6 juin 2022

Plaidoyer en faveur de l’habitation sociale et communautaire

L’annonce du nouveau Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), qui fait place aux promoteurs immobiliers privés en matière de construction de logements sociaux, a soulevé de nombreuses inquiétudes de la part du milieu des OSBL et des coopératives d’habitation.

Notons qu’il n’y a pas réellement eu de consultation du milieu, alors que les groupes de ressources techniques (GRT) détiennent l’expertise terrain depuis des dizaines d’années en matière de construction de ce type d’habitation. Nous avons ainsi assisté à une véritable consternation des associations et des fédérations œuvrant dans le domaine de l’habitation, qui travaillaient de concert avec la Société d’habitation du Québec (SHQ) à la refonte d’AccèsLogis, un programme phare que le monde entier nous envie.

Devant la hausse des prix du marché et le manque de financement étatique, le modèle québécois, par sa mobilisation citoyenne et associative entourant l’habitation sociale s’est répandu afin de répondre aux besoins sociaux1.

Le logement communautaire est une branche du logement social qui défend le droit au logement. Il n’est donc pas question de louer un logement abordable ou subventionné, mais plutôt d’habiter un logement de qualité, qui est à la fois accessible, sécuritaire et de taille suffisante pour les ménages. Au-delà de la dimension physique et matérielle, le logement communautaire répond aux critères de l’économie sociale. Ainsi, en plus du fonctionnement démocratique, la mission organisationnelle doit répondre à un enjeu de société ; les profits sont distribués au sein de la collectivité et la participation de ses membres constitue un incontournable pour dynamiser leur milieu de vie, mais aussi pour contribuer au développement de la communauté.

Dans le PHAQ, la notion d’abordabilité est complètement déformée, puisque basée sur le prix médian des loyers dans une région donnée. Or, nous savons que ces prix sont très élevés par les temps qui courent. Pire, dans le cas où le prix médian est jugé insuffisant, ce montant est majoré, afin d’assurer une rentabilité !

Le modèle de l’habitation sociale et communautaire s’inscrit, pour sa part, hors du marché spéculatif. Il est ancré dans une logique de justice sociale. En dépit de la disparité du pourcentage des subventions gouvernementales octroyées par le PHAQ, le secteur privé a plus de moyens à sa disposition pour répondre aux appels d’offres et pour avancer les sommes nécessaires à la réalisation de projets d’habitation. Les OSBL d’habitation doivent, quant à eux, s’engager pour la durée totale de la convention d’exploitation afin d’assurer leur concrétisation.

Nous croyons donc que la solution proposée par le gouvernement n’est pas pérenne si les promoteurs ne s’engagent pas à long terme. Il leur suffirait, après quelques années, de payer une pénalité pour hausser le prix des loyers. Cela nous fait dire que le nouveau programme ne s’adresse pas à la population visée. Qui plus est, le PHAQ ne contient aucun objectif chiffré en matière de construction d’habitation sociale et communautaire.

Un autre élément incontournable de la vitalité du modèle du logement communautaire réside dans l’apport du soutien communautaire en logement, une notion complètement délaissée par le PHAQ, qui comporte de nombreux avantages sur la vie des locataires, notamment en ce qui a trait à la stabilité résidentielle, à l’accompagnement et à la dynamisation des milieux de vie.

Il y a maintenant plus d’une trentaine d’années que des groupes qui œuvrent auprès de populations ayant des besoins particuliers revendiquent du soutien pour que ces personnes s’intègrent en logement, mais aussi en arrivent à la stabilité résidentielle. Il s’agit donc d’une vision à la fois innovante et collective pour pallier l’absence de ressource adaptée. Plusieurs événements publics et discussions citoyennes ont été menés avant que l’on reconnaisse le soutien communautaire par un cadre de référence en 2007.

Ces études de diverses réalisations d’économie sociale dans le secteur de l’habitat nous révèlent qu’un logement n’est pas qu’un toit, un abri, mais constitue un lieu de construction du social, tant par les liens sociaux de proximité que par les rapports avec l’environnement et entre les divers acteurs sociaux2.

L’habitation sociale et communautaire favorise la mixité sociale et l’inclusion, évitant ainsi le phénomène d’étalement urbain. La revitalisation d’un quartier est précédée d’une désapprobation citoyenne, qu’il soit question de mode de vie marginalisé ou d’une mobilisation concertée entourant la gentrification d’un centre urbain. Le milieu est accompagné d’une vision d’empowerment communautaire pour se réapproprier collectivement l’habitat grâce à un consortium d’acteurs sociaux allant au-delà du secteur public.

Les organismes sans but lucratif (OSBL), les coopératives d’habitation et de solidarité, les groupes de ressources techniques (GRT) et autres associations issues de l’économie sociale prévoient la construction de logements permanents et temporaires avec services pour personnes ayant des besoins spéciaux. À contrario, dans le PHAQ, les logements ne sont même pas adaptés d’emblée. Les frais d’adaptation doivent être assumés par les locataires, ce qui nous paraît absolument illogique et injuste.

Une célèbre citation de Francis Blanche nous rappelle qu’il « vaut mieux penser le changement que changer le pansement ». Les différentes instances gouvernementales, dont la SHQ, les municipalités et les différents partenaires en habitation devront ainsi poursuivre les discussions et trouver une entente afin de reconnaître le modèle du logement communautaire québécois, qui a su faire ses preuves au fil des ans.

Nous réclamons donc aujourd’hui la protection du modèle de l’habitation sociale et communautaire. Le gouvernement québécois doit se doter d’un plan d’action ambitieux pour assurer la construction annuelle de 10 000 logements sociaux, afin de répondre aux besoins impérieux des ménages québécois. Il faut freiner leur appauvrissement et protéger nos acquis sociaux. Tout le monde a le droit d’être décemment logé. Faisons-en un projet de société ; c’est une question de dignité.

Katia Brien-Simard et Johanne Gadbois,
Fédération des OSBL d’habitation de l’Outaouais


1. Boucher, J., B. (2007). Habitat et innovation sociale : croisement entre économie sociale, mouvements sociaux et bien publique. Dans Économie et Solidarités, Presses de l’Université du Québec (68-93).
2. Ibid., p. 88.