2 février 2016

Le RQOH devant la Commission populaire pour l’action communautaire autonome

Mémoire présenté le 2 février 2016 par le RQOH aux audiences nationales de la Commission populaire pour l’action communautaire autonome (ACA).


Le RQOH forme, depuis 15 ans, un réseau solidaire dont la mission est de rassembler, soutenir et représenter la communauté des OSBL d’habitation (OSBL-H) québécoise. Par ses actions, il vise à favoriser le développement et la pérennité des OSBL d’habitation, la reconnaissance du droit au logement, de même que l’accessibilité au logement social de qualité.

Les 50 000 logements en OSBL du Québec sont partagés entre 1 200 organismes. Ceux-ci sont organisés au sein de huit fédérations régionales, toutes affiliées au RQOH. Plus de 10 000 personnes sont actives à titre bénévole d’une façon ou d’une autre dans ce réseau qui compte également sur la participation d’au moins 6 500 salariés.

Les différents indicateurs socio-économico-sanitaires définissent nos locataires comme parmi les individus les plus vulnérables de la société québécoise en général. Les valeurs de justice sociale, de démocratie, de solidarité et d’autonomie guident les actions, les orientations et les prises de position du RQOH. Notre travail est encadré par une approche mobilisatrice et participative impliquant toutes les composantes et instances du mouvement : OSBL, fédérations, conseils d’administration, comités de travail, bénévoles et salariés.

Notre financement provient principalement de diverses contributions faites par les OSBL d’habitation et des bénéfices associés à son offre de services aux fédérations régionales et aux OSBL-H locaux. Le RQOH et ses fédérations bénéficient également du Programme d’aide aux organismes communautaires (PAOC).

1. Quels sont les impacts positifs des interventions de votre organisme auprès de vos membres et de la population ?

S’adressant à une clientèle à faible, voire très faible revenu, les quelque 50 000 logements offerts par les OSBL d’habitation sur l’ensemble du territoire québécois répondent à des besoins variés : familles, aînés autonomes ou en légère perte d’autonomie, personnes ayant des besoins particuliers (en situation ou à risque d’itinérance, ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, victimes de violence conjugale, etc.). Les ménages qui y habitent bénéficient d’un logement abordable et de qualité. Pour l’immense majorité d’entre eux, le taux d’effort – la proportion de leurs revenus consacrée aux dépenses de logement – qui leur est imparti est inférieur à la norme généralement reconnue pour évaluer l’abordabilité du logement (30 %).

Pour une frange importante des ménages à faible revenu, le logement constitue l’élément majeur des dépenses. La diminution du coût du logement a donc un impact direct sur leur capacité à sortir de la pauvreté.
Les impacts économiques et sociaux du logement social et communautaire ont été mesurés dans deux études réalisées respectivement en 2011 et en 2013 pour la Société d’habitation du Québec (SHQ), qui administre le seul programme (AccèsLogis) qui permet encore le développement de nouvelles unités au Québec.1 Parmi ces impacts, on relève tout particulièrement ceux-ci :

  • une augmentation du revenu disponible pour se procurer d’autres biens essentiels de l’ordre de 1 800 $ par année et par ménage (ce qui se traduit principalement par l’accès à une alimentation de meilleure qualité) ;
  • la création d’un environnement de vie propice à l’insertion sociale et professionnelle ;
  • l’amélioration de la réussite scolaire des enfants par la stabilité résidentielle ;
  • la réduction des inégalités socio-économiques et une déconcentration de la pauvreté dans les quartiers et communautés ;
  • une réduction de l’utilisation des services publics évaluée à plus de 129 millions $ annuellement.

Une comparaison des revenus d’emploi des ménages qui bénéficient d’un logement social et de ceux qui sont en attente d’un tel logement indique ainsi que plus les locataires d’un logement social y habitent depuis longtemps, plus ils sont nombreux, proportionnellement, à avoir comme revenu principal des revenus d’emploi. De toute évidence, la stabilité et l’amélioration des conditions économiques qui découlent de l’accès au logement social créent des conditions plus favorables à l’épanouissement des personnes en difficulté.

Le modèle qui caractérise les OSBL d’habitation inclut en outre des pratiques de soutien communautaire éprouvées, dont la pertinence fut reconnue en 2007 par l’adoption d’un cadre de référence intersectoriel et interministériel. Le soutien communautaire en logement social offre un ensemble d’actions et des possibilités d’accompagnement variées aux personnes en situation de vulnérabilité ou à risque de le devenir. Une enquête réalisée à l’été 2015 par la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal 2 a démontré une fois de plus l’efficacité de cette formule pour favoriser la stabilité résidentielle. Sur les 1 777 locataires visés par cette enquête, plus de 55 % sont en effet stabilisés en logement depuis plus de trois ans et 20 % le sont depuis plus de 10 ans.

