23 mai 2023

Regard sur la taxation foncière des OSBL-H

Les taxes municipales portent un dur coup aux OSBL d’habitation cette année, au point de constituer un autre facteur de risque menaçant la viabilité de certains d’entre eux. Ces taxes, qui représentent une dépense substantielle pour des organismes qui ne peuvent relayer à leur clientèle ce fardeau, sont composées d’une part de l’évaluation foncière et d’autre part, du taux de taxation.

Tant les taux de taxation municipale que les évaluations foncières ont connu des hausses importantes en 2023[1]. Cela n’a rien d’étonnant, considérant que la situation actuelle est marquée par l’inflation, la hausse des valeurs immobilières, la hausse des taux d’intérêt, l’importance des taxes foncières dans les revenus des municipalités et l’accroissement des responsabilités qui incombent à ces dernières (comme le logement…).

Ce qui étonne plutôt, c’est que le droit et les pratiques de taxation municipale comprennent plusieurs mécanismes favorables aux entités d’économie sociale, mais que les OSBL-H en soient majoritairement exclus. Métaphoriquement, les OSBL-H n’ont plus de chaise sur laquelle s’asseoir lorsque la musique s’arrête. Cet obstacle est symptomatique de ce qu’on appelle la financiarisation du logement. C’est un phénomène dont nous avons déjà discuté dans un précédent bulletin. Et on pourrait ajouter, dans ce cas-ci, la question de la fiscalisation du logement. Voici un bref aperçu du débat actuel sur la taxation foncière des OSBL-H.

> Un impact bien senti

Concernant les évaluations foncières, pour l’île de Montréal par exemple, l’augmentation moyenne au rôle des propriétés résidentielles est de 35,5% (depuis la dernière évaluation, donc sur trois ans). Combinée à la hausse des taux de taxation municipale, cette augmentation résulte en un compte de taxes qui met à mal la stabilité d’OSBL-H, dont la réalité économique et la mission proscrivent d’imposer aux locataires la facture. Cette situation est malencontreusement présente à plusieurs endroits dans la province.

Plusieurs organismes ont d’ailleurs entrepris de contester les évaluations foncières avec le soutien de leur fédération et d’autres partenaires. Il y a notamment la Corporation d’habitation Porte Jaune, dont l’affaire est dorénavant pendante devant la Cour du Québec. Ces décisions judiciaires à venir ont la double portée de changer le droit relatif aux évaluations foncières, mais aussi d’inviter la classe politique à intervenir quant à la taxation foncière des OSBL-H, que ce soit en agissant sur les évaluations foncières, les exemptions aux taxes ou toute autre approche innovante.

> L’enjeu des exemptions aux taxes municipales

La Loi sur la fiscalité municipale établit les bases juridiques de la taxation municipale et prévoit un régime plutôt généreux d’exemptions à la taxation foncière. Les organismes légalement enregistrés à vocation non lucrative et qui exercent des activités admissibles peuvent présenter à la Commission des demandes d’exemptions aux taxes foncières. Lorsqu’accordée, l’exemption est révisée après neuf années.

Quoique les activités admissibles incluent diverses activités se rapportant aux arts, aux loisirs, à la défense des droits humains, ou plus largement au bien-être social, l’hébergement qui n’est pas transitoire est exclu. Les OSBL-H offrant du logement permanent ne sont donc pas admissibles aux exemptions. Mais puisque le logement temporaire est reconnu comme une activité admissible, le logement permanent n’est-il pas lui aussi visé par l’esprit (ou l’intention législative) des exemptions prévues à la loi? Pourquoi est-il alors exclu?

D’un point de vue juridique, à contrario du logement permanent, le logement temporaire est un contrat innomé et non un bail : le droit au maintien dans les lieux ne s’applique pas, le TAL n’a pas compétence pour les litiges découlant du contrat, etc. D’un point de vue plus politique, mais qui se reflète aussi dans le droit, le logement permanent est exclusivement associé à une activité d’intérêt privé et de profit : les loyers sont un revenu, les banques transigent sur ceux-ci, ainsi que sur la valeur foncière des immeubles, etc. Conséquemment, nos règles fiscales excluent la possibilité que la location multirésidentielle puisse relever de l’économie sociale.

