Le RQOH a adressé une lettre ouverte aux chef·fes des 4 partis représentés à l’Assemblée nationale à l’occasion de la rentrée parlementaire.
Montréal, le 14 septembre 2021
Monsieur François Legault Madame Dominique Anglade
Premier ministre Cheffe de l’opposition officielle
Monsieur Gabriel Nadeau-Dubois Monsieur Joël Arseneau
Chef du deuxième groupe d’opposition Chef du troisième groupe d’opposition
Objet : Œuvrer ensemble pour le droit au logement
Monsieur le Premier ministre,
Madame la cheffe et Messieurs les chefs des groupes d’opposition,
Permettez-nous tout d’abord de vous souhaiter une rentrée des plus cordiale, productive et sécuritaire à l’occasion de la reprise de la période de travaux réguliers à l’Assemblée nationale.
Au moment où ces travaux ont été ajournés le 11 juin dernier, l’attention de bon nombre de Québécoises et de Québécois était tournée vers la situation délicate des centaines de nos concitoyennes et concitoyens qui n’avaient pas encore trouvé un toit, à quelques jours de la date fatidique du 1er juillet. De fait, ce sont près de 500 ménages qui se sont retrouvés dans cette situation ce jour-là. Un mois plus tard, en dépit des efforts appréciables qui ont été déployés pour les soutenir dans leurs démarches, ils étaient encore 350 à poursuivre leur recherche de logement.
Ce fut la manifestation la plus visible, certes, d’un phénomène plus global et hautement préoccupant, qui a d’ailleurs suscité de nombreuses interventions de votre part et celle de vos collègues respectifs tout au long du printemps. Ce phénomène, plusieurs l’ont qualifié de crise du logement. Il se manifeste entre autres par des taux d’inoccupation inférieurs au seuil d’équilibre reconnu dans le marché du logement locatif; par un manque criant de logements correspondant à la capacité de payer des ménages locataires; par des hausses de loyer inquiétantes et largement supérieures à celle de l’indice des prix à la consommation, en particulier dans le cas des logements disponibles à la location; par une augmentation choquante du phénomène des « rénovictions ». Le tout, dans le contexte d’un marché immobilier qui s’emballe, où la volonté de certains d’obtenir des rendements spectaculaires et à court terme l’emporte sur celle d’offrir un toit convenable à l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens.
On aurait tort de penser que les difficultés à se loger convenablement ne sont le fait que d’un tout petit nombre de personnes à très faible revenu. Pour les 80 000 ménages locataires qui consacrent plus de 80% de leurs revenus au loyer, certes, il est urgent d’agir et de corriger la situation. Mais le problème est beaucoup plus vaste. La pénurie de logements abordables contribue à la surenchère à laquelle on assiste dans le marché immobilier, qui affecte largement les familles de la classe moyenne. Elle a aussi pour effet de ralentir la relance économique et d’accentuer la pénurie de main-d’œuvre dans certains milieux, quand des candidates et candidats hésitent à déménager dans les régions où il y a des besoins criants, faute d’y trouver un logement à leur portée.
Comme regroupement représentant plus de 1 200 organismes qui offrent 55 000 logements à des ménages de conditions variées dans toutes les régions, le Réseau québécois des OSBL d’habitation est convaincu que des solutions existent et qu’il ne faut surtout pas attendre le prochain « jour du déménagement » pour agir, collectivement, afin de faire en sorte que chaque Québécoise et chaque Québécois ait accès à un logement qui corresponde à ses besoins et sa capacité de payer. Ces attentes, elles sont partagées par une grande majorité de nos concitoyennes et concitoyens.
Un sondage réalisé en mai dernier par la firme Léger révélait ainsi que 84% des Québécois considèrent que l’accès suffisant au logement abordable et sécuritaire est problématique à l’heure actuelle, alors que 82% pensent que le gouvernement doit en faire plus pour contrer la crise du logement. Aussi, en dépit de l’existence de ce qu’on appelle le syndrome « pas dans ma cour », une forte majorité de Québécois (78%) seraient favorables à un projet de construction d’un nouveau complexe de logements sociaux près de chez eux.