Outre les représentations politiques que nous effectuons pour défendre et promouvoir le logement social et communautaire, le RQOH soutient quotidiennement l’activité des huit fédérations régionales qui en font partie – qui elles-mêmes conseillent et appuient les OSBL d’habitation locaux – en leur offrant des services de formation, des services-conseils et techniques et des programmes (assurance habitation, achats groupés, etc.) qui leur permettent de bénéficier de meilleures conditions auprès de divers fournisseurs.

Les fédérations régionales aident notamment leurs membres à dynamiser leur vie démocratique et associative, répondent à leurs besoins de formation, offrent des services de gestion, d’évaluation de l’état des bâtiments et de suivi des travaux, et elles coordonnent les interventions en soutien communautaire.

Au total, l’action du RQOH et de ses fédérations contribue à la pérennisation et au développement du parc de logement social et communautaire et ce faisant, à la réalisation du droit au logement.

2. Quels sont les impacts du sous-financement du gouvernement du Québec pour la réalisation de votre mission ?

Comme nous l’avons mentionné en introduction, le financement du RQOH provient principalement de diverses contributions faites par les OSBL d’habitation et des bénéfices associés à son offre de services aux fédérations régionales et aux OSBL-H locaux. Il en est de même pour nos fédérations membres.

Grosso modo, environ 40 % de notre financement provient d’une « contribution au secteur » perçue par la Société d’habitation du Québec sur le coût de réalisation des nouveaux projets de logement communautaire. Il s’agit donc d’un financement incertain, qui fluctue chaque année en fonction du nombre de projets effectivement réalisés. La variation annuelle des sommes qui nous sont remises peut s’avérer importante et rend plus difficile la planification à long terme de nos activités. Nous sommes ni plus ni moins à la merci du niveau de programmation alloué au programme AccèsLogis, fixé annuellement dans le budget du gouvernement québécois.

Ainsi, la coupure annoncée dans le programme AccèsLogis à l’occasion du budget 2015-2016 (sur laquelle nous reviendrons plus loin), dont le financement est passé de 252 millions $ à 126 millions $, aura un impact considérable sur notre budget de fonctionnement d’ici deux ou trois ans, c.-à-d. au terme de la réalisation des projets qui seront issus de cette année de programmation.

Quant au financement de notre mission de base, le RQOH et ses fédérations bénéficient du Programme d’aide aux organismes communautaires (PAOC), également administré par la SHQ. Ce programme se propose d’offrir une aide financière aux organismes qui mettent en place des services, des activités ou des projets favorisant l’amélioration des conditions d’habitation. Il comporte un volet de soutien à la mission globale et un volet de soutien aux projets ponctuels.

Jusqu’à l’an dernier, nous recevions à tous les ans un montant de 52 500 $ en vertu du premier volet, par ailleurs non indexé et bien en-deçà du « seuil plancher » recommandé pour un regrou-pement national. Or, il y a quelques semaines, on nous a informé d’une réduction de 14 % de notre subvention pour l’année 2015-2016 ; cela, sans qu’aucun signe avant-coureur nous en ait été donné ni discussion sur l’impact que cela aura sur nos activités. Il en est de même pour nos fédérations régionales, dont la subvention annuelle ne s’établissait pourtant jusque-là qu’à 21 800 $. Cela, alors que les enjeux à propos desquels nous sommes appelés à intervenir se multiplient et se complexifient, dans le contexte de la révision des programmes à Québec et celui de l’arrivée à terme des accords d’exploitation des OSBL d’habitation ayant été financés à l’aide des anciens programmes fédéraux.

3. Outre la question du financement, quelles sont les embûches qui vous empêchent de mener à bien votre mission ?

Le contexte actuel de révision des programmes et d’austérité crée un climat d’incertitude et freine le développement de nouveaux projets de logement social. Il en est de même avec l’arrivée à terme des accords d’exploitation des projets du parc de logement social et communautaire fédéral. La fin du financement fédéral et du soutien apporté par la Société canadienne d’hypothèques et de logement a obligé et force encore le réseau à consacrer une partie importante de ses énergies à la préservation des projets existants, parfois aux dépens du développement de nouveaux projets. À cet égard, nous souhaitons vivement que le « changement de garde » qui vient de s’opérer à Ottawa se traduira par un réinvestissement majeur en faveur du logement social.

