Depuis quelques années, la société québécoise est de plus en plus sensible au phénomène de la maltraitance envers les personnes aînées. Cette préoccupation n’est évidemment pas nouvelle, mais elle est désormais l’objet d’une action concertée d’une multitude d’intervenantes et d’intervenants, incluant les personnes aînées qui demeurent les premières concernées.

L’impact du logement social et communautaire

Le milieu du logement social et communautaire n’est évidemment pas à l’abri des situations de maltraitance. Comme le rappelle un rapport récemment publié par la Société d’habitation du Québec (SHQ), la maltraitance peut provenir du milieu de vie et des pratiques du personnel, gestionnaires ou administrateurs des projets d’habitation communautaire, tout comme elle peut être le fait d’un proche, voire de voisins ou colocataires. Néanmoins, de par son caractère collectif et la solidarité que permet son mode d’organisation, l’habitation communautaire est appelée à jouer un rôle clé pour prévenir et repérer la maltraitance des aînés.

Partout au Québec, près de 500 OSBL d’habitation offrent actuellement quelque 22 000 logements à une clientèle aînée à faible ou moyen revenu, pour qui autrement le manque d’accès à un logement abordable et adapté les placerait en situation de vulnérabilité. Outre un logement, plusieurs de ces organismes incluent dans leur offre des services additionnels comme des repas et des activités de loisirs. Le même rapport de la SHQ mentionne que cela contribue « à créer un milieu de vie sain, grâce à la proximité entre les aînés et à un certain encadrement social ».

Les OSBL d’habitation favorisent par ailleurs la participation et l’empowerment de leurs locataires aînés, qui sont invités à participer aux assemblées générales de l’organisme et à qui l’on réserve des postes au conseil d’administration. Les comités de locataires et comités de loisirs sont autant de lieu où les aînés peuvent socialiser, faire valoir leurs intérêts et leurs compétences, et acquérir un plus grand pouvoir sur les décisions qui les concernent. Un tel environnement agit en amont pour prévenir la maltraitance. Un milieu de vie sain où le droit à l’égalité, ainsi que la participation et l’autonomie des aînés sont valorisés peut également avoir un effet bénéfique sur la capacité des victimes de faire valoir leurs droits.

Plusieurs OSBL d’habitation pour aînés profitent des espaces communs et des activités collectives comme les repas et les loisirs pour tenir des rencontres d’information avec leurs locataires. Certains font appel aux ressources communautaires et institutionnelles du milieu, tel un organisme d’aide budgétaire ou le service de police, pour des séances d’information sur la fraude et les abus financiers, les bonnes pratiques en matière de sécurité, etc.

Ce travail d’éducation populaire et d’encadrement est facilité là où les OSBL d’habitation disposent des ressources pour offrir un soutien communautaire. Les intervenantes et intervenants sont alors bien placés pour agir en prévention, dépister les situations de maltraitance et soutenir les aînés qui en sont victimes. Le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social, adopté en 2007, précise d’ailleurs que « dans un immeuble pour personnes âgées, les résidents, grâce au soutien communautaire, peuvent compter sur une présence sécuritaire, un accompagnement pour prendre leurs repas, un service de transport pour se rendre à un rendez-vous, et ce, dans le respect de leur intimité ».

Dans son récent rapport sur les bonnes pratiques pour prévenir la maltraitance, la SHQ souligne à bon droit l’avantage que procurent les projets de logement communautaire réservés à une clientèle aînée. Selon les auteurs, ces projets « peuvent assurer, à l’aide d’un intervenant de terrain, un suivi personnalisé de la clientèle, de manière à “prévenir l’isolement de cette clientèle”. Ce suivi permettra aussi d’éviter l’émergence de cas de maltraitance en apportant de l’appui et de l’aide aux aînés. »

Un contexte

Le contexte du vieillissement de la population n’est pas étranger à cette prise de conscience par rapport au phénomène de la maltraitance envers les personnes aînées. Comme le rappelle le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées adopté en 2010, le Québec est une société où la population vieillit très rapidement. On estime ainsi que dans 15 ans, les personnes âgées de plus de 65 ans représenteront plus du quart de la collectivité québécoise.

Le plan d’action de 2010 fut le résultat d’un effort concerté de l’appareil gouvernemental, des chercheurs et des organismes issus de la société civile. Les mesures inscrites au plan d’action visaient à la fois à présenter et faire connaître le phénomène, à favoriser une meilleure coordination et harmonisation des initiatives et à améliorer l’offre de services en prévention, en dépistage et en intervention.

