Visuel de couverture du rapport final sur les campements au Canada

22 février 2024

Rapport final sur les campements : le droit au logement bafoué

Dans un rapport étoffé sur les campements de personnes en situation d’itinérance au Canada, la défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle*1, dresse un portrait de la situation et émet des recommandations concrètes aux différents paliers gouvernementaux pour remédier à la crise nationale qui sévit. 

En février 2023, Mme Houle avait lancé un examen des campements au pays. En octobre 2023, un rapport provisoire sur le sujet a été publié par le Bureau du défenseur du logement.  

Le rapport final comprend pour sa part des conclusions et des recommandations à mettre en œuvre grâce à des mesures concrètes en faveur du droit à un logement suffisant. 

D’entrée de jeu, celui-ci est défini comme un foyer sûr, exempt de discrimination et de harcèlement. Il doit être sécuritaire, abordable, habitable, accessible, culturellement adéquat, dans un endroit approprié qui offre un accès à des services de base.  

Quant au campement, il est décrit comme un « hébergement d’urgence établi par des personnes non logées sur une terre publique ou privée sans autorisation ». 

 

Double crise des droits de la personne 

Selon Mme Houle, la situation des campements au Canada s’apparente à une double crise des droits de la personne.  

D’une part, elle est le résultat du non-respect des droits de la personne, mais, plus largement, de l’échec du Canada à faire respecter le droit citoyen à un logement suffisant. 

Les personnes rencontrées dans les campements sont souvent victimes du manque de volonté politique, de l’inadéquation des ressources et des lacunes de coordination les entourant. 

D’autre part, les municipalités, qui sont au front, n’ont pas tous les outils nécessaires pour fournir les services basés sur les droits de la personne. Dans les zones rurales, les villes n’offrent pas toujours le nécessaire (eau potable, services sanitaires, etc.) et procèdent tout de même à des démantèlements. 

Mme Houle clame que la situation des campements au Canada relève de la crise humanitaire, alors que nous assistons à une recrudescence de l’itinérance visible partout au Canada, incluant en région rurale, éloignée et nordique.  

Elle fait valoir que l’organisation des campements permet de créer un sentiment de communauté chez les campeurs, ce qui est favorable à leur santé. Elle croit également au processus de participation significative qui place les individus concernés au cœur des décisions les concernant. 

Marie-Josée Houle

Le processus de participation significative a également montré que le Canada a la capacité de résoudre cette crise. Ce qui fait défaut, c’est l’absence de volonté politique, de ressources et de coordination.

Une crise nationale qui appelle un plan national 

Face à l’ampleur de la crise, la défenseure du logement lance un appel aux gouvernements afin qu’ils mettent en branle un plan d’intervention national sur les campements d’ici le 31 août 2024.  

Celui-ci doit notamment comprendre des objectifs et des délais clairs. Tout en agissant pour sauver des vies, celui-ci permettrait de :  

  • Mettre fin aux expulsions forcées;
  • Travailler avec les gouvernements et soutenir les municipalités;
  • Respecter les droits des autochtones, dans une option d’autodétermination;
  • Respecter et faire respecter les droits de la personne, notamment pour les personnes issues des minorités;
  • Offrir des options de logement permanent et adéquat rapidement;
  • S’attaquer aux causes profondes des campements et, plus largement, de l’itinérance;
  • Respecter et faire respecter le droit de la personne à un logement suffisant.

Le rapport de Mme Houle a été soumis au ministre Sean Fraser, afin de s’assurer de l’imputabilité du gouvernement face à la réalisation progressive su droit au logement, avec des données précises, complètes et reproductibles sur l’itinérance au Canada. 

Campement près du Gîte Ami, à Gatineau
Campement près du Gîte Ami, à Gatineau. PHOTO : RADIO-CANADA / FELIX DESROCHES

Marie-Josée Houle

L’Observatoire sur l’itinérance de l’Université York a suggéré qu’au moins 35 000 personnes sont sans logement à tout moment au pays. Une enquête menée auprès des municipalités canadiennes a estimé qu’entre 20 et 25 % des personnes non logées au Canada vivent aujourd’hui dans des campements.

