Une personne itinérante allongée au sol en ville par temps froid.

4 février 2025

Retour sur les États généraux de l’itinérance 2024

L’itinérance prend de l’ampleur au Québec, et cela se vérifie tristement dans toute la province. Dans un contexte de crise du logement persistante, de financements restreints et de changements climatiques importants, quelles pistes d’action envisager pour le secteur de l’habitation ?

Le RQOH était représenté aux 4èmes États généraux de l’itinérance au Québec, qui se tenaient dans la capitale homonyme du 27 au 29 novembre 2024. Le Réseau Solidarité Itinérance du Québec (RSIQ) organise cet évènement d’envergure. Près de 450 personnes étaient réunies sur trois jours pour réaffirmer une volonté collective de renverser la tendance en itinérance au Québec. Car les chiffres sont indéniables : d’après le dénombrement de 2022, cette tendance est hélas à la hausse dans toutes les régions participantes de l’étude. Retour sur cet évènement et sur les pistes d’action abordées par les parties prenantes.

Pour commencer, trois axes structuraient les discussions de cet évènement majeur :

  • Les droits des personnes en situation d’itinérance : Identifier les avancées en matière de droits des personnes en situation d’itinérance et leur application en lien avec la Politique nationale de lutte à l’itinérance.
  • La prévention de l’itinérance : Affirmer la nécessité d’agir en prévention : développer une vision commune de la prévention, partager des actions porteuses, discuter des actions préventives au Québec, au Canada et ailleurs.
  • La réponse à l’itinérance, une responsabilité partagée : Faire reconnaître la responsabilité partagée en tant que composante essentielle de la prévention et de la réduction de l’itinérance et augmenter la capacité d’agir collectivement.

À la suite, voici quelques-uns des grands messages-clés qui ont émergé des différents travaux et discussions :

1/ Dépasser l’urgence d’agir et sortir des silos pour des solutions adaptées

Que ce soit lors des différentes allocutions d’ouverture quotidiennes ou durant les ateliers, le secteur appelait à trouver des solutions plus structurantes à l’itinérance au Québec. De fait, les organismes de soutien aux itinérant·es accompagnent un public toujours plus nombreux, tout en devant intégrer de nouveaux défis (climatiques notamment, avec l’intensification des vagues de chaleur dans les villes), le tout avec des ressources humaines et financières compressées.

Les organismes rappellent également que chaque parcours d’itinérance est unique, et qu’il est primordial d’écouter et d’adapter les solutions aux besoins des personnes. À ceci s’ajoute une réelle pertinence des mesures d’accompagnement et de soutien communautaire en logement social et communautaire (SCLSC). Cette pratique à promouvoir est elle aussi sujette à des enjeux de pérennité de financement, bien que son efficacité soit largement démontrée.

2/ Dix ans après la Politique nationale en itinérance, se doter d’une vision commune renouvelée

Les États généraux 2024 visaient aussi à produire collectivement une Déclaration commune pour regrouper les préoccupations, une vision du changement, des propositions et des engagements. Cette déclaration, mise en ligne par le RSIQ, est accessible à cette adresse.

D’emblée, la vision pour le secteur de l’habitation est claire : l’itinérance est considérée notamment comme une « manifestation radicale de la pénurie de logements sociaux, adaptés et réellement abordables ». Concernant en particulier l’impact des moyens alloués – qui sont insuffisants -, l’analyse est ainsi résumée : « Le sous-financement chronique du secteur communautaire et le manque de reconnaissance de son expertise compromettent lourdement sa capacité à répondre aux besoins des personnes désaffiliées, tout en créant des conditions de travail inacceptables et de la précarité chez les personnes qui y travaillent ». Cette observation invite aussi à améliorer les rudes conditions de travail des personnes du secteur communautaire. De fait, les intervenant·es peuvent aussi souffrir d’une fatigue de compassion, ce qui peut compromettre leur capacité à aider en retour.

