11 août 2016

Habitat III : La conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable.

La Conférence Habitat III, qui se tient à Quito (Équateur) du 17 au 20 octobre 2016, regroupera des gouvernements ainsi que des représentants de la société civile d’environ 200 pays. Son objectif de promouvoir une « ville équitable et inclusive proposant un développement économique accessible » se bute sur des obstacles de taille, au moment où les inégalités engendrées par le modèle actuel de développement entraînent de nouvelles fractures et accentuent celles qui existent déjà et que l’on fait face à l’épuisement des ressources naturelles et au changement climatique. La question du logement sera au cœur des débats, alors qu’un tiers de la population urbaine habite dans des « bidonvilles » et que, dans les pays du Nord (dont le Canada), des millions de personnes peinent à se loger convenablement. À l’issue de la Conférence, une Déclaration sera adoptée par les États membres.

De la suite dans les idées

En se penchant quelque peu sérieusement sur les enjeux relatifs à la Conférence Habitat III, on se rend bien vite compte que la défense du droit au logement et la promotion de l’habitation communautaire sont des préoccupations largement partagées dans le monde. Qu’on en juge : « Dans une large mesure, […] une intervention réduite de l’État a essentiellement diminué voire supprimé les possibilités de logement formel des ménages à faible revenu et de certaines tranches des ménages à revenu moyen. » Cette conclusion, que l’on pourrait croire tirée d’un communiqué du RQOH, provient en réalité d’un document préparatoire de la Conférence qui se tiendra à Quito !

Certes, lorsque l’on pense au manque de logements ou à la dégradation de l’habitat urbain, en regard de la situation dans de nombreux pays, particulièrement ceux du Sud, il est tentant de croire qu’au Canada, « nous sommes au-dessus de tout ça ». Et pourtant, la lecture des textes préliminaires de la Conférence Habitat III nous donne à voir certaines situations qui résonnent d’un air étrangement familier. « Des logements abordables qui ne sont pas décents et des logements décents qui ne sont pas abordables » : la formule, qui résume bien la problématique mondiale, pourrait s’appliquer aussi à bien des villes d’ici.

On argumentera que les écarts d’accessibilité financière au logement chez nous ne sont pas comparables à ceux de Londres ou de New York, où un ménage gagnant le revenu médian ne peut avoir accès à un logement qu’en consentant à des sacrifices extrêmes. Mais à la vue des données récemment rendues publiques par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), Vancouver et Toronto s’approchent dangereusement de niveaux tels que le « commun des mortels » de ces villes a de plus en plus de difficulté à se loger.

Les problèmes que connaissent les personnes vivant dans les bidonvilles (favelas, barrios nuevos, townships et autres slums) de la planète sont nombreux. Parmi les plus criants, citons la non-disponibilité des services, comme l’eau potable et l’énergie pour cuisiner ou se chauffer, les aqueducs) et l’inhabitabilité, ou lorsqu’un logement ne garantit pas la sécurité physique ou ne fournit pas l’espace suffisant et la protection contre le froid, l’humidité, la chaleur, la pluie, le vent ou d’autres dangers pour la santé. En évoquant cela, on croirait voir Calcutta, mais les habitants de nombreuses réserves autochtones au pays ne sont pas étrangers à ces réalités : pénurie de logements, absence d’infrastructures sanitaires, problèmes sévères d’eau contaminée, inondations récurrentes, etc.

Toutes les enquêtes indiquent qu’une proportion alarmante des logements situés dans les communautés des Premières nations ont besoin de réparations majeures, qu’ils sont souvent de taille insuffisante compte tenu de la grosseur des familles. Les impacts d’une telle situation sur l’aggravation des problèmes sociaux mettant en danger la sécurité et le développement des enfants ne sont plus à démontrer. Il est trop tôt pour se prononcer sur les causes de la vague de suicides qui a touché Uashat mak Mani-Utenam et Kuujjuaq en 2015, mais la surpopulation des logements est souvent citée dans les causes de suicide, dont le taux est 25 fois plus élevé sur les réserves autochtones que dans l’ensemble du Québec.