Méthodologie 

Afin de procéder à la collecte de données, des rencontres en personne ont été menées et des observations pouvaient être soumises au moyen d’un portail en ligne. 

Des travailleurs de première ligne, défenseurs des droits humains et membres de la communauté ont également contribué à l’analyse.  

 

Stratégie nationale sur le logement 

Publiée en 2019, la Loi sur la Stratégie nationale sur le logement (SNL) prévoit la mise en œuvre du droit à un logement suffisant sur un horizon de 10 ans. Cette notion est ainsi inscrite dans le droit national.  

Notons que la Stratégie elle-même vise le financement de programmes de logements abordables, après des décennies d’abandon.  

Or, nous faisons face à un enjeu de coordination entre les différentes juridictions, ce qui fait obstacle à la réalisation des objectifs de la SNL.  

Comme les participants l’ont soulevé, les gouvernements ont une bonne capacité de réaction lors de catastrophes naturelles, et leur inaction face à la crise en dit long sur la perception sociale des personnes sans abri.  

 

Les causes sous-jacentes  

Comme le souligne la défenseure, bafouer le droit au logement a des conséquences sur les autres droits de la personne.  

Elle rappelle que le gouvernement canadien a des obligations positives face aux citoyens et que les normes internationales interdisent les expulsions forcées, sauf en cas de dernier recours, lorsque toutes les solutions ont été explorées.  

En juillet 2022, la loi nationale de mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies a mis de l’avant le droit à la vie, lequel inclut la notion de logis adéquat. 

 

Autres facteurs 

Par ailleurs, la crise des opioïdes a causé 13 000 décès entre avril 2026 et septembre 2023. Cela prouve qu’il existe une combinaison dangereuse entre la consommation de drogues et la déresponsabilisation de l’État face à l’itinérance. Les expulsions augmentent l’insécurité et font perdre aux campeurs le soutien dont ils bénéficiaient au sein des campements.  

Qui plus est, les expulsions précarisent la situation des individus, qui encourent davantage de risques pour leur santé et leur sécurité.  

Les interventions policières peuvent également être traumatiques et s’ajouter à d’autres traumas des gens vivant dans les campements. Les besoins de base non satisfaits et le manque de soutien essentiel concourent également à cette dégradation de la situation de vie de ces personnes.  

Les risques de se retrouver en situation d’itinérance s’accroissent avec les expériences traumatiques de discrimination systémique vécues par les individus. Une réponse nationale est urgente afin de briser ce cycle. 

 

Santé et sécurité en péril 

Le logement est un déterminant de la santé et il est primordial de le considérer, tant pour la santé de la population que pour mesurer les coûts des investissements et non-investissements en habitation.  

Les démantèlements fragilisent les personnes en les repoussant vers des endroits plus isolés. Il importe de cerner leurs besoins et de trouver des façons d’y répondre.  

La crise est alimentée par la pénurie, le manque de logements supervisés et les expulsions, avec la discrimination comme facteur aggravant. 

Le manque de places en refuge, qui sont surpeuplés, entraîne la croissance des campements.  

Qui plus est, les refuges ne sont pas adaptés pour tous. Ils ne répondent pas aux exigences des obligations gouvernementales en matière de logement suffisant.  

À titre d’exemple, seulement 13 % de ces refuges d’urgence sont destinés aux femmes.  

En outre, les refuges imposent souvent des conditions, et certains les considèrent comme des prisons. Les personnes qui consomment des drogues sont également particulièrement touchées par les restrictions en matière d’hébergement.  

