L’adoption du Plan d’action interministériel en itinérance 2015- 2020 est sans doute à mettre à l’actif du gouvernement de M. Philippe Couillard. Cependant l’impact des dispositions mises de l’avant s’est vu diminué par des mesures d’austérité touchant au premier chef les personnes que l’on devait soutenir et les organismes qui les épaulent. Un bilan est nécessaire pour que la lutte à l’itinérance reparte sur des bases saines.
L’austérité a fait mal au filet social qui pouvait encore éviter à des personnes de se retrouver à la rue. Les prestations d’aide sociale permettent à peine de couvrir la moitié des besoins de base, comme se loger, se nourrir, se vêtir et se déplacer. Les dernières réformes de l’aide sociale, dont l’instauration du Programme Objectif Emploi, tendent à rendre cette aide de dernier recours toujours plus conditionnelle et insuffisante. Trop peu de logements sociaux sont construits chaque année, alors que quelque 40 000 ménages locataires sont en attente d’un HLM, souvent depuis plusieurs années.
Québec ne budgète que 3000 nouveaux logements sociaux par année, et ce, après en avoir budgété seulement 1500 durant deux années consécutives. En raison de l’insuffisance du financement accordé, ce sont moins du tiers qui se réalisent. Pour leur part, les prestations de retraite ne permettent pas de sortir de la pauvreté, surtout pour les femmes qui comptent plus de périodes passées en dehors du marché du travail.
Lorsque le filet social permet à certaines personnes de « sortir la tête de l’eau », c’est souvent pour les propulser dans un monde où le « tout au marché » met à mal les ressources disponibles. Récemment, une enquête de la Direction régionale de santé publique de Montréal et de la Direction de l’habitation de la Ville de Montréal ont levé le voile sur la situation peu enviable de nombreux chambreurs dans la métropole : présence généralisée de punaises, de coquerelles, problèmes d’humidité ou d’infiltration, rongeurs, moisissures apparentes, etc.
Pourtant, des ressources sont nécessaires ! Selon le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes (RAPSIM), « le nombre de nuitées d’occupation des ressources d’hébergement pour hommes a crû de plus de 12 % l’an dernier passant de 205 000 à plus 230 000 ». Le 13 septembre 2018, en entrevue à TVA, Ann-Gaël Whiteman, coordonnatrice de la Maison Jacqueline, expliquait que «[dans] les centres de jour [de Montréal], au mois d’août on a eu à peu près 1400 présences. Au mois de juillet, on a eu presque 690 demandes de lit d’urgence, et on a été obligé de faire 380 refus par manque de place».
C’était pourtant prévisible. Déjà en décembre 2016, une coalition de groupes composée du Réseau solidarité itinérance du Québec (RSIQ), la Table régionale des organismes communautaires et bénévoles de la Montérégie (TROC-M) et le Regroupement des Auberges du cœur du Québec (RACQ) estimait qu’aucune des mesures phares du Plan d’action ne trouve d’écho sur le terrain : construction de logements sociaux en déclin, réseau de la santé et des services sociaux en état de choc et, au lieu d’une stabilisation du revenu des personnes pauvres, des mesures d’austérité ouvrant la porte à encore plus de détresse et de précarité.
Mais le coup de barre demandé n’est jamais venu.
Dans le cadre de la campagne électorale de l’automne 2018, aucun des principaux partis politiques n’ont pris d’engagements pour faire reculer l’itinérance. La Politique nationale de lutte à l’itinérance, avec son approche généraliste caractérisée par une variété de réponses à des situations complexes, rencontre encore pourtant l’adhésion des organismes œuvrant dans le milieu. Cependant il faut lui donner les moyens d’atteindre ses objectifs. Aujourd’hui que l’engagement fédéral (avec « Vers un chez-soi », qui remplace la SPLI) est renforcé et que son élargissement à des approches plus généralistes est possible, il appartient à Québec de mettre tout en œuvre pour le succès de son Plan d’action interministériel en itinérance : relancer la construction de logements sociaux, stabiliser les actions du réseau de la santé et des services sociaux et mettre en place des mesures pour atténuer ou éliminer la détresse et la précarité des personnes les plus pauvres.