1 septembre 2018
Prendre de l’expansion, récupérer un bâtiment ou en construire de nouveaux pour loger davantage de ménages, contribuer ainsi à la revitalisation du quartier sans encourager son embourgeoisement ? Pas facile, certes, mais pas impossible non plus ! SOLIDES à Châteauguay, la SHAPEM dans l’est et Inter-Loge dans le Centre-Sud de Montréal offrent des exemples de réussite qui peuvent servir d’inspiration.
La question de la « deuxième phase », ou même de la troisième et plus, a attiré beaucoup de monde au colloque tenu à Québec en avril 2018. Le RQOH avait invité les représentants de ces trois OSBL à partager leur expérience. François Giguère, directeur de SOLIDES, avait bien identifié le contexte de la discussion. Les éléments qui favorisent le développement de nouveaux logements à partir de structures existantes sont : « La fin des conventions d’exploitation et le potentiel de développement qui existe dans l’équité des immeubles et les indices voulant que la SHQ ne favorise pas l’ajout de nouveaux organismes; les réflexions en cours par certains OBNL développeurs autour de l’idée d’accroître leurs parcs de logements et finalement l’idée que “la mission ce n’est pas un immeuble, mais la réponse à des besoins”. »
Bref, tant qu’il y a des besoins dans la communauté et dans la mesure où un groupe a les reins assez solides, une nouvelle phase de développement devrait au moins être envisagée. Au moment où plusieurs groupes sont tentés par l’aventure, Le Réseau revient sur les faits saillants d’une discussion qui peut éclairer les choix à venir.
Fondé en 2000, SOLIDES est un organisme communautaire dont la mission est d’acheter des immeubles de logements et d’en assurer un entretien maximal en maintenant les loyers au plus bas. Le parc immobilier de SOLIDES est actuellement composé de 460 logements, dans 36 immeubles, sur 18 sites localisés dans deux villes : Châteauguay et Longueuil. L’OSBL d’habitation est le deuxième plus important propriétaire immobilier résidentiel de Châteauguay. Si la plupart des immeubles ont été acquis sans programme gouvernemental, d’autres l’ont été dans le cadre du programme AccèsLogis.
« Notre parc immobilier vaut actuellement environ 28 millions, alors qu’on a commencé il y a vingt ans avec seulement 50 $, raconte François Giguère. C’est finalement la Ville de Châteauguay qui nous a soutenus, en garantissant 25 % de l’hypothèque de notre premier immeuble. »
À l’époque de la création de SOLIDES, ajoute-t-il, « on s’inquiétait de la disparition d’AccèsLogis et donc de l’avenir du logement social et communautaire au Québec. Nous voulions donc créer un organisme qui nous permette de développer hors programme. De plus, construire dans le cadre de ce programme est exigeant : la contribution du milieu n’était pas acquise à Châteauguay, une ville de 45 000 personnes avec seulement 4000 ménages locataires. »
Bien sûr, il faut savoir naviguer entre les écueils. « Nous sommes en présence de plusieurs types d’immeubles, de gestion, de procédures de sélection des locataires, de contraintes financières et réglementaires, parfois dans un contexte totalement “privé”, parfois avec les règles de la SHQ ».
Les modes de développement et financement varient également selon les circonstances : du financement à l’achat à 100 % du coût et deux garanties de prêts (hypothèque et municipalité) au recours aux programmes gouvernementaux en passant par l’utilisation de l’équité et le financement bancaire ou encore le financement privé avec rendement. « Oui, cette “diversité des tactiques” présente évidement des défis, de conclure M. Giguère, mais il y a également de nombreux avantages ».
« Avoir deux modes de gestion double le nombre de contraintes, mais l’interfinancement et la flexibilité, c’est aussi l’occasion d’annuler ces contraintes. On ne peut pas refinancer un projet AccèsLogis (ACL) pour effectuer des travaux urgents, mais on peut refinancer un immeuble privé pour financer des travaux sur l’ACL. Cependant, le niveau de garantie financière des ACL, la qualité relative des logements et le nombre élevé de programmes de soutien au loyer (PSL) sont des éléments stabilisateurs sur l’ensemble. Les logements privés sont moins rénovés que les ACL, par contre ils ont une structure de loyer moins élevée. »
La Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal (la SHAPEM) est un OBNL d’habitation et une société d’habitation et de développement local fondée en 1988 par Jean-Pierre Racette – qui en est encore le directeur général. S’étant donné la mission de « participer à la revitalisation et à la dynamisation urbaine et sociale au bénéfice de la communauté », elle collabore avec le milieu, « pour et avec la population locale », dit son directeur, pour réaliser des projets d’habitation et des projets immobiliers.