Parmi les personnes sondées, les autochtones étaient largement surreprésentées. En effet, si le recensement de 2021 comptait seulement 5 % d’autochtones, ces personnes ne constituent pas moins de 35 % des personnes interrogées dans le cadre de l’étude menée.

L’enquête pancanadienne sur les femmes, le logement et l’itinérance montre que les personnes qui consomment des drogues sont trois fois plus souvent exclues des refuges que celles qui n’en consomment pas.

Face à la surreprésentation des personnes autochtones dans l’enquête, la défenseure établit une corrélation entre l’itinérance, les campements et la dépossession coloniale. 

L’offre de soutien aux sans-abri autochtones est lacunaire. Cela est attribuable aux préjudices intergénérationnels des lois et des politiques coloniales et au manque d’installations et de logements culturellement adaptés à ces individus. Et pour cause, il existe peu de fournisseurs de ces logements en milieu urbain. 

Ainsi, les besoins des Premières Nations, Métis et Inuits sont mal documentés et ignorés. Dans l’Ouest, le phénomène est encore plus marqué. Les services offerts en milieu urbain ne sont pas culturellement appropriés. 

Il faut ainsi planifier un travail avec les municipalités et les organisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis. 

Pistes de solution 

Le constat est clair : le financement des organismes communautaire est insuffisant. Lorsqu’offert à court terme (par projet), comme avec le programme Vers un chez soi, le financement mobilise les ressources, de façon à constituer un obstacle à la planification à long terme, même lorsqu’il répond adéquatement aux besoins urgents.  

Il est impératif d’offrir un meilleur filet de sécurité sociale face aux enjeux de santé mentale et de toxicomanie. L’insuffisance des ressources et les difficultés d’accès aux services aggravent les problèmes des individus qui les traversent. 

Le manque de coordination et de responsabilités des organisations, ministères et juridictions limite aussi l’efficacité des réponses à la crise. 

Mme Houle soutient que la police et les services d’urgence ne devraient pas être les principaux points de contact entre les gouvernements et les campements. Selon elle, il faut plutôt miser sur les structures informelles et renforcer celles-ci. Ce processus participatif documenté devrait également être mené par des personnes en qui les résidents ont confiance.  

Il appert essentiel de mettre l’accent sur la dignité et le respect des droits des résidents des campements, afin de mieux répondre à leurs besoins fondamentaux.  

Une réflexion s’impose afin d’inclure dans le dialogue les personnes concernées ayant une expérience vécue des campements. 

 

Leadership fédéral  

Pour affirmer son leadership en matière de logement, le gouvernement fédéral devrait affecter plus de ressources financières et mieux coordonner les interventions des différents paliers gouvernementaux. Il pourrait également tâcher d’éliminer la confusion entre les compétences. 

Des accords et des transferts pourraient veiller à ce que tous les paliers aient des normes conformes aux droits de la personne. 

Nous devons collectivement reconnaître l’urgence de la situation dans les communautés de toutes tailles et s’impliquer dans la lutte à la discrimination et à la stigmatisation.  

Mme Houle suggère au gouvernement de s’inspirer de l’Initiative pour la construction rapide de logements (ICRL) pour accélérer la cadence de livraison des unités et de se doter d’un fonds d’acquisition. Le fédéral pourrait également déployer un nouveau financement prévisible qui tiendrait compte de la réalité des communautés rurales et éloignées. 

 

Appels à l’action  

Afin de remédier cette crise humanitaire, la défenseure propose plusieurs mesures concrètes visant à assurer la mise en œuvre des recommandations. Les actions entreprises doivent ainsi être soutenues par des mesures spécifiques et réalistes.  

Parmi les recommandations : 

  • Élaborer un plan national d’intervention;
  • Opter pour des solutions axées sur les droits de la personne en respect des minorités;
  • Respecter les droits des autochtones tout en continuant de financer leurs initiatives spécifiques;
  • Protéger le droit à la vie et à la dignité et réduire les risques;
  • Mettre en œuvre des mesures immédiates afin de reloger le plus rapidement les personnes vivant dans les campements;
  • Rendre le gouvernement imputable et garantir l’accès à la justice.