Bref, la difficulté  à concevoir le logement permanent comme une activité sociale et non lucrative se reflète dans les lois, les taxes et la viabilité des OSBL-H.

> L’enjeu des évaluations foncières

Puisque les OSBL-H offrant du logement permanent ne peuvent bénéficier des exemptions de taxes prévues par la loi, les évaluations foncières pour ceux-ci deviennent centrales au débat.

Les évaluations foncières peuvent être contestées par le biais d’une demande en révision administrative (prévue par la même Loi sur la fiscalité municipale), quoiqu’il faille pour cela satisfaire aux critères d’admissibilité de contestation, dont certains délais, et débourser des frais (les frais administratifs ne sont pas exorbitants, mais les frais encourus pour assembler une contestation peuvent être considérables, tels les frais pour une évaluation agréée, les frais juridiques, etc.).

Certaines précisions sur l’évaluation foncière sont ici pertinentes. D’abord, ce n’est pas sur elle qu’est appliqué le taux de taxation, mais sur la base d’imposition, qui est la valeur foncière étalée (la hausse au rôle est amortie sur le temps entre les évaluations). Ensuite, l’évaluation financière se fait en fonction de catégories d’immeubles déterminées par la Loi sur la fiscalité municipale. Ces catégories appelées également « utilisations » n’offrent aucune case (ou… chaise) pour l’économie sociale ou les activités à but non lucratif, par exemple. Il n’y a aucune catégorie pour la réalité économique des OSBL-H.

Enfin, il y a la question de la méthode d’évaluation foncière. Son principe de base est la substitution, ou coût net de remplacement, et se décline en trois méthodes, dont les différences ont d’importantes conséquences :

  1. la méthode par comparable, en considérant plusieurs immeubles vendus récemment sur la base de critères tels l’année de construction, l’état de la bâtisse, etc.;
  2. la méthode de la valeur économique – privilégiée par les banques – où sont pris en compte divers facteurs tels les revenus de l’immeuble, la rareté, la force du marché, etc.;
  3. la méthode de la valeur de reconstruction, privilégiée par les assureurs. Si la deuxième méthode semble être la plus susceptible de prendre en compte la réalité économique des OSBL-H, ce n’est malheureusement pas celle que prônent les municipalités.

Il est pertinent de rappeler ici qu’en juin 2022 fut adopté le Projet de loi 37, qui vient imposer de sérieuses restrictions à la vente de propriétés d’OSBL-H ayant bénéficié de fonds publics. Cette nouvelle législation a envoyé un message clair aux acheteurs immobiliers potentiels : ces propriétés d’habitation communautaire doivent conserver leur vocation et ne font pas partie du lot « risques et profits » du marché locatif. Tout acheteur potentiel devrait en fait attendre une autorisation du ministre ou de la ministre, après réception de l’avis du RQOH et de la fédération qui dessert le territoire , afin d’acheter l’immeuble et dérouter sa vocation. Nul besoin de beaucoup d’imagination pour comprendre qu’aux yeux de l’acheteur potentiel, la valeur de l’immeuble chute.

Encore ici, la réalité économique des OSBL-H semble échapper aux normes et aux pratiques fiscales des municipalités. La taxation foncière, pour laisser l’habitation communautaire respirer, doit ou bien exempter les OSBL-H, ou alors effectuer une évaluation foncière analysant des éléments (par ailleurs économiques) qui sont probants et/ou propres aux OSBL-H. Une troisième option existe : que la Loi sur la fiscalité municipale autorise les municipalités à appliquer un taux de taxation différencié aux OSBL-H (c’est entre autres l’option privilégiée par la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal).

*Remerciements à Alain Rioux, directeur des Toits de Mercier, pour sa contribution à ce texte, notamment quant à la méthode d’évaluation foncière.

[1] Les rôles d’évaluation foncière sont mis à jour aux trois ans, mais toutes les municipalités ne sont pas sur le même cycle. Par exemple, celui de Trois-Rivières a été mis à jour l’an dernier et couvre les années 2022-2023-2024, alors qu’à Montréal, c’est 2023-2024-2025.