Le manque de soutien au logement social et communautaire se traduit aussi trop souvent par des incohérences entre les divers intervenants (ministères, sociétés d’État, agences gouvernemen-tales…) dont les décisions ont un impact, à un titre ou un autre, sur les projets de logement existants ou en développement. Comme exploitants d’immeubles d’habitation à caractère collectif, les OSBL d’habitation sont soumis à une multitude de normes, de règlements et d’autorités chargées de veiller à leur respect (en plus de celles qui découlent de leur convention d’exploitation) : normes de construction et d’exploitation des bâtiments, de certification des résidences pour aînés, réglementation municipale, etc.

Bien des décisions sont prises et des règlements mis en oeuvre sans qu’on tienne compte des caractéristiques particulières des OSBL d’habitation (caractère sans but lucratif, mode d’organi-sation collectif basé sur la participation citoyenne, clientèle en situation ou à haut risque de vulnérabilité…) ni de leur impact sur les coûts d’exploitation des projets, qui finissent inévitable-ment par devoir être reportés sur le coût des loyers de ménages par ailleurs à faible revenu.

Un changement de culture s’impose pour assurer une plus grande cohérence à cet égard ; les bénéfices du logement social et communautaire doivent être reconnus à tous les niveaux.

4. Avez-vous identifié des impacts liés au contexte d’austérité sur votre organisme, sur vos membres, sur votre communauté ? Si oui, lesquels ?

Il nous faut absolument traiter, ici, des coupures qui ont été imposées l’an dernier au programme AccèsLogis, et tout autant de l’incertitude qui plane sur l’avenir des interventions gouverne-mentales en faveur du logement social.

Il faut savoir qu’en dépit des efforts qui ont été consacrés depuis son lancement en 1997 (au 31 mars 2015, ce sont près de 27 000 logements communautaires qui avaient été livrés dans le cadre de ce programme), les besoins des ménages à faible revenu demeurent criants.

D’après l’Indice du logement locatif canadien, 37 % des ménages locataires québécois consacrent plus de 30 % de leur revenu au paiement du loyer et 17 % y consacrent plus de la moitié, ce qui les place littéralement en situation de crise. On parle ici de près de 500 000 ménages dont le taux d’effort les empêche de subvenir adéquatement à leurs autres besoins essentiels.

Dans un récent avis dans lequel il s’est plus particulièrement intéressé à la situation des ménages à faible revenu 3, le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion rapporte qu’en 2010, ceux-ci consacraient en moyenne 60 % de leur revenu au loyer ; pire encore, lorsqu’on isole parmi eux les personnes seules, cette moyenne atteint 75 %.

À défaut d’une intervention vigoureuse, la situation d’une absolue précarité vécue par ces personnes n’est pas près de s’améliorer. Les données recueillies dans le cadre de l’Enquête nationale auprès des ménages menée par Statistique Canada indiquent au contraire que le prix des loyers augmente plus vite que le revenu des personnes. Entre 2006 et 2011, le loyer médian a en effet augmenté de 14 % au Québec, alors que la hausse du revenu médian des locataires a été à peine supérieure à 9 % pour la même période.4

Autre indice de la persistance des besoins en matière de logement décent et abordable, le nombre de ménages en attente d’un logement à loyer modique oscille bon an mal an entre 37 000 et 38 000 à l’échelle de la province et se maintient à ce niveau depuis une bonne quinzaine d’années, en dépit des unités supplémentaires qui ont été développées. Pour les ménages qui se trouvent sur la liste – et dont les besoins sont d’emblée jugés impérieux – le délai d’attente était d’un peu moins de quatre ans en 2011 (46,7 mois) et dépassait les cinq ans dans la seule région de Montréal.5

C’est dans ce contexte que le seul programme qui permet actuellement le développement de nouvelles unités de logement social au Québec a été coupé de moitié ! La programmation annuelle de nouvelles unités est donc passée de 3 000 à seulement 1 500 pour l’ensemble du Québec. Justifiée comme toutes les autres mesures d’austérité par la nécessité de « rétablir l’équilibre budgétaire », cette décision nous est apparue clairement inacceptable et totalement inéquitable.

La réduction de 126 millions $ du budget d’AccèsLogis représente en effet près de 5 % (4,7 %, plus précisément) de « l’effort d’austérité » global exigé des contribuables et des diverses missions de l’État québécois, alors que ce programme ne représentait qu’à peine 0,256 % des dépenses de l’État en 2014-2015.6 On a donc imposé à AccèsLogis – et ce faisant, aux dizaines de milliers de ménages en attente d’un logement abordable – un sacrifice 18 fois supérieur à son poids budgétaire réel !

