1 février 2015

Sécurité – Visa le noir, tua le blanc (air connu)

Quand on lit les gros titres des journaux, c’est presque un miracle que de réussir à survivre à une journée « ordinaire » au Québec. À les croire, le quotidien d’un Québécois moyen ressemble plus à un film de James Bond qu’à la vie tranquille que nous menons dans les faits.

Il ne s’agit pas ici de faire l’autruche, mais bien de garder la tête froide et de prendre des décisions rationnelles en matière de sécurité, comme dans les autres enjeux de société. Les autorités à Québec et à Ottawa nous le disent sans cesse : nous devons faire des choix et mettre les ressources là où ça compte et où l’argent aura le plus grand impact.

Le RQOH est d’accord avec cette approche, mais à une condition incontournable : que ce soit vrai !

Le dossier de la certification des résidences pour aînés est un cas de figure spectaculaire où les autorités politiques ont agi pour épater la galerie plutôt que de s’intéresser aux faits. Rétablissons-les, justement, en examinant de plus près les caractéristiques des ménages et des logements afin de comprendre les conditions de vie domestiques des aînés québécois.

  • Le logement représente le plus important poste de dépenses des ménages;
  • Le revenu moyen des ménages locataires de 75 ans et plus est de 21 004 $, ce qui est sous le seuil de faible revenu déterminé par Québec;
  • Les ménages défavorisés matériellement ont un niveau de vie sociale généralement insatisfaisant;
  • Les ménages ayant de faibles revenus ont tendance à être en moins bonne santé que la moyenne;
  • Le nombre de personnes habitant seules et sans réseaux familiaux est en pleine croissance et ira en s’accentuant, en particulier chez les aînés;
  • L’isolement est un important facteur de risque de maladie mentale et physique.

En prenant ces faits en considération, l’une des principales stratégies d’action que le gouvernement peut prendre pour assurer des conditions de vie plus sécuritaires pour les aînés est d’investir massivement dans le développement d’OSBL-H pour ainés. En effet, cette formule permet tout à la fois de réduire l’isolement, d’améliorer les conditions de vie, d’offrir une alimentation de qualité et de favoriser l’autonomie des aînés. Ces effets combinés ont une conséquence supplémentaire : réduire le principal poste budgétaire de l’État québécois que sont les dépenses de santé.

En dépit de ces faits, le gouvernement choisit de ne pas augmenter son investissement en logement social. Pire, la certification imposée depuis presque deux ans institutionnalise les OSBL pour aînés, augmente les loyers des locataires et met en péril des milliers de logements construits par les communautés, généralement avec l’appui de la SHQ.

Suite à nos nombreuses représentations, le Ministère de la Santé et des Services sociaux semble avoir entendu l’appel des OSBL-H dans ce dossier. Le ministre Barrette en personne est venu annoncer lors de notre colloque cet automne qu’il lançait une révision du cadre règlementaire sur la certification des OSBL-H.

Le RQOH a accueilli avec enthousiasme cette ouverture du MSSS et s’est lancé avec énergie dans une série d’échanges avec ce dernier. Les discussions allaient bon train et tout donnait lieu de croire que nous arriverions bientôt à nous entendre pour un cadre révisé qui tiendrait compte des caractéristiques propres aux OSBL d’habitation. Cependant, au moment d’écrire ces lignes, les choses semblent s’embourber avec l’intervention du ministère de la Sécurité publique (MSP). Celui-ci s’obstine à exiger des mesures de « sécurité » onéreuses et superflues, comme la présence d’un gardien de sécurité 24/7, même dans les résidences n’offrant aucuns soins de santé.

Apprendre de la Tragédie de l’Isle-Verte

La tragédie de l’Isle-Verte ne peut pas être ignorée, mais elle doit être prise pour ce qu’elle est : un évènement (heureusement) isolé où les erreurs, les omissions et les négligences des différents « responsables » ont mené 32 personnes à leur perte.