Bruno Marchand, Maire de Québec, lors des États généraux de l'itinérance 2024

L’itinérance n’est pas une fatalité. On sait quoi faire pour que ça fonctionne, on a des modèles qui marchent. […] Il faut maintenant que le gouvernement s’engage à en faire une priorité.

Durant l’évènement, on incitait les différents paliers gouvernementaux à prendre leurs responsabilités ; le maire de Québec a rappelé que « l’itinérance n’est pas une fatalité », et il exhortait à un vrai leadership gouvernemental pour rendre prioritaires les solutions concernant la crise de l’itinérance. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre de ces solutions requiert une collaboration transversale à tous les niveaux, décisionnels et sectoriels.

Le Maire de Québec Bruno Marchand durant son allocution aux États généraux de l'itinérance 2024

Allocution du maire de Québec aux États généraux de l’itinérance 2024

3/ Mobiliser la solution incontournable du logement social et communautaire

Si l’itinérance augmente, la crise du logement persiste également. Plusieurs ateliers et conférences ont ainsi appelé à renforcer le parc de logements sociaux au Québec pour y faire face. Dans son atelier, le FRAPRU a communiqué l’objectif de 20% de logements sociaux et communautaires au Québec, pour résorber cette crise persistante du logement qui nourrit celle de l’itinérance. Le FRAPRU observait ainsi que « cette crise du logement change les visages de l’itinérance ».

Un autre atelier le soulignait : toujours d’après le dénombrement 2022 (tableau Raisons évoquées de la perte de logement), la première cause de perte de logement, évoquée par 23 % des répondant·es, est désormais l’expulsion par le propriétaire (la consommation de substances arrivant en seconde position). L’une des propositions de la Déclaration commune produite durant les États généraux, suggère ainsi de « reconnaître le caractère fondamental du droit au logement, développer massivement des logements sociaux et communautaires, y faciliter l’accès, contrôler le coût des loyers et assurer le soutien nécessaire au maintien en logement des personnes vulnérabilisées ».

4/ Protéger les plus vulnérables face à la crise sociale et à la crise climatique

Les visages de l’itinérance ont changé, rappelait-on au cours de l’évènement. Et les enjeux et difficultés auxquels les personnes itinérantes font face évoluent aussi, allant dans le sens d’une multiplication et d’une complexification.

En matière d’inégalités sociales, le Canada est un des pays les plus riches du monde. Pourtant toute une partie de la population vit dans des situations de pauvreté extrême. On observe aussi une part grandissante de travailleurs et travailleuses à revenus modestes. Dans tous les cas, la capacité à loger dignement les personnes n’est pas garantie actuellement au Québec.

À ceci s’ajoute un nombre croissant d’épisodes climatiques extrêmes à l’échelle mondiale. La récente vague de froid au Québec due à la déstabilisation du vortex polaire, les inondations liées aux pluies diluviennes, mais aussi les mégafeux qui font rage avec une occurrence accrue illustrent ce point. Dans les réponses à apporter à la crise de l’itinérance, il convient alors de considérer ces nouvelles réalités. En particulier, les fluctuations des températures observées durant les dernières années au Québec, et l’imprévisibilité climatique qui en résulte sont source de préoccupation. Les organismes doivent alors réorganiser leurs services pour faire face aux changements rapides de température. Pour ces raisons, le milieu communautaire demande de mettre en place des « haltes climatiques » (au lieu de strictes haltes chaleur), financées à la mission et ouvertes toute l’année.

> En conclusion

Il reste du chemin à parcourir pour renverser la tendance. Mais des intervenant·es, qui portent à bout de bras les solutions en réponse à la crise de l’itinérance, l’ont déjà partiellement tracé. C’est désormais aux décideurs et aux financeurs de prendre leurs responsabilités et de soutenir les organismes, pour que « vivre dans la dignité » soit réellement un droit pour chaque personne au Québec.