Parmi les initiatives les plus visibles auprès du grand public, plusieurs se souviendront de la campagne publicitaire lancée par le ministère de la Famille et des Aînés en 2010, mettant en vedette le monologuiste et humoriste Yvon Deschamps. La mise sur pied de la Ligne téléphonique Aide Abus Aînés (1 888 489-ABUS) a également remporté un franc succès, à la suite notamment des campagnes de sensibilisation qui ont été menées.

L’approche retenue dans le plan d’action est celle d’un continuum de services concertés entre les divers intervenants institutionnels et les organismes communautaires impliqués. Le secteur du logement social et communautaire est partie prenante dans cette démarche et est appelé à jouer un rôle de premier plan, particulièrement en ce qui a trait à la prévention et au dépistage des situations de maltraitance. Alors que le Secrétariat aux aînés est à préparer le prochain plan d’action dont l’annonce est prévue en 2017, il n’est pas superflu de rappeler l’impact positif de l’existence d’un réseau d’habitations communautaires destinées aux personnes aînées.

Une définition

Dans le cadre des travaux qui ont précédé l’élaboration du premier plan d’action, le gouvernement québécois a retenu la définition adoptée en 2002 par l’Organisation mondiale de la Santé :

« Il y a maltraitance quand un geste singulier ou répétitif, ou une absence d’action appropriée, se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance, et que cela cause du tort ou de la détresse chez une personne aînée. »

On comprend donc qu’il n’y a pas qu’un seul type de maltraitance. Celle-ci peut-être physique, psychologique (ou émotionnelle), sexuelle, ou encore matérielle ou financière. La maltraitance peut être le fait d’une violation des droits de la personne, comme la discrimination en raison de l’âge, ou de négligence. Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’un acte soit commis de façon intentionnelle pour que l’on identifie une situation de maltraitance.

Parmi les facteurs de risque liés à l’environnement social et humain des personnes aînées, le simple fait de vivre isolé et d’avoir un réseau social peu développé est souvent mentionné. La maltraitance peut tout aussi bien découler de conflits avec des proches que d’une relation toxique avec une personne pourtant censée venir en aide à l’aîné qui en devient victime. Les personnes affectées de problèmes de santé physique, de pertes cognitives ou de problèmes de santé mentale sont d’autant plus vulnérables à la maltraitance.

Le plan d’action gouvernemental identifie par ailleurs des facteurs de protection, qui contribuent d’emblée à prévenir ou « dissuader » la maltraitance. Parmi ces facteurs, on mentionne l’existence d’un réseau social adéquat, un environnement physique et psychosocial sain et une information disponible et adaptée aux besoins des aînés.

Outre l’information et la sensibilisation, le plan d’action favorise « une meilleure coordination et une plus grande harmonisation des actions ainsi que le développement d’approches intersectorielles […] pour améliorer l’offre de services, tant pour les personnes aînées qui font l’objet de maltraitance que pour les personnes qui gravitent autour d’elles ». Un Guide de référence à l’intention des partenaires des divers secteurs, dont la deuxième édition vient d’être publiée, regroupe et suggère une variété de ressources et de moyens pour prévenir, repérer et intervenir afin de contrer les situations de maltraitance.

Et maintenant ?

Le secteur de l’habitation communautaire a certes encore un rôle à jouer, alors que l’on s’apprête à passer à une deuxième étape dans l’action collective des partenaires pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées. Le Secrétariat aux aînés a déjà identifié quatre grandes orientations qui guideront l’élaboration du prochain plan d’action, prévu pour 2017 :

  • Rejoindre les personnes aînées dans tous les milieux de vie.
  • Favoriser une culture de bientraitance envers les personnes aînées.
  • Renforcer les actions concernant la lutte contre la maltraitance financière et matérielle envers les personnes aînées.
  • Répondre aux besoins de chacun dans un contexte de diversité sociale et de pluralité des modèles d’aînés.

L’impact du logement communautaire et son positionnement avantageux dans la lutte à la maltraitance militent en faveur de la poursuite, voire d’une accélération du développement de nouvelles unités de logement social. À cet égard, la décision du gouvernement québécois de privilégier l’octroi de suppléments au loyer dans le marché privé au détriment de la construction de nouveaux ensembles de logement social représente un recul certain par rapport aux objectifs qu’il poursuit par ailleurs dans sa politique à l’égard des aînés.

Les aînés en situation de pauvreté et qui souhaitent vivre dans un environnement sécuritaire et adapté ont en effet bien peu d’avantages à tirer des suppléments au loyer dans le marché privé; ils ont plutôt besoin d’un plus grand accès au logement social et communautaire. Bien que ce ne soit jamais une panacée, ils se trouveront ainsi dans de meilleures conditions pour ne pas avoir à subir de situations de maltraitance.

