale – 2002-2013, rapport du ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, (2014), p. 12. http://www.mess.gouv.qc.ca/publications/pdf/ADMIN_lutte_pauvrete_R58_rapport_ministre2014.pdf

16 Société d’habitation du Québec, (2015), Rapport annuel de gestion 2014-2015, p. 3. http://www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/internet/publications/0000023985.pdf

17 Réseau québécois des OSBL d’habitation, (2015), Poursuivre le développement du logement communautaire au Québec, p. 1. https://rqoh.com/wp-content/uploads/2015/10/Blitz-AccesLogis8.5×11.pdf

18 Gaudreault, Allan, (2015), Les caractéristiques économiques et financières du parc des OSBL d’habitation du Québec, p. 33. https://rqoh.com/wp-content/uploads/2015/09/Les-caractéristiques-économiques-et-la-viabilité- financière-du-parc-des-OSBL-dhabitation-du-Québec.pdf

19 Les détails du projet Permaloge sont présentés sur notre site Web (rqoh.com).

20 Cadre de référence en matière d’action communautaire, (2004), Ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, deuxième partie – les balises d’interprétation, p. 25. http://www.mess.gouv.qc.ca/ telecharger.asp?fichier=/publications/pdf/saca_cadre_act_com_partie2.pdf

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