1 mai 2013
Inspiré d’une entrevue avec Nancy Gough, directrice. Maison d’aide et d’hébergement L’Émergence et présidente de l’Alliance provinciale des maisons de deuxième étape. Merci à Johanne Dumont, coordonnatrice. Fédération des OSBL d’habitation du Bas-St-Laurent, de la Gaspésie et des Îles (FOHBGI)
Je suis directrice de la Maison d’aide et d’hébergement L’Émergence qui est un organisme communautaire autonome offrant une gamme de services spécialisés en violence conjugale masculine. Dans une perspective de changement social, nous cherchons à contrer la violence conjugale masculine, tout en améliorant la qualité des services offerts aux femmes violentées, ainsi qu’à leurs enfants. Pour y arriver, nous offrons des services sur deux volets : des services spécialisés de première ligne en hébergement à court terme de 1 à 90 jours et des services de deuxième étape par l’entremise de 11 logements transitoires et subventionnés à moyen terme, de 12 à 24 mois.
Dans une région comme la nôtre, la recherche de logement est très difficile. La plupart du temps, il y a de longues listes d’attente et les coûts de location sont beaucoup trop élevés. Trouver un logement abordable et adéquat, c’est comme trouver une aiguille dans une botte de foin! À L’Émergence, nous avons la ferme conviction que de faciliter l’accessibilité à un logement est un moyen privilégié pour réduire l’incidence de la violence chez les femmes et les enfants. Ce service permet, en effet, d’accompagner les résidentes dans une démarche de reprise de pouvoir sur leur vie, et ce, en leur permettant d’identifier leurs besoins et aspirations et en utilisant les ressources disponibles dans la communauté pour y répondre.
J’ai commencé à travailler à la mise sur pied de l’Émergence, à l’époque où j’étais stagiaire en CLSC. C’était mon principal projet de stage… Vingt-trois ans plus tard, je suis toujours en poste et l’organisme a atteint un fonctionnement optimum! À l’époque, il existait une iniquité au regard de l’accessibilité aux services pour les femmes violentées dans un contexte conjugal et leurs enfants. En effet, les deux municipalités régionales de comté (MRC) couvertes par le CLSC de ma région étaient les seules MRC à ne pas avoir de maison d’aide et d’hébergement sur son territoire. Or, devant cette injustice et l’urgence de mettre sur pied un service d’hébergement en violence conjugale masculine, je me suis engagée pour relever ce défi de taille.
Aujourd’hui, notre organisme possède deux bâtiments sécuritaires pour accueillir les femmes et les enfants, en plus d’avoir développé un large éventail de services spécialisés en violence conjugale masculine. Par contre, bien que nous opérions depuis 2005, la seule ressource de deuxième étape en Gaspésie reconnue par la Société d’Habitation du Québec, encore aujourd’hui, le principal écueil pour notre organisme demeure le maintient de ce service, pour lequel nous ne recevons malheureusement aucun financement récurrent.
Et pourtant! Les femmes violentées dans un contexte conjugal ont besoin de se reconstruire pour s’orienter vers un mode de vie plus sain! Elles ont besoin de retrouver confiance en elles, de briser leur isolement et de créer des liens avec des femmes ayant vécu des situations semblables! La sécurité et la confidentialité assurées en maison d’aide et d’hébergement de deuxième étape sont vitales pour plusieurs femmes en contexte postséparation, où le risque d’homicide est particulièrement élevé. L’accès à des services spécialisés en violence conjugale masculine offre aux femmes l’opportunité de changer leur vie. Cette période de réorganisation accompagnée d’un soutien leur donne, en effet, l’occasion de réduire les conséquences de la violence conjugale masculine; de parfaire leurs compétences et connaissances; d’améliorer leur situation financière; de régler les questions juridiques liées à la séparation ou à la garde des enfants; et de préparer, s’il y a lieu, un retour sur le marché du travail. La grande majorité de ces femmes sont pauvres, isolées, peu scolarisées, aux prises avec de lourdes conséquences et, pour elles, un logement sécuritaire et subventionné constitue un tremplin exceptionnel vers de meilleures conditions de vie.
Le courage de ces femmes, que nous accueillons et qui, lors de leur séjour, se mettent en oeuvre pour se reconstruire et réorganiser leur vie, est ma première source de motivation. En effet, je ne peux qu’admirer le courage que cela demande pour venir en maison d’aide et d’hébergement, partager le quotidien d’une vie communautaire, se confier à différentes intervenantes, côtoyer la souffrance des autres résidantes, etc. C’est un privilège! À cela s’ajoutent les succès rencontrés dans notre travail auprès de ces femmes et de leurs enfants. De voir les transformations, au fil du temps, de voir ces visages tristes qui se transforment en visages souriants, de recevoir de touchants témoignages de reconnaissance, de faire une différence dans la vie de ces femmes et enfants; tous ces aspects sont de grandes sources de motivation pour poursuivre notre lutte contre ce fléau social qui fait de nombreuses victimes chaque année. Le côté imprévisible de mon travail m’offre des défis stimulants et mobilisant.
Lorsque l’on travaille en violence conjugale masculine, on doit conjuguer avec les préjugés à l’endroit de cette épineuse problématique et des femmes qui la subissent; avec la nécessité d’assurer sa propre sécurité ainsi que celle des enfants et des femmes à qui l’on vient en aide; avec les lourdes conséquences chez les femmes et les enfants que l’on fréquente; avec les nombreuses luttes à mener pour contrer ce phénomène social… Venir en aide à ces femmes et enfants, c’est mettre un baume de douceur sur un océan de douleurs, mais c’est aussi partir à la quête de solutions nouvelles pour contrer une épineuse problématique qui soulève de nombreux défis au quotidien. Selon moi, il devrait y avoir des logements transitoires pour les femmes violentées dans un contexte conjugal et leurs enfants, dans toutes les régions du Québec. En ce moment, il en existe un peu plus d’une dizaine, et d’autres sont en phase de développement. Je suis présidente de L’Alliance provinciale des maisons de deuxième étape qui regroupe dix maisons de deuxième étape réparties dans cinq régions du Québec et je m’investis au sein de ce regroupement pour, entre autres, travailler à la reconnaissance de nos ressources et à l’obtention d’un financement récurrent nous permettant d’offrir des services spécialisés en violence conjugale masculine. Le dossier chemine, mais la bataille n’est pas gagnée. Les besoins en matière de logements sont nombreux et sachant à quel point l’accès à un logement sécuritaire et subventionné pour les femmes fait toute la différence, je souhaite voir développer des maisons de deuxième étape dans chacune des régions du Québec. Ce défi est ambitieux, mais atteignable! J’y crois!