Chose certaine, les organismes qui composent le secteur de l’habitation communautaire ont fermement l’intention de collaborer avec les partenaires multisectoriels pour offrir des milieux valorisants et épanouissants, exempts de maltraitance et de discrimination.

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Quelques ressources :

  • Site Web sur la maltraitance du Secrétariat aux aînés : gouv.qc.ca
  • Ligne téléphonique Aide Abus Aînés : 1 888 489-ABUS (2287)

 

Pour que vieillir soit gai – un programme de la Fondation Émergence

Comme toute personne, les gais et lesbiennes vieillissent. Or, si la majorité des personnes aînées LGBT des générations précédentes n’ont jamais dévoilé publiquement leur orientation sexuelle, de nouvelles générations viennent les rejoindre et ne veulent pas avoir à cacher leur véritable identité et surtout pas retourner dans le placard. Pour ce faire, elles doivent compter sur des milieux de vie accueillants et compréhensifs.

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Le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées identifie l’orientation sexuelle comme une caractéristique particulière exposant les aînés à certaines formes de maltraitance :

« La première génération de personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transgenres qui est sortie du placard et qui a milité pour la reconnaissance de ses droits passe maintenant le cap de la soixantaine. Aux difficultés habituellement liées à l’avancée en âge, tel l’âgisme, s’ajoute l’homophobie. Les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transgenres sont davantage exposées à certaines formes de maltraitance telles que la discrimination, la négligence et le harcèlement, ainsi qu’à des difficultés supplémentaires pour obtenir des services appropriés à leur condition. »

Offrant plus de 22 000 logements à une clientèle aînée dans une variété de milieux, les OSBL d’habitation sont particulièrement sensibles à cette réalité. Comme pourvoyeurs de logement social et communautaire, ces organismes accueillent leurs locataires en fonction de critères précis, dont celui de la condition financière, qui interdisent toute forme de discrimination sur la base de l’orientation sexuelle. Mais au-delà de cette offre de logement qui reste au cœur de leur mission, les OSBL d’habitation constituent aussi des milieux de vie et de rassemblement favorisant la solidarité et le respect entre locataires, gestionnaires et salariés.

Les interventions de soutien communautaire, qui font partie du modèle développé par les OSBL d’habitation, permettent en outre d’appuyer les locataires qui témoignent de situations ou pratiques discriminatoires. Les organismes peuvent aussi intervenir en amont en rappelant régulièrement à leurs locataires, ainsi qu’aux salariés et bénévoles qui interviennent auprès d’eux, l’importance qu’ils accordent au respect du droit à l’égalité.

Partenaire du plan d’action gouvernemental, la Fondation Émergence propose un intéressant programme d’information et de sensibilisation aux réalités des personnes aînées gaies, lesbiennes, bisexuelles et transidentitaires (LGBT), auquel les OSBL d’habitation peuvent recourir. Destiné à ceux et celles qui œuvrent auprès des personnes aînées ou qui les côtoient, le programme Pour que vieillir soit gai vise à les outiller afin d’assurer des environnements exempts d’homophobie et de transphobie.

Le programme propose une trousse d’outils visant à favoriser la discussion et à mieux faire connaître la réalité des aînés LGBT. Cette trousse comprend un dépliant, des fiches d’information, un autocollant, une affiche, un napperon, un diaporama, des vidéos, des exercices et des jeux pour aider à combattre les préjugés. La Fondation propose également une Charte de la bientraitance envers les personnes aînées lesbiennes, gaies, bisexuelles et transidentitaires, à laquelle les OSBL d’habitation peuvent adhérer; les 11 principes qu’elle contient peuvent aussi être annexés au code d’éthique de l’organisme.

Selon un récent sondage mené par la firme Léger Marketing pour le compte de la Fondation portant sur la perception et l’opinion des Canadiens et Québécois à l’égard de l’homophobie et de la transphobie, 66 % des Québécois considèrent qu’il est assez ou très difficile pour les personnes aînées homosexuelles de vivre ouvertement une relation amoureuse en CHSLD ou dans une résidence privée pour aînés. Ce résultat indique qu’il y a encore du travail à faire pour faire reculer les préjugés. C’est ainsi que l’objectif d’« un toit pour tous et toutes », que poursuit le mouvement de l’habitation communautaire, finira par prendre tout son sens.

 

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 49

Photo tirée du document
« Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2010-2015 »
du gouvernement du Québec