5 mars 2012
Claudine Laurin, directrice générale. Fédération des OSBL d’habitation de Montréal
Nous ne pouvons parler de l’itinérance sans parler de la pauvreté et du système qui engendre cette dernière. La société civile ne peut donner une réponse satisfaisante sans un soutien important des politiques mises en place. Le mécénat ne peut pas, et ne doit pas, prendre la place de programmes sociaux. La distribution de la richesse relève d’une responsabilité de l’État.
En février 2008, il y a déjà quatre ans, un avis du comité consultatif de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale transmettait au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale un des plus révélateurs rapports sur l’appauvrissement des personnes et sur la responsabilité du système dans l’inflation de l’itinérance et de la pauvreté.
Des hausses tarifaires
Le rapport démontrait également comment les hausses tarifaires ne font que marginaliser et appauvrir davantage les personnes les plus démunies :
« Les hausses au niveau du transport et des coûts d’énergie atténuent les bénéfices des mesures gouvernementales visant à améliorer la situation des personnes. »
Des chèques qui ne couvrent pas le seuil des besoins impérieux et une pauvreté qui ne cesse d’augmenter
Le journal La Presse publiait le 14 mai 2011 :
« À Montréal, 17 % de la population vit seule, par rapport à 11 % ailleurs au Québec. Chez les personnes âgées, cette proportion atteint 36 %. Montréal compte aussi un tiers de familles monoparentales, bien plus qu’ailleurs au Québec, rapporte l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. »
Nous retrouvions également la déclaration de M. Asselin de l’Armée du Salut :
« Une personne seule reçoit environ 590 $ par mois d’aide sociale. Si elle doit payer 445 $ mensuellement pour son loyer, 22 $ pour le téléphone et 97 $ pour l’électricité, il ne lui reste que 26 $ par mois pour manger ».
Difficile, dans un tel contexte, de maintenir la tête hors de l’eau.
L’itinérance aux multiples visages
Il faut également considérer que l’itinérance revêt de multiples visages et qu’en ce sens, il s’agit là d’une problématique qui en appelle aux responsabilités partagées et qui, hélas, n’a pas toute l’attention qu’elle devrait avoir au sein de l’appareil gouvernemental. Mario Poirier, psychologue clinicien et professeur titulaire à la Téluq, souligne l’importance de ne pas voir l’itinérance sous l’unique lunette des problématiques de santé :
« En effet, le risque est alors de dissoudre la problématique complexe de l’itinérance dans d’autres problématiques (santé mentale, toxicomanie, criminalité) qui n’en expliquent en fin de compte ni les conduites particulières, ni les causes spécifiques , ni le sens social. En outre, il est difficile d’établir un lien causal : des problèmes de santé mentale peuvent précéder l’itinérance, mais ils peuvent aussi en être la conséquence, si on considère les impacts traumatiques du dénuement extrême et de la vie dans la rue. » 1
Et les institutions dans tout cela ?
Or, on ne peut passer sous silence l’échec lamentable des pratiques institutionnelles qui ne font que gonfler d’année en année le nombre de personnes à très grand risque d’itinérance.
Dans son mémoire (2008) concernant l’itinérance et déposé à la Commission des affaires sociales, le Protecteur du citoyen soulignait que l’étude des plaintes des citoyens en situation d’itinérance leur permettait d’affirmer que la majeure partie d’entre elles relevaient de facteurs de nature structurelle :
« 75 % des plaintes renvoient à des facteurs de nature structurelle, telle la crise du logement. La trajectoire d’au moins 31 % comporte des facteurs explicatifs de nature institutionnelle, comme le problème lié aux modes de transition vers la communauté. »
Or, nous constatons que depuis 1997, nous avons développé à Montréal, en ce qui concerne le programme AccèsLogis volet III, plus de 51,8 % de logements transitoires par rapport à 48,2 % de logements permanents.
Disons-le haut et fort : nous reconnaissons le besoin de logement transitoire pour certaines personnes. Cependant, il nous faut absolument maintenir l’équilibre entre le permanent et le transitoire si nous voulons être en mesure d’absorber les personnes au sortir du transitoire et ne pas les remettre en situation de précarité et répondre ainsi au problème de transition soulevé par le Protecteur du citoyen.
La disponibilité des logements permanents ne répond plus à la demande : seulement pour la FOHM, qui offre 200 logements pour personnes seules, il faut entre 3 ans et demi et 4 ans pour obtenir un studio. En 2005, ce délai était de 2 ans.
Doit-on voir le logement pour la santé ou le logement pour un droit ?
En conclusion, soulignons que de voir le logement social de plus en plus comme une réponse aux besoins de santé et non comme un droit citoyen ne va pas dans la bonne direction. Nous devons donc reconnaître le logement comme un droit pour tous et toutes, et ce, sans prendre en compte le diagnostic.
Nous ne pouvons plus agir avec des interventions temporaires à court ou même moyen terme, il nous faut faire place à des interventions structurantes garanties par le maintien d’un rythme de construction de logements permanents. Il est certain que sans logement social et communautaire, la question de l’itinérance restera sans réponse véritable, mais qu’à ces constructions, il faut également voir à une meilleure redistribution de la richesse, à l’augmentation des chèques d’aide sociale, etc. N’oublions pas d’ajouter à ces projets d’AccèsLogis, tout le volet de soutien communautaire, non pas par diagnostic, mais bien comme pratique maximisant la stabilité résidentielle et l’appropriation de l’habitat et l’habiter. Malheureusement, quoique le soutien communautaire ait fait l’objet d’un cadre de référence, nous sommes toujours en attente d’une réelle enveloppe destinée au financement du soutien communautaire, indispensable au volet III.
1. Revue Érudit, Mario Poirier « L’inquiétante étrangeté de l’itinérance » Raymond Hacheyet Yves Lecompte, Santé mentale au Québec,volume 25,no. 2, 2000, p.9-20.