Quelle approche faut-il privilégier dans la lutte à l’itinérance ? Les gouvernements actuels prônent toujours plus souvent une approche qui a recours au privé alors que la plupart des intervenants qui agissent déjà auprès des sans-abri considèrent que la méthode communautaire, ou le modèle québécois, a fait ses preuves.


Le « Housing First »
Au cours des dernières années, la formule du « Housing First », aussi connue comme le « Logement d’abord » ou encore le « Chez soi », a bénéficié d’un intérêt grandissant de la part de nombreux politiciens et chercheurs s’intéressant à l’itinérance. Cette méthode d’intervention cible les personnes en situation d’itinérance, ou à risque de le devenir, et les aide à se trouver rapidement un logement dans une habitation privée. Le gouvernement fédéral ayant injecté 110 millions de dollars pour tester cette approche, des chercheurs ont conclu qu’elle peut être efficace**. Leurs résultats font écho à des études menées dans plusieurs grandes villes étatsuniennes qui soulignent le « succès retentissant » de cette mesure présentant un « coût additionnel minime pour la société ».
L’approche connaît aussi une certaine popularité chez nos dirigeants, qui semblent y trouver un renforcement de leur préférence pour le secteur du logement privé. Les gouvernements provincial et fédéral ont en effet récemment renouvelé une entente intitulée Stratégie de partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI) pour la mise en œuvre du programme en 2015-2019, et, en dépit de son engagement à maintenir le modèle québécois, « le gouvernement du Québec a accepté la volonté fédérale de réorienter son aide vers le Housing First », note le Réseau d’aide pour les personnes seules et itinérantes (RAPSIM). Désormais, 65 % du budget serait dévolu à cette approche.

Une solution réelle au problème de l’itinérance ?
On peut se poser la question : cette solution répond à quel problème ? Les organisations qui travaillent depuis plusieurs années dans le domaine de la lutte à l’itinérance soulignent les limites de cette approche qui ne répond pas aux problématiques plus larges de l’itinérance. Au Québec, le RQOH, ses fédérations et des organismes qui travaillent en lien avec l’itinérance, comme le RAPSIM, sont de plus en plus méfiants du modèle « Chez soi », qui priorise le privé au détriment du modèle communautaire et des OSBL. Isabelle Leduc, présidente du RQOH et directrice de Chambreclerc,un OSBL d’habitation à Montréal, considère que reloger des personnes dans des logements privés sans encadrement communautaire n’est pas une solution pour tous : « Bien que cette approche puisse fonctionner dans certains cas, nous sommes convaincus qu’elle n’est pas appropriée pour la majorité des personnes visées, soit celles en situation d’itinérance chronique. Par exemple, la situation de survie à laquelle ces personnes font face les emmène à adopter des modes de vie plutôt marginaux. Ces personnes faisant souvent également face à de la désaffiliation à plusieurs niveaux, une fois logées, elles ont besoin de milieux de vie tolérants avec des services de soutien communautaire. »
L’aspect communautaire est un facteur clé dans une réinsertion sociale. « Très souvent, les locataires potentiels que nous rencontrons nous disent que dans le passé ils ont eu des logements qu’ils ont choisi de quitter à cause de l’isolement et de la solitude qu’ils y vivaient. Le logement social leurs offre des opportunités de socialiser, de s’entraider et de participer à des activités », souligne Isabelle Leduc.

Ailleurs au Canada
Un son de cloche semblable se fait aussi entendre ailleurs au Canada. Des membres du Centre de défense des locataires de l’Ontario (ACTO) soulignent le facteur de l’itinérance « cachée », soit les nombreuses personnes itinérantes qui connaissent différentes situations de précarité, souvent sans vivre en permanence dans la rue. C’est ce phénomène que l’on appelle l’itinérance cachée, et que peu de chercheurs évaluent réellement. L’équipe à l’origine du dénombrement des itinérants fait à Montréal le 24 mars dernier reconnaît d’ailleurs que le chiffre de 3016 itinérants « chroniques » n’inclut qu’une « fraction » des itinérants cachés. Ces derniers ne peuvent bénéficier du programme Logement d’abord.
De plus, une étude menée récemment à Vancouver par Julian Summers, professeur à l’Université Simon Fraser, montre quant à elle que le « Logement d’abord » échoue lorsqu’il s’agit de loger des toxicomanes. Des logements sociaux adaptés aux besoins des personnes en détresse sont essentiels quand vient le temps de répondre à des problématiques plus complexes. L’expression simpliste « l’aide à la personne vaut mieux que l’aide à la pierre » est trop souvent utilisée par certains politiciens comme si la solution reposait seulement sur une aide à la personne au cas par cas sans les infrastructures spécifiques pour répondre aux personnes faisant face à des problèmes liés au logement.

L’importance des logements abordables
Isabelle Leduc fait remarquer que l’approche du Chez soi « n’offre aucune pérennité, car elle est tributaire de la bonne volonté des propriétaires et de la poursuite du programme ». Le recours au privé ne réglera en rien le manque de logements abordables. Au contraire, elle pourrait pousser dans l’itinérance d’autres personnes qui vont voir les logements abordables être loués par des personnes subventionnées. La perte de financement, notamment à cause de la réorientation de la SPLI, « jumelée au fait que la spéculation immobilière prend constamment de l’ampleur sur tout le territoire de Montréal et que les programmes de logements sociaux subissent d’importantes coupures, nous laisse très inquiets pour la suite des choses », note Isabelle Leduc.
Si la vision du « Logement d’abord » contribue à faire sortir des gens des statistiques de l’itinérance, il est encore prématuré de conclure que cette méthode est la panacée. Faut-il aider les personnes à s’en sortir avec des programmes d’aide au logis sous forme de subventions individuelles qui contribueront au bout du compte à favoriser des hausses de loyers ? Où devrait-on plutôt favoriser une approche plus communautaire où les personnes bénéficient de logements abordables, d’encadrement et de soutien adéquat ?
Pour une majorité d’organismes et de regroupements (RAPSIM, RSIQ , FOHM , RQOH, RIOC-M , FRAPRU ) qui se questionne sur l’efficacité de ce virage, un des problèmes fondamentaux au Québec reste le manque de logements abordables. En accord avec la politique québécoise de lutte à l’itinérance, c’est une approche plus globale qui est privilégiée.
Un comité a d’ailleurs été mis sur pied par la FOHM regroupant plusieurs OSBL d’habitation (le RQOH, le RAPSIM, l’OMHM ), de même que la chercheuse du Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal, Céline Bellot. Ce comité a comme objectif de démontrer l’efficacité du logement social avec soutien communautaire pour prévenir et contrer l’itinérance.

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 47