 

Recommandations détaillées 

Entre autres détails des recommandations, la défenseure soulève la nécessité d’engager de nouvelles ressources répondant à l’ampleur du phénomène des campements. Elle rappelle l’importance de miser sur l’expérience vécue afin de bien cerner les enjeux vécus sur le terrain.  

Elle insiste sur la pertinence de mener des processus consultatifs avec les peuples autochtones et de reconnaître leurs spécificités afin d’assurer un meilleur arrimage et un suivi rigoureux des résultats des stratégies définies par les collectivités. 

Afin de concrétiser l’ensemble des recommandations, il importe d’opter pour des solutions axées sur les droits de la personne. Mme Houle indique d’ailleurs qu’il serait de mise de modifier la législation afin de mieux reconnaître le droit de la personne à un logement adéquat. 

Elle réclame un meilleur financement des provinces, territoires et municipalités, de même que le déploiement de mécanismes face à la discrimination sociale.  

Elle valorise également des mesures immédiates afin de réduire les risques pour la santé et la sécurité des campeurs, notamment l’interdiction des expulsions et de meilleurs soins en matière de santé et de toxicomanie.  

En parallèle, dans une optique de réduction des méfaits, et face à la multiplication des décès par surdose, elle indique qu’il est impératif de mener des opérations de sensibilisation face à l’usage des drogues. 

Selon le rapport, il importe de conscientiser les campeurs face à leurs droits et de leur permettre de prendre part à la prise de décision collective. Il faut également stabiliser ces individus avec du soutien social et les services essentiels, et ce 24/7, par le biais de refuges à faible seuil. Les municipalités devraient également permettre l’utilisation des espaces publics et interdire l’architecture hostile. 

Pour s’attaquer aux causes profondes de l’itinérance et offrir un logement suffisant à tous les citoyens, il est nécessaire de mieux soutenir les initiatives de logements hors marché. Cela permettrait d’offrir aux personnes fragilisées des logements supervisés plus inclusifs et réellement abordables. 

Le gouvernement a la responsabilité d’assurer le renforcement de la protection des locataires et le financement des organismes en logement. Il doit également cerner et enrayer les défaillances systémiques et interdire la discrimination sociale. 

En outre, il lui faut veiller à un meilleur entretien du parc immobilier et déployer un fonds d’urgence pour les retards des loyers. Cela pourrait freiner le phénomène des évictions, qui a conduit plusieurs personnes vers l’itinérance.  

Le gouvernement doit finalement imposer à ses fonctionnaires exerçant des responsabilités relatives au logement et à l’itinérance une formation sur le droit au logement adéquat et développer leur sensibilité culturelle.  

 

Conclusion 

En conclusion, le rapport présente plusieurs faits, critiques et recommandations, apportant davantage d’éclairage sur l’état de la situation des campements au Canada.  

Le réel tour de force du rapport tient du filigrane sous-tendant l’ensemble du travail de documentation et de ses déclarations : replacer au centre des descriptions et prescriptions la parole des personnes n’ayant pas de logement suffisant. 

Afin de sortir de l’urgence sociale, il faut identifier des alternatives pérennes aux démantèlements et assurer aux citoyens un cheminement vers un logement permanent. La défenseure du logement lance ainsi un plaidoyer en faveur des droits de la personne et invite les décideurs locaux à le porter localement. 

 

Lire le communiqué : https://www.housingchrc.ca/fr/le-rapport-de-la-defenseure-federale-du-logement-reclame-une-reponse-nationale-a-la-crise-des-campements  

 

*Rappelons que Mme Houle est la première personne à occuper cette fonction favorable au droit à un logement suffisant au pays. Un poste qui a pour but de favoriser des changements et une reddition de comptes des décideurs gouvernementaux en matière de droit au logement.