Clairement, le droit au logement fait partie des valeurs qui animent la nation québécoise. À un an des prochaines élections, le temps n’est plus à débattre à savoir si l’on doit utiliser, ou pas, le mot « crise » pour qualifier la situation actuelle, mais à agir pour y mettre fin!
Bien que des facteurs variés puissent expliquer la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, il nous apparaît évident que le ralentissement de la construction de logements sociaux et communautaires que nous avons connu depuis une dizaine d’années y a fortement contribué. Pendant une quinzaine d’années, le Québec a été à l’avant-garde en privilégiant un modèle qui a fait ses preuves pour favoriser le droit au logement. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles le Québec s’en est tiré mieux que le reste du Canada en matière de logement : ce fut le résultat d’un effort collectif et délibéré, qui s’est traduit par le lancement et le maintien d’un programme, AccèsLogis Québec, dont on peut s’enorgueillir.
Or, depuis 10 ans, le resserrement des investissements qui y ont été consacrés, couplé à un alourdissement des normes et critères auxquels il est assujetti, a fait en sorte que le nombre de logements réalisés a connu une baisse constante. Malgré les efforts importants que le gouvernement actuel a dégagés dans son dernier budget, il est d’ores et déjà acquis que ce dernier ne sera pas en mesure de tenir son engagement de livrer la totalité des unités programmées mais non réalisées par ses prédécesseurs d’ici la fin de son mandat en octobre 2022.
Alors que le gouvernement s’apprête à dévoiler une nouvelle mouture du programme AccèsLogis, le lancement d’un grand chantier visant la réalisation d’au moins 5 000 nouveaux logements sociaux et communautaires annuellement s’impose plus que jamais. Le Québec a déjà démontré qu’il pouvait et savait le faire, vite et bien.
L’habitation sociale et communautaire, de propriété collective – incluant le logement sans but lucratif –, est un modèle éprouvé, qui offre en outre des garanties de pérennité et de protection à long terme des investissements publics qui y sont consacrés. Les logements de propriété collective, hors marché, sont ainsi soustraits à la spéculation et au phénomène de financiarisation du marché immobilier qui sont au cœur de la surchauffe que l’on connaît actuellement, dont les effets sont si néfastes sur l’abordabilité du logement.
Notre modèle se distingue de celui qui a été privilégié par le gouvernement fédéral dans le cadre de sa stratégie sur le logement. La majorité des programmes fédéraux financent des promoteurs à but lucratif qui ne sont tenus à des critères d’abordabilité que pour une période temporaire – et encore, peut-on vraiment parler d’abordabilité quand ces programmes considèrent qu’un logement loué à un loyer de 2 200$ par mois rencontre ce critère dans la grande région de Montréal? Clairement, le recours aux promoteurs à but lucratif pour réaliser et exploiter des logements abordables rate la cible. On l’a d’ailleurs vu, tout récemment, quand le Bureau d’enquête du Journal de Montréal a révélé que « des centaines d’unités dites “abordables” sont louées et revendues au prix fort, parfois par des proches des promoteurs » (Le Journal de Montréal, 13 août 2021).
Travailler à la réalisation du droit au logement, selon nous, va bien au-delà des enjeux partisans : c’est une responsabilité collective et pour notre part, nous ne souhaitons rien d’autre que de continuer à y contribuer. Moderniser le programme AccèsLogis et le réserver au logement social et communautaire; entreprendre un vaste chantier pour la construction de 5 000 nouveaux logements annuellement; et livrer enfin le programme découlant des contributions versées par les organismes au Fonds québécois d’habitation communautaire afin de préserver, rénover et renouveler le parc de logement social et communautaire existant : voilà trois objectifs éminemment rassembleurs que nous espérons vous voir poursuivre à l’occasion de cette rentrée parlementaire.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente, nous vous prions d’accepter, Monsieur le premier ministre, Madame et Messieurs les chef•fes des oppositions, nos plus sincères salutations.
André Castonguay Chantal Desfossés
Président Directrice générale
c.c. Madame Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation
Madame Marie-Claude Nichols, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’habitation
Monsieur Andrés Fontecilla, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de logement et d’habitation
Madame Véronique Hivon, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière d’habitation