Au moment d’écrire ces lignes, nous connaissons les faits présentés aux audiences publiques, mais ignorons encore les conclusions du coroner Delâge. Cependant, il est déjà possible de tirer une leçon importante : au lieu de favoriser l’autonomie et la responsabilisation des locataires de même que le soutien de la communauté, on s’est fié sur des systèmes techniques et des intervenants externes pour assurer la sécurité des locataires. Ceux-ci ont lamentablement échoué.

Qu’on se le dise : les allées et venues des locataires étaient restreintes, tant par le personnel que par les installations, rien n’avait été mis en place afin que les locataires s’approprient les mesures d’évacuation et il n’y avait pas de système d’entraide organisé pour mobiliser le voisinage afin d’accueillir les locataires sinistrés.

En réaction à la catastrophe de l’Isle-Verte, le MSP maintient qu’il faut des gardiens 24/7 dans tous les OSBL pour aînés, même dans ceux qui n’offrent aucuns soins de santé à leurs locataires. Le MSP omet surtout de préciser que la présence d’un tel gardien dans la résidence en question n’a pas eu l’effet escompté.

De l’argent pour la sécurité des aînés

L’embauche de préposés 24 heures sur 24 représente une dépense de 37 500 000 $ supplémentaires par année pour les OSBL ainés du Québec. Est-ce bien le meilleur investissement possible pour améliorer la sécurité des personnes âgées québécoises?

Feux, assassinats, attentats et autres événements du genre sont exceptionnels dans notre société, mais frappent l’imagination et marquent les esprits de façon durable. Les politiciens, toujours en quête de visibilité, ont malheureusement souvent le réflexe de vouloir répondre à ces situations spectaculaires, mais rares, par des mesures tout aussi tape-à-l’œil et les imposer à tous.

En consultant les données de Statistique Canada, on s’aperçoit que les décès dus à un incendie ne sont même pas présents dans la liste des 50 principales causes de décès des aînés.

De plus, en lisant les revues scientifiques sur la question, on apprend que l’élément le plus important et le plus efficace pour diminuer les décès liés aux incendies chez les aînés est la préparation de bons plans d’évacuation et l’entraînement des locataires. Des mesures qui ne coûtent rien et qui s’inscrivent directement dans l’approche de responsabilisation favorisée par le RQOH.

L’investissement nécessaire pour améliorer la sécurité de milliers d’aînés passe par la construction de nouveaux immeubles – une dépense collective qui ne devrait pas incomber aux ménages aînés à bas revenus habitant en OSBL-H, mais à la société québécoise en entier. Facturer les locataires d’OSBL-H « pour leur bien », c’est nous prendre pour des valises et forcer ces aînés à faire les pour retourner vivre, faute d’argent, isolés, dans le marché privé, sans soutien communautaire et plus loin encore de la sécurité qui était sensée motiver le programme de certification a priori.

En exigeant des efforts supplémentaires de 37 500 000$ de la part des OSBL, le gouvernement s’apprête à provoquer exactement l’inverse de ce qu’il souhaite car ceux-ci ne parviendront pas à conserver leurs locataires les plus précaires.

Le MSSS et la SHQ doivent faire entendre raison au ministère de la Sécurité publique et faire reconnaître que le cadre règlementaire des résidences pour aînés doit considérer les OSBL-H et leurs locataires comme autonomes et responsables. Il doit en conséquence abolir l’obligation d’une surveillance 24/7 dans les OSBL-H pour aînés qui n’offrent pas de soins de santé.

 

Les conséquences d’une surveillance 24/7

 

Cette contrainte entraîne une dépense supplémentaire récurrente de l’ordre de 150 000$ par année par OSBL-H (salaires, avantages sociaux, formation, encadrement administratif, etc.). Cela représente une hausse de loyer de 600$ par mois dans une résidence de 20 logements.

Les OSBL-H pour aînés ne sont pas des CHSLD. Ce sont des lieux de convivialité où les locataires choisissent de venir s’établir pour économiser, mais aussi pour entretenir et développer des liens sociaux de qualité, tant dans l’immeuble qu’avec la communauté environnante. Dans cet esprit, la prise de responsabilités par les locataires, y compris sur les enjeux de sécurité, constitue une manière active et efficace pour maintenir l’autonomie, la santé et la dignité des locataires.

Article paru dans le bulletin Le Réseau no 46