Parallèlement, le gouvernement Couillard a annoncé l’introduction du programme de Supplément au loyer privé (PSL) pour compenser partiellement la réduction du nombre de nouveaux logements sociaux pour quelque 1 000 locataires, qui bénéficieront d’une aide temporaire pour le paiement de leur loyer sur le marché privé.

Cette approche comporte pourtant de nombreuses failles et elle entraînera vraisemblablement des effets insidieux. Le coût des loyers étant plus élevé sur le marché privé et porté à augmenter plus rapidement au fil des ans, le coût d’un supplément au loyer y est significativement plus élevé que dans le secteur sans but lucratif. De plus, le supplément au loyer n’offre qu’une aide temporaire d’une durée maximale de cinq ans, contrairement au logement social et communautaire qui apporte une solution pérenne au problème d’accès à un logement décent et abordable.

Dans les juridictions qui ont implanté des programmes de ce type, on a par ailleurs constaté qu’ils créent une pression à la hausse des loyers sur le marché privé. Enfin, le supplément au loyer privé est loin d’offrir les mêmes possibilités d’accompagnement et de soutien que le logement commu-nautaire, dont le cadre collectif et démocratique favorise la mise en oeuvre de ces pratiques.

Le frein apposé par le gouvernement Couillard au développement du logement social aura un impact négatif certain et direct sur les centaines de milliers de mal-logés, mais il affectera aussi les milieux et les communautés qui bénéficient des retombées sociales et économiques reconnues des interventions en logement social.

5. Selon vous, quels sont les principaux enjeux pour votre organisme, votre secteur, votre région, l’ensemble du mouvement d’ACA dans les prochaines années ?

Difficile de répondre à cette question, étant donné sa « vastitude » et l’ampleur des défis auxquels le mouvement communautaire dans son ensemble est confronté : nécessité d’augmenter et de diversifier le financement des organismes, de préserver l’autonomie du mouvement, d’améliorer sa capacité d’action et d’initiative, de faire obstacle aux nouvelles règles sur le lobbyisme, de faire progresser de façon urgente et importante la lutte à la pauvreté, et certes de créer des solidarités et des alliances plus larges et plus fortes…

Quant à nous, la poursuite, voire l’intensification des interventions gouvernementales en faveur du logement social et communautaire nous apparaît essentielle dans une optique de justice sociale et de reconnaissance des droits économiques et sociaux. À très court terme, il y a donc un enjeu certain à ce que dès le prochain budget, le gouvernement québécois manifeste concrètement son intention de reprendre ses investissements dans le logement social, sous une forme et à un niveau qui permettront de répondre aux besoins du plus grand nombre.

Le Réseau québécois des OSBL d’habitation

Le 2 février 2016

 

NOTES :
1 AECOM Aménagement, Environnement et Ressources, (2011), Étude d’impacts des activités de la Société d’habitation du Québec, p. 28. http://www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/internet/publications/0000021371.pdf ; et (2013), Étude sur les impacts sociaux des activités de la Société d’habitation du Québec : rapport final, p. 4. http://www.habitation.gouv.qc.ca/ fileadmin/internet/publications/0000022972.pdf
2 Fédération des OSBL d’habitation de Montréal, (2015), Du Chez-Soi au Chez-Nous : résultats d’une enquête sur la stabilité résidentielle dans les OSBL-H dédiés aux personnes sortant de l’itinérance. http://fohm.rqoh.com/du-chez-soi-au-chez-nous-2/
3 Lechaume, Aline, Savard, Frédéric, (2015), Avis sur la mesure de l’exclusion sociale associée à la pauvreté : des indicateurs à suivre, Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE), Gouvernement du Québec, p. 14. http://www.mess.gouv.qc.ca/ publications/pdf/CEPE_2015_Indicateurs_exclusion_sociale.pdf
4 Front d’action populaire en réaménagement urbain, (2014), Dossier noir – Logement et pauvreté, p. 3. http://www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2014/09/Dossier-noir-2014VF_web.pdf
5 Isabelle Porter, « HLM : près de 40 000 personnes sur les listes d’attente au Québec », Le Devoir, 4 août 2014. http://www.ledevoir.com/politique/quebec/415075/hlm-pres-de-40-000-personnes-sur-les-listes-d-attente-au-quebec
6 Ce que nous appelons « effort d’austérité » est la différence entre le déficit affiché au terme de l’année financière 2014-2015 (soit 1,097 milliard $) et le surplus projeté à la suite des mesures adoptées dans le budget 2015-2016 (soit 1,586 milliard $).

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