L’objectif principal de l’organisme est d’acquérir le maximum de logements pour les retirer à long terme du marché et les offrir aux ménages à faible et moyen revenu. Cet objectif se décline en trois champs d’action : l’acquisition d’immeubles résidentiels ; la gestion d’immeubles résidentiels pour des tiers sans but lucratif ; la recherche-développement-expérimentation, à partir du parc immobilier, avec de très nombreux partenaires (plusieurs dizaines).
Aujourd’hui, le parc immobilier de la SHAPEM est composé de 1 657 logements : 870 logements en propriété représentant un actif d’environ 83 M$ et 787 logements en gestion représentant un actif d’environ 72 M$. Des 870 logements en propriété, 325 (37,4%) ont été financés en dehors des programmes gouvernementaux.
En atelier, Jean-Pierre Racette donne quelques ingrédients de la recette. « Nous nous démarquons par une approche financière innovante allant au-delà des programmes gouvernementaux : fonds de capital de risque à vocation sociale, financement sympathique à la mission (communautés religieuses, fondations, donateurs…). »
La SHAPEM, c’est aussi, selon son fondateur, « une plus grande flexibilité dans les opérations immobilières avec différentes formes de financement pour l’acquisition parfois jumelée avec des mandats de gestion à long terme, SHDM ou coopératives ». La capacité d’autofinancement à partir du refinancement des immeubles hors programmes gouvernementaux permet de conjuguer les efforts d’acquisition dans des opérations immobilières, difficiles et à risque, comme l’îlot Pelletier à Montréal-Nord.
La complexité immense venant avec la croissance du parc immobilier ne vient pas sans défis. Jean-Pierre Racette en nomme deux : « La nécessité de développer une expertise qui restera à long terme avec une capacité financière limitée pour conserver cette expertise, et la préparation d’une relève dans un processus de professionnalisation, tant au niveau de la direction générale que du conseil d’administration, et cela, sans perdre l’âme de l’organisation. »
Autre « gros joueur » du secteur, Inter-Loge se décrit d’abord et avant tout comme une entreprise d’économie sociale. La mission de l’organisme est de « procurer des logements de qualité à prix abordable aux ménages à faible et modeste revenu tout en contribuant à la revitalisation socio-économique des quartiers ainsi qu’à l’amélioration de la qualité de vie des individus et des familles ».
C’est en 1978, il y a quarante ans, qu’Inter-Loge a commencé ses activités en achetant des immeubles et en louant des logements à des clientèles à faibles revenus. « L’objectif initial était la rétrocession progressive des logements sous forme de propriété collective, comme des coopératives et des OSBL d’habitation », explique en présentation Louis Bériau, directeur du développement et des communications. « Cependant, avec le temps, Inter-Loge a consolidé son parc immobilier. » Aujourd’hui, ce sont 729 logements et 28 locaux répartis dans 53 édifices sis dans 5 arrondissements de Montréal et à Sainte-Adèle. Parmi ces logements, pas moins de 300 ont été réalisés hors programmes !
Développer pour quelles raisons ? Pour répondre à quels problèmes, à quelles préoccupations ? Pour accueillir quelles clientèles ? Avec quelles incidences sur l’organisation et sur la vie dans la communauté ? Voilà, selon Louis Bériau, les questions auxquelles il faut répondre avant de mobiliser les ressources humaines, organisationnelles et financières nécessaires à la réalisation d’un nouveau projet.
Outre les organismes du milieu, Inter-Loge collabore étroitement avec les groupes de ressources techniques, les professionnels comme les architectes, les ingénieurs, les notaires et évaluateurs et bien sûr avec les prêteurs et bailleurs de fonds. À Montréal, les arrondissements, la municipalité et les autres instances locales peuvent jouer un rôle de premier plan.