Dans les grandes villes, la situation n’est guère plus reluisante. Selon une étude publiée en 2016, à Montréal, un Autochtone sur huit vit dans un logement qui nécessite des rénovations majeures (plomberie, installation électrique, charpente des murs, planchers et plafonds). Les ménages autochtones sont plus susceptibles de vivre dans un logement inadéquat au sens où l’entend la SCHL. De même, à revenu égal, ils seraient plus susceptibles que la population générale de vivre dans un logement inadéquat ou surpeuplé, ce qui est d’autant plus problématique que la disponibilité et la qualité des logements agissent comme déterminants sociaux de la santé, du bien-être, de l’intégration à la vie économique et sociale ainsi que de l’accès à l’éducation.

Bref, le Canada a sa place à la Conférence de Quito. Notre pays fait d’ailleurs régulièrement l’objet des remontrances du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU qui, dans son dernier rapport en février 2016, faisait état de « crise du logement » au pays et s’alarmait de l’accroissement du nombre de sans-abri. Il sera sans doute intéressant de voir quel message y livrera le Canada. La présence à Quito du ministre fédéral responsable de l’habitation, Jean-Yves Duclos, doit être confirmée.

Des constats qui confirment nos analyses

Les experts internationaux ayant préparé les documents de discussion arrivent à des constats familiers : « Les subventions pour des prêts hypothécaires ont encouragé les personnes à emprunter, mais ont bénéficié aux 20 à 40 % des groupes au revenu le plus élevé, à savoir ceux qui en ont le moins besoin. » C’est en se basant sur ce même constat que le RQOH suggère au gouvernement du Canada d’orienter au moins autant d’efforts vers les facilités de crédit pour le logement social que pour le marché privé. Car au Canada comme partout ailleurs, apprend-on, « les développeurs se sont concentrés sur les logements de luxe. Les banques rechignent à prendre des risques en prêtant à des personnes qui ne peuvent être classées dans la catégorie classique à risque faible. »

En 2015, le RQOH rendait publics les résultats d’une étude intitulée Les caractéristiques économiques et la viabilité financière du parc des OSBL d’habitation du Québec. Cette étude démontrait bien que le logement communautaire était un moteur économique non négligeable :  valeur du parc immobilier, impact en tant qu’employeur, contribution à l’assiette fiscale des administrations, valeur des biens et des services produits par les OSBL d’habitation, etc. Ainsi avons-nous amplement cité une Étude sur les impacts sociaux des activités de la Société d’habitation du Québec qui estime que « les subventions de la SHQ ont ainsi généré des dépenses totales de 1,4 milliard de dollars. Pour chaque dollar versé par la SHQ à titre de subvention, 2,3 $ ont été injectés dans l’économie québécoise. » Les spécialistes onusiens ne disent pas autre chose : « Le secteur du logement constitue une part importante de la richesse et des ressources et lorsqu’il est géré efficacement, il peut être une importante source de croissance économique, de stabilité et de résilience, ainsi qu’un composant essentiel du programme de développement social d’un pays. » Et plus loin : « Dans le monde entier, il est de plus en plus avéré que la location contribue à favoriser la mobilité résidentielle, améliorer le marché de l’emploi et les moyens de subsistance, et peut répondre aux préoccupations en matière d’équité entre hommes et femmes, de culture et de handicap, tout en renforçant les réseaux économiques et sociaux. »

Quito et après

Aussi notre mouvement peut-il se réjouir de l’attitude du ministre Duclos dans ce dossier, lui qui a déclaré dans un communiqué émis le 22 juin 2016 qu’il « adhère aux principes directeurs établis pour la conférence Habitat III », principes qui « font écho aux objectifs du gouvernement pour le Canada ».

La Déclaration de Quito qui sera adoptée à l’issue de la Conférence est certes non contraignante. Si ses lignes directrices sont suffisamment claires et remportent une large adhésion, elle pourrait néanmoins être décisive pour l’élaboration des politiques nationales. Alors que le gouvernement du Canada s’interroge lui-même sur ce qu’il est convenu de faire en la matière, le moment ne pouvait pas être mieux choisi.

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 49